C'est pratiquement en sourdine qu'un décret, qui portait le numéro 28 sur l'ordre du jour, est passé mercredi en Conseil des ministres. Ce décret ouvre la voie à un changement de zoning, de la zone neuf (non constructible) à la zone quatre (qui permet pratiquement l'édification de tours), dans un terrain de Beyrouth qui est celui du lot 1925 du Bois des pins (lire L'OLJ du 18 mai). Dès la matinée de mercredi, l'association Nahnoo, qui avait décrypté la formulation vague de la clause, a mis en garde contre une nouvelle légalisation d'empiétements dans la région du Bois des pins. D'autant plus que la phrase succincte de la clause parle « d'une partie » du terrain, sans que la superficie de cette partie ne soit précisée, ou qu'une carte ne soit attachée au texte.
Alors de quel terrain s'agit-il vraiment ? L'espace vert est-il menacé ? Interrogé à ce propos hier par L'OLJ, Jamal Itani, président du conseil municipal de Beyrouth, certifie que le terrain concerné par le décret qui est passé hier en Conseil des ministres « est loin du bois à proprement parler ». « C'est une partie du même lot, il est vrai, mais il ne s'agit pas du parc public, affirme-t-il. C'est une terre séparée du bois par une route, sur laquelle se trouvent déjà un cimetière et des bâtiments, l'un pour les Makassed, ainsi qu'une mosquée pour la fondation du cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine. » Il insiste sur le fait que le parc boisé n'est pas concerné par ce changement de zoning.
Pour Mohammad Ayoub, président de Nahnoo, tous ces arguments ne sont en aucune façon satisfaisants. « On veut nous faire avaler que le Bois des pins est ce seul triangle de verdure, or ce n'est pas vrai, dit-il. Le lopin concerné par ce décret fait partie du terrain 1925, où se trouve le Bois des pins. Il bénéficiait d'un zoning qui y interdisait toute construction, étant classé "site naturel". Si des bâtiments y ont été érigés durant la guerre, était-ce la peine de les légaliser ainsi ? »
Selon l'écologiste, la zone du Bois des pins est en train d'être morcelée, et les empiétements y sont légion. « On veut nous faire oublier que la zone du Bois des pins couvre aussi l'hippodrome et bien des terrains environnants, affirme-t-il. Or les constructions l'envahissent de toutes parts : des bâtiments récemment légalisés des scouts al-Rissala (proches du mouvement Amal), eux aussi construits durant la guerre, aux terrains urbanisés tout autour... Nous sommes en train de perdre le plus grand espace vert de la capitale. Savez-vous que dans des terrains tels que ceux occupés par al-Rissala, il est dorénavant possible de construire des tours ? C'est tout un ensemble vert que l'on détruit progressivement. »
(Pour mémoire : Et de trois : une nouvelle décision judiciaire pour l'arrêt des travaux à Ramlet el-Baïda !)
Zone 9
Interrogé sur cette question, le président de l'ordre des ingénieurs, Jad Tabet, explique que toute cette région faisait partie de la zone neuf où les constructions étaient interdites, et où il y a eu effectivement des empiétements durant la guerre. Selon lui, le changement de zoning est une façon détournée de reconnaître que ces empiétements sont bien là, et qu'on ne peut plus les annuler. Pire encore, placer ces terrains sous la zone quatre permet d'y bâtir des édifices encore plus hauts que ceux qui y existent, déplore-t-il. Il trouve « désolant » qu'au lieu de préserver ces espaces et de les protéger, on soit en train de légaliser les empiétements.
Que faire pour mettre un terme à cette tendance ? Jad Tabet rappelle que de telles questions dépendent du conseil municipal, de la décision politique et, le plus souvent, de la répartition des parts entre les uns et les autres. « Il faut travailler tous ensemble » pour changer les choses, dit-il. Pour ce qui est de l'amélioration de l'urbanisme dans la ville, il rappelle qu'il y a quelques années, un « Plan vert » a été présenté au conseil municipal, effectué à l'initiative et avec le financement de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France. Cette étude, selon lui, répertorie tous les axes où il est possible de construire de grands parcs, de mettre en place une mobilité douce... Elle n'est toujours pas mise en application.
L'affaire du décret adopté mercredi en Conseil des ministres vient s'ajouter à des décisions municipales sur la construction d'un hôpital de campagne sur un lopin qui servait auparavant de parking au bois, le projet d'édification d'un stade municipal à l'intérieur même du parc, la légalisation d'autres empiétements sur un terrain occupé depuis la guerre par les scouts al-Rissala (Amal)... Ce carré vert, l'un des seuls de Beyrouth, survivra-t-il longtemps à ces assauts multiples ?
Pour mémoire
Un changement de zoning au Bois des pins... en catimini
Je pense qu'il ferait mieux de construire d'incinérateur pour les déchets..
21 h 37, le 19 mai 2017