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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les 101 vies de Hay’at tahrir al-Cham

Le groupe, en constante mutation, est en première ligne face à l’offensive du régime syrien et de ses parrains russe et iranien.


Des combattants syriens dans un camp d’entraînement du groupe jihadiste Hay’at tahrir al-Cham, dans la province d’Idleb, le 14 août 2017. Omar Haj Kadour/AFP

Les heures sont désormais comptées pour le groupe jihadiste le plus puissant de l’Ouest syrien : Hay’at tahrir al-Cham (Organisation de libération du Levant – HTC). Bachar el-Assad et ses parrains russe et iranien s’apprêtent à en finir une fois pour toutes avec Idleb et sa province, devenue au fil des ans un havre de l’islam extrémiste, mais aussi et surtout un terminus pour les combattants et les civils de tout le pays ayant refusé de se soumettre au régime. Un fief marqué au fer rouge, où HTC, composé essentiellement de l’ex-branche d’el-Qaëda en Syrie, est parvenu à prendre l’avantage sur ses concurrents en contrôlant plus de 60 % de la province. Le sort d’Idleb se trouve aujourd’hui entre les mains des parrains du conflit qui appellent à un « nettoyage » de la menace « terroriste » et à la « dissolution de HTC ».

« Hay’at tahrir al-Cham est un casus belli important pour le gouvernement syrien et ses alliés en ce qui concerne le lancement d’une offensive sur Idleb », estime Aymenn Jawad al-Tamimi, chercheur au Middle East Forum, contacté par L’Orient-Le Jour. Une zone qui semble se trouver « hors champ pour les puissances occidentales ». Un secteur où « les jihadistes profiteraient d’une lune de miel », commente, pour le Wall Street Journal, Hassan Hassan, un analyste du think tank américain Tahrir Institute for Middle East Policy.

Alors que la bataille approche, sur le site d’Ebaa, journal en ligne de HTC, la propagande bat son plein. Des civils, dont des enfants, sont filmés en train de donner de l’argent liquide afin de soutenir les « moujahidine » pour qu’ils « puissent tenir tête aux mécréants » en vue de la campagne à venir. Une autre vidéo met en garde les factions rebelles qui seraient tentées de signer un accord de réconciliation avec le régime ou, pire encore, de tourner leurs armes contre HTC. À titre d’exemple, est montrée la « trahison » d’Ahmad al-Awda, chef du groupe rebelle Jeunesse sunnite, qui avait signé un accord à Deraa, se disant aujourd’hui prêt à « combattre des terroristes » jusqu’à ce que « la Syrie soit libérée de cette pensée malade ».


(Lire aussi : Idleb : Ankara échoue à modifier les plans russo-iraniens)


La bataille d’Alep
28 janvier 2017. Le Front Fateh al-Cham (ex-Front al-Nosra), Harakat Noureddine al-Zenki, le Front Ansar ed-Dine, Liwa al-haq, Jaïch al-sunna et Jaïch al-ahrar, six groupes rebelles à tendance salafiste et jihadiste, se regroupent sous la même bannière : Hay’at tahrir al-Cham. Deux semaines plus tôt, le chef de Fateh al-Cham et bientôt de la future coalition, Abou Mohammad al-Joulani, avait appelé les rebelles à « resserrer les rangs » pour repousser une offensive des forces prorégime soutenues par la Russie dans le nord-ouest de la Syrie.

