Un char israélien à la manœuvre, hier, le long de la frontière avec la bande de Gaza, après des tirs de roquettes revendiqués par le Hamas et le Jihad islamique dans un communiqué conjoint. Jack Guez/AFP
Le Hamas et le Jihad islamique ressortent l’arsenal militaire dans la bande de Gaza. Après l’intermède de la marche du retour, dont le Hamas s’est appliqué à conserver le caractère pacifiste et populaire, les deux principales factions palestiniennes de l’enclave ont revendiqué hier soir dans un rare communiqué conjoint la responsabilité des tirs d’obus et de roquettes contre Israël quelques heures plus tôt. Vingt-sept obus de mortier ont été tirés hier matin depuis l’enclave vers le côté israélien de la clôture de sécurité. La plupart des obus ont été interceptés par le système de parapluie anti-missile israélien « dôme de fer », mais plusieurs ont frappé des localités du sud de l’État hébreu, des débris s’écrasant même dans un jardin d’enfants sans faire de victime. L’effet psychologique de l’attaque sur ce genre de cible « tabou » est vif et des représailles rapides de l’armée israélienne étaient donc prévisibles.
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Lors d’une conférence de presse peu après les tirs, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a averti qu’ « Israël prend très au sérieux les attaques menées contre (son territoire) (…) par le Hamas et le Jihad islamique depuis la bande de Gaza » et a promis que l’armée israélienne « répondra avec force à ces attaques ». Moins de six heures plus tard, l’armée israélienne menait des raids aériens contre des infrastructures du Hamas et du Jihad islamique dans la bande de Gaza, dans « la réplique la plus importante depuis 2014 », selon son porte-parole. Dans l’après-midi, d’autres tirs palestiniens ont visé le territoire israélien.Les renseignements militaires israéliens ont rapidement attribué les tirs de roquettes au Jihad islamique, dont trois membres avaient été tués dimanche dernier près de la clôture de sécurité par des tirs de char israélien, alors qu’ils manipulaient un engin explosif. Depuis, les Israéliens guettaient la mise à exécution des menaces de représailles du Jihad islamique. « L’ennemi sioniste ne peut pas dicter une nouvelle formule dans laquelle il blessera notre peuple sans une réaction douloureuse », avait en effet affirmé la branche armée du mouvement, les brigades al-Qods.
Avant même le communiqué commun des deux principales factions palestiniennes, Israël est parti du principe que les responsabilités étaient partagées entre le Jihad islamique et le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza depuis 10 ans. Le Hamas a en effet montré ces derniers mois qu’il avait repris en main les différentes factions de l’enclave palestinienne. Depuis le début des manifestations marquant les 70 ans de la Nakba en mars dernier, la ligne du Hamas consistant à cultiver l’image populaire et pacifique du mouvement avait été respectée par tous les acteurs armés de l’enclave, Jihad islamique compris. Même la journée du 14 mai, au cours de laquelle Gaza avait payé son plus lourd tribut humain depuis la guerre de l’été 2014, avait été exempte d’initiatives militaires de la part des factions palestiniennes.
Cette « discipline » contraste avec la période suivant l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014, où les répliques de tension étaient attribuées aux difficultés du Hamas à faire respecter le cessez-le-feu par les groupes paramilitaires dissidents. Le Jihad islamique étant aujourd’hui assez étroitement calé sur les orientations données par le Hamas, il était donc probable que ce dernier ait donné son feu vert pour les tirs de hier matin. Plutôt qu’un symptôme de discorde à l’intérieur de la « maison gazaouie », le retour à l’action militaire pourrait donc signaler une inflexion de la faction dirigeante et une révision de la ligne de conduite pacifique dictée par le Hamas lors des récentes manifestations.
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Rôle de l’Iran
Yahya Sinouar, le chef du Hamas dans la bande de Gaza, avait donné des signes avant-coureurs de cet infléchissement le 16 et le 21 mai dans deux interviews accordées respectivement aux chaînes al-Jazeera et al-Mayadeen. M. Sinouar a juré que si le Hamas était entraîné dans un nouveau cycle d’affrontements par Israël, ses brigades Ezzeddine al-Qassam réservaient des surprises à l’ « ennemi sioniste ». Dévoilant partiellement la surprise en question, il avait indiqué que l’Iran injectait armes, argent et technologies de pointe dans le mouvement, dont les capacités militaires auraient été significativement restaurées après la destruction par l’armée israélienne de la majorité des tunnels de contrebande.
La réalité du soutien militaire iranien reste probablement largement disproportionnée dans le discours de M. Sinouar, mais cette propension à bluffer pose tout de même question. La dissonance avec l’agenda palestinien est en effet frappante. Le prétendu flot d’armes iraniennes affluant à Gaza, a priori via l’Égypte puisqu’il n’y a pas d’autre route possible, est bien la dernière chose que les Égyptiens ont envie d’entendre, et ce alors que Le Caire a ouvert le passage de Rafah pour le ramadan et que le Hamas négocie un assouplissement supplémentaire. La santé retrouvée des forces militaires du Hamas et la signature de Téhéran qui y serait apposée sont probablement deux des pires craintes du président Mahmoud Abbas, alors que le mouvement islamique n’a pas encore totalement déserté le processus de réconciliation avec l’Autorité Palestinienne (AP). Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a au contraire fait de cette réconciliation une priorité dans son discours de « victoire » de la grande marche le 18 mai.
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Les propos de M. Sinouar et les tirs d’hier interviennent surtout après que le Hamas eut tendu des perches à Tel-Aviv pour négocier un accord capable de desserrer l’étau du blocus sur Gaza. Les Israéliens ont donné l’impression ces dernières semaines de lâcher du lest sur leur condition initiale, du désarmement complet de la bande de Gaza à la simple promesse de stopper les tirs de roquettes vers Israël.
Dans ce contexte, les tirs de roquettes hier contre l’État hébreu interrogent sur les raisons de ce revirement des factions gazaouies, et notamment le degré d’implication de Téhéran. Est-ce le Hamas qui agite l’épouvantail iranien pour faire pression sur Israël, ou Téhéran qui cherche à activer le front gazaoui pour compenser les déconvenues face à l’État hébreu en Syrie ? Le porte-parole de l’armée israélienne a dénoncé hier une implication de la République islamique, soulignant l’origine iranienne des armes utilisées.
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commentaires (5)
BONNE QUESTION SI ADRESSEE AUX IRANIENS INSTIGATEURS, FINANCIERS ET MANIPULATEURS DU HAMAS ET AUTRES ORGANISATIONS EXTREMISTES !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 48, le 30 mai 2018