Dans son article publié dans le quotidien an-Nahar du 17 octobre et intitulé « La lutte intermaronite, une fois de plus », le journaliste Samir Atallah écrit que les hommes politiques maronites ne connaissent pas la différence entre le sens du pouvoir et l’instinct de domination. « Celui qui souhaite devenir président de la République doit se souvenir que 20 députés ne représentent rien. Un tel poste se mesure à combien celui qui l’occupe sait susciter l’unanimité et l’amour des gens, et faire preuve de modestie face à cette responsabilité sacro-sainte », conclut-il.
Samir Atallah réfute ainsi la théorie du « président fort » – avec ses groupes parlementaires importants, ses quotes-parts ministérielles de poids, ses batailles à n’en plus finir avec les autres composantes politiques du pays, ses guerres de recouvrement des prérogatives de la présidence maronite et des droits des chrétiens – ainsi que son cortège de slogans provocateurs. À peine quelques jours après ces propos, le quotidien al-Hayat publiait un article relatant les réunions successives tenues par trois anciens chefs de gouvernement (Nagib Mikati, Tammam Salam et Fouad Siniora) et les inquiétudes de l’un d’entre eux face à « la mentalité de la domination, de l’excès de pouvoir et du blocage » adoptée par le Courant patriotique libre et fondée sur le concept même du « président fort »… jusqu’au point de vouloir créer des usages qui affaiblissent la Constitution et portent atteinte aux équilibres entre les forces principales du pays.
Dérive
Face à ce panorama alarmant, il devient nécessaire de rappeler et de souligner que les amendements constitutionnels qui ont été adoptés en 1991 à la suite de l’accord de Taëf ont intégré pour la plupart les usages parlementaires au texte de la Constitution, ce qui a mis fin à la dérive et aux exactions de bien des présidents de la République, montrant les prérogatives présidentielles sous leur vrai jour. En atteste le témoignage du chef du parti Kataëb et fer de lance du Front libanais à Taëf, feu le député Georges Saadé. Ce dernier écrit dans son ouvrage Mon histoire avec Taëf (1998) : « Quelles sont donc ces prérogatives dont le président jouissait en pratique ? Quelqu’un peut-il indiquer un seul texte en vertu duquel le Premier ministre a obtenu des prérogatives, que ce soit dans le texte ou dans la coutume, qui appartenaient au président de la République ? Quelqu’un peut-il prouver que le Conseil des ministres a obtenu ne serait-ce qu’une seule prérogative qu’il ne possédait pas dans les usages ? Les prérogatives dont disposait (le président de la République) dans la Constitution de 1926 et qui ne sont pas en contradiction avec les usages en cours sont restées telles quelles, sans aucun changement. »
Ces idées rejoignent celles du fondateur du Bloc national libanais, Raymond Eddé (mort en 2000). « Eddé faisait la part entre la présidence de la République en tant que fonction constitutionnelle relevant de la communauté maronite, laquelle en tire un privilège beaucoup plus politique que constitutionnel du fait de la conjugaison entre la mise en pratique de ces prérogatives et l’application d’usages non écrits contraignants… » raconte en effet le journaliste Nicolas Nassif dans Raymond Eddé, la République-conscience (publié en 2002).
À ceux qui pensent toujours que la Constitution rédigée en 1926 avec la participation et sous la supervision de grands juristes français avait mis en place un régime présidentiel donnant plein pouvoir au président de la République avant que l’accord de Taëf ne vienne supposément réduire le rôle de ce dernier, il convient de rappeler qu’en 1926, la France ne connaissait pas le régime présidentiel ou semi-présidentiel, mais un régime parlementaire dont les lois avaient été rédigées en 1875 et complétées en 1877 par des usages parlementaires…
Concernant le rôle et les prérogatives du président de la République dans ce type de régime, l’une des références les plus importantes du droit constitutionnel, Léon Duguit, contemporain de la IIIe République en France – et dont le manuel fut adopté lors de la rédaction de la Constitution libanaise, comme le démontre l’historien Antoine Hokayem (La genèse de la Constitution libanaise de 1926, Éditions universitaires du Liban, 1996) –, écrit : « Un président de la République, chef d’État élu par les chambres, personnifie le gouvernement ; il est titulaire de toutes les attributions gouvernementales, mais il ne les exerce pas effectivement parce qu’il est irresponsable politiquement. L’activité politique appartient tout entière aux ministres, qui se réunissent sous la présidence d’un président du Conseil ou Premier ministre et qui sont politiquement responsables devant les chambres. »
Garant
Aussi, pour ne pas que l’on comprenne que le président de la République est un monarque qui ne gouverne pas, Duguit ajoute : « Au reste, le président de la République, par son autorité personnelle, par le prestige de ses hautes fonctions, peut exercer une action heureuse sur la politique intérieure et extérieure du pays, tout en restant dans la correction constitutionnelle. Comment le président de la République irresponsable peut-il faire sentir son action dans la direction des affaires ? Cela n’est plus une question de droit, mais une pure question de fait. »
Et le constitutionnaliste d’évoquer à ce sujet ce que le président français Armand Fallières (1906-1913) avait dit à son arrivée au pouvoir en réponse à une question d’un rédacteur de la revue Lectures pour tous sur sa conception du rôle du président de la République : « En observant les droits et les devoirs que la Constitution lui impose, j’estime que le président de la République peut être l’arbitre et le conseiller de la politique française, sans cependant prendre aucune part active à cette politique. »
Ce qu’il faut comprendre de l’ensemble de cet exposé, c’est que le président de la République, politiquement irresponsable, ne saurait avoir une politique qui lui est propre et qu’il chercherait à mettre en application à travers des ministres de sa quote-part ou des portefeuilles ministériels qui lui seraient réservés. Il est l’arbitre et le conseiller, garant de la bonne marche du système et dispose de nombreux et divers moyens constitutionnels pour remplir sa mission.
Il en ressort la nécessité qu’une opinion publique nationale, chrétienne, et tout particulièrement maronite, se mette en place afin de protéger le Liban et le président de la République des dérives dans lesquelles l’entraînent – et dont font activement la promotion – certains collaborateurs et conseillers du président, en phase avec un axe régional qui a toujours fait fi de l’intérêt du Liban et des Libanais.
par Hassane RIFAÏ
Avocat, ancien membre du bureau politique du courant du Futur
commentaires (11)
Excellent résumé du rôle d'un président dans un pays où le peuple se reconnaît une identité spécifique et propre à l'état pour lequel ils vouent leurs vies et s'attendent à en recevoir les bienfaits. Au Liban qui a connu les villes états, au temps de nos ancêtre. Des villes où de gens de même background mais qui s'attachaient à leur indépendance, se trouvaient isolées et fragiles faces aux conquérants mais aussi à l'immigration... Malgré les fakhreddines de ce monde, les Fouad Chehab...cette mentalité de villes états à survécu et on y fait face aujourd'hui!!! Malheureusement on a tous raison et ils ont tous tord... Wou' héllouwa Iza fikoun!!!
Wlek Sanferlou
00 h 26, le 05 novembre 2018