« Nous sommes tous incroyablement tristes. » C’est ainsi que Nehmat Alameh, habitante de l’un des immeubles situés près du Bois des Pins, côté Tayyouné, décrit l’état d’esprit des résidents du quartier depuis que, il y a quelques jours, les arbres d’une parcelle du bois ont été arrachés sans ménagement pour le compte de la Sûreté générale qui désire édifier un bâtiment sur ce lopin. La parcelle se situe sur le terrain 1925 de la région de Mazraa, soit dans le Bois des Pins.
Cette affaire secoue Beyrouth depuis quelques jours. Dans le courant de la journée du 5 septembre, les habitants ont été étonnés de voir un bulldozer arracher quelques arbres de cette parcelle qui fait partie du Bois des pins, même si elle en est séparée par une route. « Le lendemain, nous nous sommes rendu compte que tout le terrain a été déboisé et que les travaux d’excavation ont commencé, poursuit Nehmat Alameh. L’abattage des arbres avait eu lieu la nuit avec une incroyable rapidité. »
Pourquoi bâtir un centre de la SG en cet endroit précis et qui en a donné l’autorisation ? Gaby Fernaini, président du comité des espaces verts au sein du conseil municipal de Beyrouth, est formel. « Ce terrain est situé dans la zone 9 du Bois des pins, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un terrain non constructible, affirme-t-il à L’OLJ. C’est un crime d’abattre ces arbres dans une capitale qui en a absolument besoin et, qui plus est, dans une réserve. » Il rappelle par ailleurs que le Bois des pins fait l’objet d’un plan de développement mené par la municipalité avec l’Île-de-France, qui avait déjà aidé à sa première réhabilitation après la guerre, dans les années 90.
Dans un communiqué daté du 7 septembre, publié à l’issue d’une réunion hebdomadaire, le conseil municipal de Beyrouth a « fortement dénoncé cet abattage brutal des arbres sur le terrain 1925 de la région de Mazraa ». Le conseil « appuie la décision du mohafez de Beyrouth Ziad Chbib de demander l’arrêt des travaux immédiatement et lui demande de prendre des mesures très strictes à ce propos ». Il a également « chargé un comité légal d’examiner les décisions passées prises par le conseil municipal de Beyrouth à propos de ce terrain afin de définir les responsabilités à cet égard ».
Toutefois, depuis le 7 septembre, les travaux d’excavation se poursuivent sans relâche. Il a été impossible d’obtenir de plus amples informations sur cette demande d’arrêt des travaux de la part du mohafez Ziad Chbib ainsi que sur un quelconque document qui aurait permis à la SG de procéder à une construction sur un terrain non constructible. Le mohafez avait auparavant déclaré à notre confrère al-Akhbar n’avoir pas accordé de permis pour une telle construction. Pour sa part, une source de la Sûreté générale, interrogée par L’OLJ sur tous ces points, répond simplement qu’ « il est vrai que la SG est en train de construire un bâtiment sur ce terrain », refusant de fournir d’autres indications ou de répondre à des questions plus précises.
Les zones d’ombre demeurent donc, sans que cela ne ralentisse les travaux. Ce terrain qui fait l’objet du litige avait, selon des informations fournies à L’OLJ, fait l’objet de décisions de la part de l’ancien conseil municipal de 2004 à 2008, qui accordaient aux Forces de sécurité intérieure (FSI), et non à la SG, le droit de « constructions préfabriquées temporaires », sans pour autant autoriser l’abattage d’arbres. C’est ce qui explique la construction d’une gendarmerie des FSI sur ce terrain depuis ce temps-là, qui n’est pas « temporaire » puisqu’elle existe toujours. Mais cela n’explique pas, selon un observateur, pourquoi la SG s’y établit actuellement.
(Lire aussi : Le Bois des pins, cœur de la mixité sociale durant un week-end)
« Si les forces de l’ordre ignorent la loi, vers qui se tourner ? »
Dans cette affaire comme dans tant d’autres, les zones d’ombre sont une parfaite excuse pour que les bulldozers poursuivent leur travail, et les responsabilités sont rejetées par les uns et les autres à coups d’aveux d’impuissance. Et le Bois des pins se réduit comme peau de chagrin, sans qu’une quelconque protection ne soit assez efficace pour lui épargner la disparition : de l’hôpital de campagne « temporaire » à la légalisation de bâtiments illégaux édifiés durant la guerre, au projet de transfert du stade municipal à l’intérieur du seul grand espace vert de Beyrouth… Les agressions se multiplient et le plus grand espace vert de Beyrouth est victime, comme le dit Mohammad Ayoub, président de l’association Nahnoo, « d’une politique systématique de grignotage ».
Nahnoo a tenu mardi une conférence de presse avec les voisins du Bois des pins afin de dénoncer les constructions qui se poursuivent. M. Ayoub a estimé que « le Bois des Pins est une ligne rouge parce que c’est le poumon de la capitale », assurant qu’« il aurait fallu augmenter sa superficie boisée au lieu de la restreindre ». Il a fait assumer la responsabilité de ce dernier développement au ministre sortant de l’Intérieur Nouhad Machnouk et a demandé « aux forces de l’ordre de respecter les lois quand elles veulent construire des bâtiments qui leur sont propres ».
« Si nous sommes agressés par quelqu’un, nous nous dirigeons vers les forces de l’ordre, mais vers qui nous tourner si l’agression vient d’elles ? » s’est demandé le militant.
À L’OLJ, Mohammad Ayoub indique que « les constructions n’auraient jamais dû avoir lieu, la loi imposant clairement un changement de zoning le cas échéant ». Nahnoo et les habitants du quartier voisin préparent actuellement une plainte en justice. L’avocat Saïd Alameh, qui sera en charge de l’affaire, indique à L’OLJ que la plainte sera présentée au juge des référés sur motifs de dégâts écologiques et de préjudice aux riverains de par la présence d’un tel bâtiment dans leur voisinage. Il assure que « la construction ne bénéficie d’aucun permis, et l’abattage des arbres n’a été autorisé par aucun ministère concerné ». Il a appelé « le mohafez de Beyrouth et le président de la République à faire pression pour arrêter la construction ».
Ce n’est pas la première fois que les habitants portent plainte : ils l’avaient déjà fait lors de la construction de la première gendarmerie sur le terrain.
Pour mémoire
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Une nouvelle fois, des empiétements légalisés en plein Beyrouth...
commentaires (12)
Il y a des milliers et de milliers de mètre-carrés dàjà construits qui ne trouvent pas preneurs à Beyrouth. Pourquoi construire encore pour le compte de l'Etat alors que les caisses sont dans un piètre état.
Shou fi
15 h 09, le 13 septembre 2018