Le bras de fer opposant les milieux aounistes aux Forces libanaises continue d’entraver le processus de formation du gouvernement. Même si d’autres écueils, tels que la représentation des députés sunnites antihaririens, ont fait leur (ré)apparition ces derniers jours.
La question du ministère de la Justice ne fait que s’amplifier, empêchant le cabinet Hariri de voir le jour. Mais désormais, c’est Baabda, et non plus le Courant patriotique libre, qui s’invite ouvertement dans le débat. Les milieux de la présidence ne mâchent plus leurs mots : les FL empêchent, par leurs conditions rédhibitoires, le cabinet de voir le jour. C’est ce point de vue que présente à L’Orient-Le Jour un proche du palais. « Pour nous, la Justice relèvera de la quote-part du chef de l’État. Et cette question est désormais hors du débat », souligne-t-il avant de s’en prendre au parti de Samir Geagea : « Le président de la République a fait déjà une importante concession en se désistant de la vice-présidence du Conseil au profit… des FL. » Et de poursuivre : « Ce parti n’est pas en droit de demander le ministère de la Justice. Si les FL veulent un ministère de services, qu’ils aillent demander (les Travaux publics) chez les Marada. » Des propos qui revêtent une importance certaine au vu, notamment, de leur timing. Et pour cause : ils interviennent à l’heure où les Marada, dont les rapports avec le CPL sont particulièrement perturbés depuis plus de deux ans, tentent de rendre à la normale leurs relations avec la formation de Samir Geagea.
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À une question portant sur les raisons de cette nouvelle phase d’atermoiements, le proche de Baabda estime que la formation de M. Geagea voudrait peut-être rester en dehors du cabinet ou attendrait la nouvelle vague de sanctions américaines contre le Hezbollah. Sa position dépendrait donc des équilibres au sein du futur cabinet.
Le même attachement au portefeuille de la Justice se fait naturellement sentir chez le CPL. Ainsi, Ibrahim Kanaan, député du Metn, a assuré que Michel Aoun tient à obtenir la Justice. Dans un entretien télévisé, M. Kanaan a estimé que priver le président du ministère de la Justice serait « un faux pas », dans la mesure où il porte un projet qu’il veut réaliser. « La quote-part des FL inclut la vice-présidence du Conseil avec trois portefeuilles conformes au critère unifié qui est de mise, a encore dit M. Kanaan, assurant que « les solutions existent si les bonnes intentions convergent vers la mise sur pied d’un gouvernement ».
En face, Meerab semble commencer à assouplir sa position, tout en mettant les points sur les « i » au sujet du ministère de la Justice. Celui-ci était d’ailleurs au menu de la rencontre samedi entre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, et le leader des FL, Samir Geagea. Étaient présents les ministres sortants de la Culture, Ghattas Khoury (Futur) et de l’Information, Melhem Riachi (FL). Ce dernier s’est entretenu à nouveau hier avec M. Hariri, avant de rencontrer Waël Bou Faour, député joumblattiste de Rachaya. Une réunion qui ne peut être dissociée de la coordination qui va bon train entre les FL, le Futur et le Parti socialiste progressiste depuis le début des tractations ministérielles.
Lors de la réunion du samedi, MM. Geagea et Hariri ont examiné « les solutions alternatives » si besoin est, précise un cadre FL à L’OLJ. Les milieux de Meerab assurent, toutefois, que le parti n’a jamais demandé la Justice. Ce portefeuille lui a été attribué par le Premier ministre désigné à l’issue de sa dernière rencontre avec Michel Aoun, mercredi dernier à Baabda. Contacté par L’OLJ, Fadi Saad, député FL de Batroun, tient à préciser que sa formation « ne se bat pas pour obtenir le ministère de la Justice, mais pour une représentation gouvernementale conforme à son poids populaire issu des législatives de mai dernier ». Une position qui pourrait signifier que les FL accepteraient un ministère de la même importance que la Justice.
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Dimension régionale ?
Dans certains milieux politiques, on estime que la querelle entre Baabda et Meerab n’est aucunement la seule entrave empêchant Saad Hariri de mener à bien sa mission. Le blocage actuel aurait aussi une dimension régionale non négligeable. La nouvelle phase de léthargie coïncide avec le déclin sans précédent des rapports entre l’Arabie saoudite et l’Occident sur fond de l’affaire Khashoggi. L’Iran et ses alliés au Liban chercheraient donc à améliorer, voire même imposer, leurs conditions en matière de formation du cabinet. Et c’est dans ce cadre qu’il convient de placer l’épreuve de force à laquelle s’est livré le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi dernier. Le dignitaire chiite avait appelé M. Hariri à intégrer ses opposants sunnites au cabinet, estiment des observateurs.
Les six députés sunnites antihaririens se sont réunis hier pour exprimer à nouveau leur volonté de prendre part au cabinet par le biais d’un ministre issu de leurs rangs, écartant la possibilité de s’entendre sur une personnalité non haririenne extérieure au groupe. Ainsi, Fayçal Karamé, député de Tripoli et l’un des six, est de plus en plus ministrable. Il pourrait faire partie du lot du chef de l’État, en échange de quoi Saad Hariri devrait obtenir un ministre chrétien. Sauf que le proche de Baabda précité assure que le nom du ministre sunnite du président n’a pas encore était tranché. Cette question sera réglée dans le cadre d’une « solution globale », ajoute-t-il. De même, une source proche de M. Karamé confie à L’OLJ qu’il n’y a « aucun contact » entre le député de Tripoli et « ceux qui forment le gouvernement ». Les milieux de l’ancien ministre écartent tout lien entre la conjoncture régionale et la crise gouvernementale. « Nos alliés nous appuient parce que nous devons prendre part au cabinet, dans la mesure où nous représentons 45 % des sunnites », dit-il.
De son côté, une source du Hezbollah estime que les FL devraient être satisfaites des succès qu’elles ont enregistrés lors des tractations au lieu d’en demander davantage. À la question de savoir si le Hezb chercherait à affaiblir M. Hariri avant la formation du cabinet afin de pouvoir le contrôler, cette source fait valoir que « les substituts sont prêts. Mais nous n’acceptons pas qu’un chef de gouvernement soit détenu dans un autre pays (allusion à la démission surprise du Premier ministre annoncée le 4 novembre 2017 depuis Riyad), d’où notre attachement à Saad Hariri ».
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commentaires (6)
Bras de fer?!? Certains dirait plutôt bras d'honneur! A chacun son français après tout...
Wlek Sanferlou
15 h 59, le 22 octobre 2018