L’année écoulée aura été sur la scène libanaise celle des tensions politiques continues allant dans tous les sens, n’épargnant sur son chemin aucune composante communautaire du tissu social libanais. Avec en filigrane une grave crise du système politique qui semble poindre à l’horizon. C’est ainsi que l’on pourrait tracer la ligne directrice de l’année 2018, marquée par un marasme économique rampant et une instabilité chronique des institutions constitutionnelles.
Les premiers jours de 2018 avaient, d’entrée de jeu, annoncé la couleur sur ce plan, sous le coup d’une vive polémique enclenchée par des propos acerbes, pour ne pas dire insultants, tenus par le chef de la diplomatie et leader du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, à l’encontre du président de la Chambre et chef du mouvement Amal, Nabih Berry. Il en a résulté d’inquiétantes gesticulations miliciennes des partisans de l’organisation chiite dans des quartiers sensibles de la capitale, contribuant encore plus à accroître la tension endémique entre les deux grandes factions politiques.
(Dates et événements clés : on rembobine 2018 au Liban)
Les frictions entre le courant aouniste et le mouvement chiite éclateront au grand jour à plusieurs reprises en 2018, notamment à l’occasion du débat fiévreux sur les conditions de location des navires-centrales. L’élément nouveau dans ce contexte aura été l’extension de ce différend au Hezbollah, l’année s’achevant même sur une critique à peine voilée du président de la République Michel Aoun du parti chiite pro-iranien (voir par ailleurs l’exposé sur la tension entre le tandem chiite et le CPL).
L’organisation des élections législatives au début du mois de mai, sur base d’une nouvelle loi électorale appelée à améliorer et à rééquilibrer la représentation populaire et, dans certains cas, communautaire, devait donner un souffle nouveau à la vie politique dans le pays. Mais c’était sans compter l’impact des guerres et des conflits régionaux sur l’échiquier local d’une part, et les retombées du résultat du scrutin législatif de mai d’autre part. Ces deux paramètres auront un effet inhibiteur notable sur la formation du gouvernement, l’année 2018 s’achevant sans que le Premier ministre désigné Saad Hariri puisse mettre sur pied son équipe ministérielle.
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Les développements rapides en rapport avec la guerre syrienne et l’évolution de l’ensemble de la situation au Moyen-Orient ont vraisemblablement influé sur les calculs gouvernementaux des parties, plus précisément le Hezbollah, dont le projet politique revêt un caractère beaucoup plus régional que local. À cela sont venus se greffer d’autres calculs – revêtant cette fois des considérations purement locales, voire présidentielles – propres au courant aouniste, et surtout à son chef, Gebran Bassil. De ce fait, dès la désignation de M. Hariri pour la formation du gouvernement après les élections législatives et jusqu’à la fin de l’année, le parti chiite et le leader du courant aouniste se sont relayés au fil des semaines et des mois (sans que le degré de coordination entre eux soit très clair) pour réduire progressivement, et patiemment, les ambitions ministérielles des parties souverainistes, en l’occurrence les Forces libanaises, le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste.
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Force est de reconnaître que c’est essentiellement la loi électorale fondée sur la proportionnelle qui aura provoqué des failles dans les édifices communautaires respectifs du courant du Futur et du PSP, permettant au camp adverse (le CPL et, surtout, le Hezbollah) de s’engouffrer dans cette brèche pour tenter de laminer l’influence de ces deux formations au sein du futur gouvernement. Quant aux Forces libanaises, la loi électorale ne les aura pas lésées (bien au contraire), mais elles seront malgré tout la cible d’une offensive soutenue lancée par Gebran Bassil qui, à cette fin, sonnera le glas de l’entente de Meerab que le CPL avait conclue en janvier 2016 avec les FL pour paver la voie à l’accession de Michel Aoun à la magistrature suprême (voir par ailleurs le décryptage sur les élections législatives de mai).
Dans le même temps, des « grincements de dents » se manifesteront entre le CPL et le Hezbollah, ce dernier n’hésitant pas, à travers les médias gravitant dans son orbite, à dénoncer, en des termes acerbes, les tentatives de Gebran Bassil d’obtenir le tiers de blocage au sein du gouvernement en gestation, soit 11 portefeuilles (voir le décryptage sur le processus de formation du gouvernement). Le vacillement de l’accord de Meerab, dans le sillage du scrutin de mai, s’accompagnera ainsi d’une nette fissure – timide certes, et non avouée, mais bel et bien perceptible en cette fin d’année 2018 – au niveau de l’entente « stratégique » de Mar Mikhaël (février 2006) entre le courant aouniste et le Hezbollah dont les différends portent, du moins pour l’heure, sur des enjeux (internes) de pouvoir.
Les développements qui ont ponctué les douze derniers mois, et plus particulièrement le déroulement et les résultats des élections législatives, auront eu pour résultat de confirmer et d’accentuer davantage la dislocation des deux grandes alliances du 14 et du 8 Mars, issues de la révolution du Cèdre de 2005. Dans cette redistribution des cartes, seule la communauté chiite reste pratiquement blindée face aux bouleversements ambiants sous l’effet de la présence pesante et omnipotente du Hezbollah.
Face à ce tableau particulièrement morose, deux développements majeurs survenus en 2018 ont donné une note malgré tout positive au paysage local : la réconciliation historique entre les Forces libanaises et les Marada de Sleiman Frangié sous l’égide du patriarche maronite (voir par ailleurs), et l’élan de solidarité internationale avec le Liban, qui s’est manifesté par les trois conférences de Paris (la CEDRE, pour le financement de vastes projets de développement des infrastructures du pays), de Rome (pour l’aide à l’armée et aux forces de sécurité) et de Bruxelles (pour la gestion du dossier des déplacés syriens).
C’est dans un tel contexte trouble que s’annonce l’année 2019, et avec elle des bouleversements cruciaux qui paraissent poindre résolument à l’horizon. Avec toutes les retombées possibles que l’on pourrait imaginer au niveau du paysage politique, et peut-être même institutionnel, qui caractérise le fragile échiquier communautaire libanais.