« Occupons-nous de nos ennemis plus que de nous-mêmes et de nos désaccords », dit-il alors. Dans le pêle-mêle de groupes armés s’opposant au régime, cette nouvelle organisation fait figure de mutante, parvenue en quelques années à cannibaliser des entités aux aspirations et aux idées communes et à monter en puissance. Été 2016 : la bataille d’Alep bat son plein. Les combattants d’al-Nosra figurent en minorité parmi les forces rebelles qui se battent contre les troupes gouvernementales. Le 28 juillet 2016, al-Nosra se détache officiellement de sa maison mère, el-Qaëda, et se pare d’un nouveau nom : Fateh al-Cham. La manœuvre est alors habile. Quelques jours plus tard, le siège d’Alep-Est (quartiers rebelles) est brisé. Les combattants ex-Nosra sont acclamés comme des héros. « Avant la bataille, les gens étaient contents de savoir qu’al-Nosra coupait définitivement les ponts avec el-Qaëda. En devenant Fateh al-Cham, le groupe s’est attiré de nombreux fans », confiait alors un habitant à L’OLJ. Abandonnés par la communauté internationale, particulièrement par la Turquie, les Alépins, plutôt méfiants jusqu’alors vis-à vis des groupes les plus radicaux, perçoivent leurs libérateurs comme des sauveurs. Les autres factions rebelles sont quant à elles toujours restées réticentes à l’idée de s’allier avec al-Nosra, de peur d’être prises pour cibles par l’aviation russe sous prétexte de lutte contre le terrorisme.

« En se séparant d’el-Qaëda, HTC perd le contrôle de centaines de jihadistes engagés qui restent totalement fidèles à la vision d’Oussama Ben Laden sur le jihad mondial », écrit Charles Lister, spécialiste du mouvement. Il ne se retrouve pas pour autant dépouillé de toutes ses forces car il parvient à obtenir des soutiens et tente de s’inscrire dans le paysage politique syrien sur la durée. « La majorité des Syriens qui ont rejoint HTC ne l’ont pas fait pour el-Qaëda ou pour l’idée du califat, mais uniquement pour combattre le régime », estime Omar*, un activiste basé en Turquie.


(Lire aussi : Les habitants d'Idleb se préparent au pire)


Même pièce
Malgré son désir de s’affirmer comme un groupe strictement syrien et de se rapprocher de la rébellion, l’estampillage de grande organisation terroriste islamiste lui colle encore et toujours à la peau. « HTC et l’EI ne sont que les deux faces d’une même pièce », estime Abou Ihab*, un haut gradé de l’Armée syrienne libre (ASL) contacté via WhatsApp. « Les deux organisations se comportent et pensent de la même manière, et veulent nous faire revenir 1 500 ans en arrière avec leur idée de califat », poursuit le chef militaire. Pour comprendre pourquoi la comparaison entre les deux groupes est aujourd’hui encore aussi prégnante, il suffit de remonter aux origines. E

n 2011, un groupe de l’État islamique d’Irak (EII) est envoyé en Syrie pour combattre les forces de Damas. Ce n’est qu’en 2013 qu’al-Nosra va rompre ses liens avec l’EII avant de se présenter comme la branche officielle d’el-Qaëda en Syrie. Pendant de nombreuses années, al-Nosra refusera de prendre ses distances avec la nébuleuse dirigée par l’Égyptien Ayman Zawahiri. Le Qatar et la Turquie auraient notamment « fait pression sur al-Nosra pour qu’il se distancie d’el-Qaëda afin de leur permettre de fournir un soutien logistique et financier, sans embarras politique », affirme le politologue et spécialiste de la Syrie Ziad Majed dans une interview à La Croix en juillet 2016. « Bien que le Qatar ait encouragé l’idée d’une rupture d’avec el-Qaëda, je ne vois pas de preuves que l’émirat aide HTC à l’heure actuelle », pointe Aymenn Jawad al-Tamimi. « HTC considère avoir rompu ses liens avec el-Qaëda dans l’intérêt du jihad en Syrie. El-Qaëda et ses partisans soutiennent que HTC a illégalement rompu le serment d’allégeance envers l’organisation jihadiste. Les deux sont des groupes jihadistes, mais el-Qaëda craint qu’HTC ait adopté un programme nationaliste, ce que HTC réfute », poursuit l’expert. Des cadres de la branche dure d’HTC n’ont d’ailleurs pas hésité à faire défection et à rejoindre Tanzim huras al-Din, groupe jihadiste créé début 2018, ayant prêté allégeance à el-Qaëda.


