Depuis des semaines, tous les jours, selon les heures de la journée – ou plutôt de la nuit –, des milliers de voyageurs attendant un peu moins de deux heures à l’intérieur du lobby de départ de l’aéroport de Beyrouth pour franchir le portique de sécurité menant aux comptoirs des compagnies d’aviation.
La nuit de dimanche à lundi n’était pas une exception. Cette période constitue en fait le grand retour de vacances des Libanais de la diaspora. Et la direction de l’aéroport n’a pris aucune décision pour améliorer la situation. Elle n’a même pas mis en place un système pour faire passer les voyageurs qui attendent leurs vols dans la foule, alors que l’heure du départ de leur avion approche inéluctablement. Plus d’un voyageur durant la haute saison, notamment en août et septembre ainsi que lors des fêtes de fin d’année, ratent leurs vols, alors qu’ils sont à l’aéroport attendant leur tour devant l’entrée des portiques de sécurité. Le pic de l’attente pour les départs concerne les vols prévus à l’aube (entre deux heures et cinq heures) ainsi que ceux du matin (de sept heures à dix heures). C’est à ces heures que plusieurs vols sont prévus presque simultanément.
Aucune mesure n’est prise non plus pour que les files d’attente soient respectées. Des files de deux ou trois rangées se transforment après une centaine de mètres en une seule rangée, et de nombreux voyageurs qui ne savent pas faire du coude-à-coude pour préserver leur place sont devancés par d’autres. Plus encore, aucune machine supplémentaire pour le contrôle des bagages.
1h30 du matin, lundi. Au lobby des départs de l’Aéroport international Rafic Hariri, deux groupes de voyageurs tentent de faire la queue pour entrer chacun dans une direction, est et ouest. Les voyageurs sont venus au moins trois heures à l’avance. Ils fournissent tous la même réponse quand on les invite à donner leur avis sur l’aéroport : « Dégueulasse. »
(Lire aussi : Saturation de l’AIB : Fenianos présente ses excuses et se défend)
Certains élaborent un petit peu en lançant : « À l’image de l’État libanais », ou encore « Comme tout au Liban ». D’autres se contentent de s’exclamer : « Que Dieu nous vienne en aide ! »
Maria, qui travaille aux États-Unis et qui vient chaque année visiter sa famille, répond par une question : « Est-ce seulement la situation de l’aéroport qui cloche au Liban ? »
Belle, qui rentre avec ses parents au Canada et qui n’est pas venue au pays du Cèdre depuis dix ans, note : « Je reviendrai probablement un jour pour revoir encore une fois la famille. La situation à l’aéroport est un exemple comme tant d’autres de ce qui ne fonctionne pas au Liban. »
Un médecin de Tripoli, qui part à Istanbul pour une conférence, confie : « J’ai quitté Tripoli à 23 heures car mon vol est prévu à 5 heures du matin. Le trajet Tripoli-aéroport de Beyrouth m’a pris 1 heure 15. Là, j’attends depuis au moins une heure. Je pars pour 36 heures à Istanbul pour du travail… C’est une façon de voir à quel point notre État respecte ses citoyens. Mieux vaut en rire qu’en pleurer », dit-il calmement.
(Lire aussi : « Une foule encore plus dense à l'aéroport de Beyrouth pour les deux semaines à venir »)
« Nos dirigeants sont des voleurs »
Un couple et leur fille partent pour Paris. Arrivés de Damas, ils sont surpris de voir autant de monde. « Le temps que nous avons gagné ce soir à Masnaa, nous le passons dans la file d’attente à l’aéroport », raconte la femme, soulignant que « leur agence de voyages ne les a pas prévenus de la foule à l’AIB ».
Depuis la guerre en Syrie, l’aéroport reçoit un grand nombre de voyageurs syriens qui quittent leur pays pour l’Europe et l’Amérique en raison de l’embargo occidental frappant l’aéroport de Damas.
