Le départ en vacances du Premier ministre Saad Hariri n’aura pas réduit les tensions au sein de chacune des communautés sunnite, chrétienne et druze, dont les différentes composantes tirent le drap chacune de son côté pour obtenir la meilleure représentation au sein du prochain gouvernement.
Côté druze, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, qui s’était entretenu mercredi avec le président de la République Michel Aoun, s’est montré à l’issue de sa visite plus que jamais attaché à son « droit » de nommer seul les trois ministres druzes, voulant ainsi mettre à l’écart le président du Parti démocrate, Talal Arslane, soutenu par le Courant patriotique libre (CPL), dans son insistance à prendre part au cabinet.
Chez les sunnites, la position des députés ne gravitant pas dans l’orbite du courant du Futur était hier tout aussi rigide. Fayçal Karamé, Abdel Rahim Mrad, Jihad Samad, Walid Succarié, Kassem Hachem et Adnan Traboulsi ont réclamé, lors d’une réunion au domicile de M. Karamé à Beyrouth, « le droit des six députés indépendants à se faire représenter au gouvernement d’union nationale en gestation, d’abord dans le respect du principe de l’unité nationale, et ensuite dans le souci d’établir l’équilibre proportionnel au sein des communautés sur base des derniers résultats électoraux ». Dans le communiqué qu’ils ont publié à l’issue de leurs discussions, MM. Karamé, Mrad, Samad, Succarié, Hachem et Traboulsi ont ainsi jugé que « l’intérêt national veut qu’aucune partie politique ne soit écartée de ce gouvernement qui devra affronter de nombreux défis politiques, économiques et sociaux ».
En réponse à une observation émise par un journaliste selon laquelle cette réunion s’est tenue en présence de seulement six participants, sans les quatre autres députés sunnites, l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, député de Tripoli, Oussama Saad, député de Saïda, Fouad Makhzoumi, député de Beyrouth, et Bilal Abdallah, député de Chouf-Aley (joumblattiste), M. Karamé a affirmé qu’« abstraction faite de cette absence, il faut qu’ils soient représentés ».
(Lire aussi : Procédure et sinécure, le billet de Gaby NASR)
Prérogatives constitutionnelles
Sur le point de savoir comment le groupe des six parlementaires réagirait si le Premier ministre Saad Hariri persistait à ne pas vouloir satisfaire leurs requêtes, le député a estimé qu’« au cas où notre demande de participation est rejetée, cela voudra dire qu’on ne veut pas d’un gouvernement d’union nationale mais d’un cabinet loyaliste ». Un autre journaliste a alors demandé : « Si Gebran Bassil adopte la position de M. Hariri, pensez-vous qu’il y aurait moyen de vous faire représenter au gouvernement ? » « C’est à M. Hariri et à personne d’autre que revient la charge de former le gouvernement », a martelé M. Karamé, souhaitant que « les prérogatives du chef du gouvernement ne soient pas outrepassées ». « Ces prérogatives sont constitutionnelles et il ne faut faire aucune concession sur ce plan », a-t-il insisté.
À noter que les six députés sunnites tiendront une nouvelle réunion mardi prochain au siège du Parlement, en vue de continuer à exercer la pression pour faire accepter leurs exigences.
L’attitude à travers laquelle les personnalités de la communauté sunnite rejettent fermement toute atteinte aux prérogatives de la troisième présidence s’est illustrée hier également lors d’une réunion du Conseil des muftis présidée par le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, à Dar el-Fatwa. Au terme de la séance, les chefs religieux ont mis l’accent, dans un communiqué, sur « le danger de toucher aux prérogatives du Premier ministre, chargé en vertu de la Constitution de former le gouvernement en concertation avec le président de la République, après des consultations parlementaires non contraignantes menées auprès des blocs parlementaires ».
Les responsables religieux ont en outre déploré le retard dans la formation du cabinet, dû selon eux « aux tentatives de trouver des normes qui sont en contradiction avec le pacte national et l’accord de Taëf ».
