Il est excellent et pourtant, certaines personnes n’ont toujours pas découvert ce restaurant, même s’il est ouvert depuis mars de l’année dernière. Peut-être même sont-elles passées devant sa terrasse sans le voir. Il n’en reste pas moins qu’il ne faut pas rater Kaléo, l’une des meilleures tables de Beyrouth aujourd’hui.
De la qualité et de l’élégance, sans aucune prétention... La presse spécialisée a beaucoup parlé de sa décoration, signée par les designers David et Nicolas, révélation du Salon de Milan 2014, qu’ils ont voulue informelle, mais surtout explosive, tout comme l’expérience gustative proposée. En y entrant, je me suis senti dans un de ces restaurants de Miami d’inspiration Art déco, mais sans y retrouver l’esprit des églises de Byblos, qui a inspiré le duo dans la conception des motifs décoratifs. Le design, avec ses dessins en zigzag reproduits un peu partout, m’a paru très chargé. Tellement que l’ensemble en devient légèrement chaotique. Un peu plus de simplicité aurait été bienvenu. Les couleurs utilisées, allant du bleu délavé au rose pâle, en passant par le vert clair, évoquent plutôt un espace estival, ou un local à la Café del Mar, ou même un grand jardin, et ne reflètent pas à mes yeux le concept du restaurant qui se veut européen, contemporain et gastronomique. Ne vous méprenez pas, l’intérieur est très artistique, à commencer par le choix du tapis imprimé monté sur le mur, la série de luminaires Juncos dispersés au plafond, la tapisserie en velours de mobilier de Pierre Frey et de nombreux autres détails, jusqu’aux robinets Vola dans les toilettes. Hélas, le tandem de designers n’a pas réussi à concevoir une ambiance adaptée au concept proposé par le groupe Found’d dirigé par Nagib Zeidan (déjà connu pour d’autres restaurants plus commerciaux tels que DT, Sô, The Gathering, entre autres).
Passons à présent à table ! Car le chef cuisinier Georges Nicolas va vous éblouir avec ses plats savoureux et son talent en matière de présentation. Vos yeux se régaleront, tout comme votre palais, avec une expérience exceptionnelle. Ses débuts en France chez Lenôtre, sous la houlette d’un chef français 3 étoiles Michelin, ont certainement influencé les plats remarquables qu’il offre à Kaléo, et jusqu’à la présentation de succulents desserts.
Chaque détail
Tout commence avec un personnel très amical et accueillant, professionnel et discret – les serveurs savent disparaître quand il le faut et réapparaître instantanément au moindre appel. Ils offrent même un petit tabouret aux dames pour ne pas qu’elles déposent leur sac par terre. Ces détails se font rares et ce sont eux qui comptent. En fait, toute l’expérience au Kaléo mériterait une étoile Michelin ! De plus, orchestrée par un chef libanais, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine fierté.
L’instant de plaisir(s) démarre avec trois types de beurre servis avec un assortiment de pain français. Le pain n’est pas toujours servi chaud, il faut y remédier. À ne pas manquer : le pain brioché. Ceci n’est qu’un aperçu des choses à venir car s’ensuit un trio d’amuse-bouche exquis : des gougères légères, des rillettes de poisson servies sur des chips de riz et des cubes de chèvre saupoudrés de noix. Le gaspacho proposé comprend un mélange de tomate et de pastèque (qui lui insuffle une couleur plus foncée et une douceur agréable) servi autour d’un morceau de burrata déposé sur des tomates en dés au milieu du bol et relevé d’une pointe de piment d’Espelette. Ce plat était tellement rafraîchissant que j’en garde encore un souvenir précis. Pareil pour le carpaccio de mérou, saupoudré de la bonne dose de jus de citron, d’huile et d’épices, et décoré de fleurs comestibles. Un délice. Cette touche artistique se retrouve d’ailleurs dans chaque assiette, qui devient ainsi un régal complet pour les sens. La déclination d’artichauts est également une œuvre d’art, tellement qu’on hésiterait à y planter sa fourchette et en gâcher la présentation. Le tartare de mérou est frais et très savoureux, l’aubergine grillée un régal servi avec sa propre sauce miso. Cependant, tous les plats ne sont pas aussi réussis : les grenouilles servies de deux façons ne devraient l’être que dans leur version frite – celle préparée « en mousse» perd sa saveur dans le mélange. Alors que l’œuf bio poché aux cèpes, malgré sa présentation insolite, peut facilement être supprimé de la carte car il est insipide et n’ajoute rien à ce menu 5 étoiles.On pourrait facilement s’arrêter là, totalement heureux et satisfaits. Mais croyez-moi, les plats chauds sont également savoureux, alors profitez de l’un des rares restaurants de Beyrouth qui, encore une fois, mériterait vraiment sa propre étoile Michelin pour vous faire plaisir. Que vous optiez pour un filet de bœuf wagyu, tendre et juteux, cuit à la perfection, ou pour l’entrecôte de bœuf, assurez-vous de commander les pommes Kaléo en accompagnement. Elles sont frites deux fois, une fois comme vous le feriez à la maison, et une autre fois à une température très élevée, afin de leur imposer un choc thermique et de les faire souffler comme le ferait le pain arabe dans un four. Elles sont si croquantes, si légères et si bonnes qu’on en redemanderait plusieurs fois. Ne manquez pas non plus les côtelettes d’agneau rôties au romarin, accompagnées de purée de pommes de terre et de légumes. Ce plat est encore une autre œuvre d’art de ce chef artiste. Essayez aussi le saumon grillé sur son lit vert, parfaitement cuit pour le garder moite à l’intérieur tout en conservant toute sa saveur, les tagliatelles aux cèpes orcini, ou le risotto servi maintenant avec des crevettes au lieu du homard, et des asperges vertes parfaitement cuites et assaisonnées, fraîches et croquantes… Il existe sur cette carte tellement de plats à découvrir et savourer qu’il m’a fallu plusieurs visites pour en faire le tour. Et ce n’est pas fini !