Un homme, qui part pour deux semaines en voyage d’affaires, s’insurge : « Nous avons payé dix fois plus le coût de la construction de l’aéroport, comme d’ailleurs pour tous les grands ouvrages d’infrastructure, car nos dirigeants sont des voleurs, et voilà ce que nous avons aujourd’hui. Ils se remplissent les poches à nos dépens et ne nous donnent rien en retour, même pas une route bien asphaltée. Le pays est endetté jusqu’au cou et il nous faudra des générations pour rembourser ces dettes… De nombreux aéroports africains sont de loin meilleurs que l’aéroport Rafic Hariri… De plus, ils donnent leurs noms à ce qu’ils construisent. » « Ah, ils construiront bientôt deux nouvelles ailes ? Ils les baptiseront comment ? Les salles Gebran Bassil ? » dit-il, amer.
Bientôt, 18 millions de dollars seront versés pour les travaux d’agrandissement qui devraient être entamés à la fin du mois de septembre.
Dans la foule, une famille qui part à Istanbul, un couple qui va à Abuja et un homme qui voyage à Paris engagent la conversation. « Je pense que l’État a planifié cette pagaille à l’aéroport, il veut que les Libanais de tous bords fassent connaissance et fraternisent », ironise l’un des hommes. « C’est mieux que les médias sociaux », renchérit un autre.
Mais plus le temps passe dans ce semblant de file d’attente, plus les voyageurs perdent patience. Et on entend par intermittence des éclats de voix, chacun voulant préserver sa place dans une file qui n’en est pas une et où règne la pagaille.
Il est 2h30. Il fait de plus en plus chaud. Le lobby de départ est noir de monde. La foule devient plus dense et on ne peut plus distinguer ceux qui attendent leur tour pour aller vers l’entrée est de ceux qui vont vers l’entrée ouest.
Un étage plus bas, le lobby des arrivées, 4 vols ont atterri presque en même temps. Le lobby paraît sombre tant il y a de monde.
Quelques voyageurs commencent à sortir. Ils tirent leurs valises car ils n’ont pas trouvé de caddie à l’arrivée. À un moment, il leur est difficile d’atteindre les sorties car celles-ci sont bloquées par des personnes qui attendent des voyageurs. Une scène qui ne semble pas émouvoir les agents de sécurité.
Un homme vient de sortir de l’enceinte de l’aéroport avec trois petites filles, chacune tirant une valise. Il vient de Munich. Il détient la nationalité libanaise, mais ses filles n’ont que le passeport allemand. « J’ai attendu 30 minutes pour que les agents de la Sûreté générale décident si je dois prendre la file des Libanais ou celle des étrangers. Et j’ai fini parmi les étrangers. C’est surréel », soupire-t-il.
La foule et le chaos devraient continuer à l’aéroport de Beyrouth jusqu’à la fin de la semaine.
Peut-être qu’avant de procéder aux travaux d’agrandissement, il serait judicieux pour les autorités concernées de repenser la gestion de l’aéroport, ou plutôt… sa mauvaise gestion.
Pour mémoire
Fenianos propose de simplifier les contrôles à l’AIB pour éviter la congestion
Près de 2 millions de touristes au Liban en 2018, selon le WTTC
Agrandissement de l’AIB et inauguration du nouveau Cedar Lounge
La MEA dévoile les nouveaux équipements de son centre de formation
Aggrandissement de l'AIB : à la recherche de la meilleure formule pour financer les travaux
commentaires (11)
Je n'ai pas eu droit à ce "calvaire" lors de mon voyage il y a une dizaine de jours. file d'attente réglementée contrôlée par des agents et des cordages, j'ai mis environ une heure pour passer. ensuite 1/2 heure à l'intérieur, donc ce n'était pas une affreuse attente, mais une attente normale. Voyager en haute saison implique ce genre d'aléas, j'ai eu ça à l'aéroport Charles de Gaule il y a quelques années, où j'ai dû facilement mettre une heure dans les interminables files de transfert.
lila
14 h 01, le 06 septembre 2018