(Lire aussi : Pour la formation du gouvernement, Baabda n’est pas la bonne adresse..., le décryptage de Scarlett Haddad)
Quant au vif conflit marquant les relations des deux principales composantes chrétiennes, les Forces libanaises (FL) et le Courant patriotique libre (CPL), les efforts déployés par le président de la République Michel Aoun pour établir une trêve entre elles ne semblent pas avoir porté leurs fruits. M. Aoun s’était entretenu lundi à Baabda avec le chef des FL, Samir Geagea, qui dès le lendemain avait délégué le ministre de l’Information, Melhem Riachi, auprès du chef du CPL, Gebran Bassil, dans la même perspective de calmer le jeu. Mais M. Bassil n’aura pas attendu 24 heures pour mettre à nouveau le feu aux poudres, affirmant mercredi dans un entretien accordé à la chaîne MTV, avant son départ pour un séjour privé en Italie, que la part des FL dans le prochain gouvernement doit se réduire à trois portefeuilles. Le chef du CPL a par ailleurs accusé dans cette même interview les ministres FL sortants de « ne pas avoir soutenu correctement le régime », avant de critiquer leurs prestations, notamment celles du ministre de la Santé, Ghassan Hasbani. Il l’a accusé par exemple de « n’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de la question des plafonds financiers des hôpitaux que lorsque le cabinet s’est transformé en gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes ».
(Lire aussi : Le cabinet attend un geste de Bassil en direction de Geagea et Joumblatt, l'éclairage de Philippe Abi Akl)
Un accord à requinquer
Ce qui lui a valu une réplique verte de M. Hasbani, qui s’est demandé hier devant des militants pour la protection de l’environnement, venus le rencontrer au siège du ministère, « sur quelle planète vit donc le ministre des Affaires étrangères, sachant qu’il ne constate pas le travail fourni par les ministres des FL ». Et d’ajouter par ailleurs : « On nous accuse d’une rupture de stocks de certains médicaments, alors que nous avons constaté hier (mercredi) qu’aucun médicament ne manquait dans le dépôt de l’hôpital de la Quarantaine. » Et de diriger à son tour ses flèches contre les ministres sortants du CPL. « Qu’a donc fait le ministère de l’Environnement et comment la crise des déchets a-t-elle été résolue ? Quelles ont été les prestations du ministère de l’Économie ? » s’est-il ainsi interrogé, avant de lancer : « Nous avons un ministère de l’Énergie et de l’Eau, alors que l’eau est coupée et que moins de 15 % des réseaux d’égouts sont traités. »
Malgré ce duel à fleurets mouchetés, Alain Aoun, député de Baabda (CPL), a déclaré hier sur le site internet de la MTV qu’« il n’y aura pas de recul par rapport à l’entente de Meerab », reconnaissant cependant que « cet accord nécessite d’être requinqué ». Il a lui aussi attribué à l’attitude des ministres FL la détérioration des relations avec ce parti. « Ils ont enfreint le principe “Prends garde à ton frère” », a-t-il affirmé, révélant que « le CPL était disposé à se désister d’une partie de sa quote-part en faveur des FL, à la condition que ce parti s’aligne derrière le président Aoun ».
« Revoir nos calculs »
Face aux surenchères auxquelles se livrent tous les protagonistes, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, a mis en garde hier contre les entraves à la formation du cabinet. « Personne n’a intérêt à ne pas favoriser la formation d’un gouvernement compétent. Nous avons droit à bien plus que ce que nous avons accepté (en référence aux six portefeuilles dont « se contentent le Hezbollah et le mouvement Amal), mais nous n’avons pas haussé les enchères », a-t-il fait valoir, estimant que « le contexte ne supporte plus les slogans contradictoires des différents partis, brandis pour augmenter le nombre de parts réclamées ». Et d’ajouter : « Comme l’a dit Nabih Berry, ne nous laissez pas revoir nos calculs sur base des critères que vous avez établis. » Auquel cas, le nœud chiite viendrait transformer le tout en un véritable nœud gordien…
Lire aussi
Joumblatt à Baabda... sans percée
Les FL et le CPL commenceraient à faciliter la tâche à Hariri
Deux lectures opposées de l’impact des développements régionaux au Liban
commentaires (13)
L'OLJ du 6/7/2018 : Pakistan, l'ex-Premier ministre Nawaz Sharif condamné à 10 ans de prison pour corruption... Au Liban, les "Nawaz Sharif "libanais entravent la formation du gouvernement tant qu'ils n'ont pas la part du lion et pour les autres les miettes (fatafites).
Un Libanais
14 h 51, le 06 juillet 2018