Desserts cinq étoiles
Lorsque l’heure du dessert a sonné, nous en avons choisi deux, à ne pas rater : l’éclair au chocolat, servi en taille XXL, préparé avec du chocolat de qualité supérieure. Magnifique. Et le mille-feuille caramel au beurre salé. Un dessert orgasmique ! Je n’en ai jamais goûté de meilleur... Le chef s’est vraiment surpassé avec ce dessert cinq étoiles, sans tomber dans un excès de sucré. À essayer, aussi, lors d’une prochaine visite, la coupe de fruits rouges saison et la tarte mi-cuite au chocolat. Tous ces desserts sont des plaisirs visuels aussi. À éviter, l’inutile agrumes en tarte.
Bizarrement, et malgré toutes ses qualités, le restaurant affiche rarement complet. Peut-être est-ce le décalage entre la décoration et le concept. Ou le bar, placé au centre des regards : pourquoi lui donner tant d’importance lorsque vos plats gastronomiques sont la meilleure chose que vous avez à offrir ? Peut-être le plafond bas ou les tables hautes que personne n’utilisera. Le mauvais éclairage de la terrasse qui ne met pas le restaurant en évidence. Ou enfin la manière dont le menu est présenté : les clients sont surpris d’y découvrir d’abord le menu dégustation pour 100 $ et une carte de vins avec des bouteilles à des prix astronomiques. Avec plus de 2 000 bouteilles dans sa cave, il serait préférable que le restaurant propose une plus grande sélection de vins au verre, qui sont aujourd’hui très limités, notamment en ce qui concerne le rosé. Quoi qu’il en soit, le chef Georges mérite d’avoir un restaurant complet tous les jours et tous les soirs de la semaine. À 90$ par personne en moyenne, ce n’est sûrement pas très bon marché. Mais quand vous voyez ce que vous obtenez pour votre argent, c’est l’un des meilleurs tickets prix / qualité en ville. Et lorsque vous aurez visité les lieux, assurez-vous de descendre jusqu’aux toilettes, discrètement dissimulées derrière une porte coulissante à miroir et qui sont impeccablement propres à tout moment et équipées de la toute dernière technologie de sèche-mains Dyson.
DATA
Son : niveau max = 95,1 dB, TWA = 54,4 dB
Qualité de l’air : 91/100 (bien), COV 0.15 ppm, humidité 62%, température +21°C
NOTES
Son : 4/5
Décoration : 3/5
Personnel : 4.5 / 5
Plats : 4.5 / 5
Propreté : 4.5 / 5
Avis : excellent
Prix : élevé
EN RÉSUMÉ
On aime bien : pain brioché, gaspacho, carpaccio de mérou, tartare de mérou, filet de bœuf Wagyu, entrecôte de bœuf, pommes Kaléo, côtelettes d’agneau rôties au romarin, saumon grillé sur son lit vert, éclair au chocolat, mille-feuille caramel au beurre salé.
On aime moins : œuf bio poché aux cèpes, agrumes en tarte.
Le conseil : n’attendez plus, réservez votre table au plus tôt et partagez cette expérience culinaire avec un groupe d’amis qui apprécient la gastronomie ; commandez plusieurs plats et dégustez. Faites-vous plaisir sans modération.
Kaléo, rue Dr Faouzi Daouk, 24 avenue du Parc, Mina el-Hosn.
*Critique gastronomique
Il agit dans l’ombre, même si sa signature énigmatique lui donne des airs de gentlemen franco-anglais. Cordon Courtine sévit dans les restaurants de la capitale undercover pour y goûter le meilleur, et parfois le pire. Il revient, un samedi sur deux, pour vous donner ses impressions, toujours très objectives, sur tout ce qui fait la (bonne) réputation d’un restaurant, des saveurs aux odeurs, en passant par la décoration et la propreté des lieux. Bon appétit.
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E-mail : cordoncourtine@gmail.com
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09 h 36, le 02 septembre 2018