(Lire aussi : Des centaines de Syriens fuient Idleb de crainte d'un assaut du régime)


Frères ennemis
La chute d’Alep en décembre 2016 est certes un coup dur pour le groupe, mais également une aubaine. Fateh al-Cham s’avance en maraudeur vers Idleb, qu’il parvient rapidement à contrôler, après être parvenu à expulser son ex-allié Ahrar al-Cham, soutenu par Ankara. En mars 2015, les deux groupes combattent côte à côte, sous la bannière de Jaïch al-Fateh (l’Armée de la conquête), pour en chasser les troupes gouvernementales. Malgré de nombreuses alliances circonstancielles sur le plan militaire, les projets de fusion entre les deux groupes n’aboutiront jamais. En cause, une concurrence politique et idéologique. « Nous ne nous entendons pas du tout avec HTC, ni dans l’idéologie ni dans les objectifs proches et lointains, et encore moins dans les pratiques pour atteindre ces objectifs. Ce sont eux qui nous ont attaqués à deux reprises, entraînant une bataille âpre et causant la mort de nombreux jeunes de la révolution », commente Omran Mohammad, porte-parole au sein de la branche politique d’Ahrar al-Cham, contacté par L’Orient-Le Jour.

À Idleb, son second bastion, al-Nosra impose à l’époque le strict respect de la charia et fait taire toute forme d’opposition. Cependant, souhaitant s’implanter durablement dans la province, le groupe va peu à peu faire des concessions et s’adapter aux us et coutumes de la population. La vie quotidienne des habitants d’Idleb ne change pas radicalement depuis la prise de pouvoir du groupe rebaptisé : pas de code vestimentaire strict, pas d’interdiction de fumer ni de se balader seule dans la rue pour les femmes, pas de contrôle d’internet... « Fateh al-Cham fait en sorte d’être plus coulant avec les civils, car ils ne veulent pas avoir l’image de Daech, pour que la communauté internationale ne s’en prenne pas à eux », confiait Karim, un habitant d’Idleb, à L’OLJ en aout 2017. Se côtoient des « femmes maquillées ou au volant de leur voiture », et des soldats barbus et armés jusqu’aux dents. « Pas de tags dans les rues appelant à instaurer un califat ou à tuer des Occidentaux, mais uniquement quelques phrases à la gloire de combattants », se remémore Omar. Pour remplir ses caisses, HTC a mis en place une administration civile qui collecte des droits de douane à la frontière avec la Turquie et récolte des impôts auprès des commerçants.

Si l’organisation a su en partie se fondre parmi la population en faisant quelques entorses à ses principes, elle est aujourd’hui isolée du reste de l’opposition armée. Ses détracteurs la surnomment « Hitish », en écho à l’acronyme péjoratif « Daech ». « Toute organisation qui s’éloigne des principes et des objectifs de la révolution et qui souhaite établir son empire en Syrie ne me représente pas », confie Walid*, combattant au sein de l’ASL, contacté via WhatsApp. « L’EI et al-Nosra ont tout fait pour nous distraire du principal ennemi de la révolution : le gang Assad. Elles ont entaché la révolution syrienne en se cachant sous le manteau de la religion, en commettant des actes terroristes et en rendant des zones stratégiques au régime, son véritable partenaire dans cette guerre », abonde Abou Ihab.

Contrairement aux autres groupes, HTC est unanimement désigné pour cible et comme groupe terroriste par les États-Unis. Damas, Moscou et Téhéran ont toujours continué à l’appeler al-Nosra. « Si le gouvernement syrien reprenait Idleb après une offensive, le groupe pourrait survivre en se transformant en guérilla à long terme. Abou Maria al-Kahtani (jihadiste irakien d’HTC) a mentionné un tel scénario. Mais je ne pense pas que le groupe puisse vraiment survivre en tant que territoire contrôlant une entité », conclut Aymenn Jawad al-Tamimi.

*Les noms ont été modifiés.



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