Les Palestiniens ont crié leur désespoir. Les Israéliens y ont répondu avec violence et mépris. Le monde entier a pu assister en direct à cette séquence où les Gazaouis, voulant échapper à leur cage à ciel ouvert, se sont fait abattre comme des animaux sauvages qui tenteraient de sortir de leurs enclos, pendant qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, le champagne coulait à flots pour célébrer une énième humiliation infligée à un peuple que le gouvernement de Benjamin Netanyahu cherche à tout prix à effacer de l’histoire.
Les Palestiniens ont couru vers la mort. Les Israéliens ont tiré à balles réelles sur des jeunes désarmés. Personne, excepté les États-Unis de Donald Trump, n’a pu ignorer cette réalité. Malgré le rôle ambigu qu’a joué le Hamas dans ces événements – le mouvement islamiste n’étant vraiment pas exempt de tout reproche –, la communauté internationale a quasi unanimement condamné, dans des termes plus ou moins forts, le massacre de Gaza. Et pour cause : même pour ses plus anciens et ses plus fidèles amis, Israël est allé trop loin.
L’actualité ne va pas tarder à reprendre ses droits. Dès demain, le nucléaire iranien, le sommet nord-coréen ou la guerre en Syrie vont refaire la une des journaux. La « question palestinienne » va être à nouveau reléguée à la marge de l’actualité. Les dirigeants israéliens en ont parfaitement conscience. Une fois l’émotion passée, personne ne va venir au secours des Palestiniens. Il ne restera pour eux que la tragique réalité, telle que dictée par l’État hébreu et approuvée par Washington.
Les Palestiniens tombés sous les balles israéliennes ont peu de chance de faire avancer leur cause : c’est peut-être ce qu’il y a de plus terrible dans cette séquence. Sans alliés, sans stratégies, sans leadership, ils semblent condamnés à subir ce statu quo régressif. Ils regardent leur ennemi continuer de les déposséder de leur histoire en les accusant de terrorisme dès lors qu’ils cherchent à se défendre.
Soixante-dix ans après la Nakba, les Palestiniens ne peuvent toujours pas compter sur leurs « amis arabes ». À l’instrumentalisation de la cause a succédé un désintérêt, voire un mépris, plus ou moins assumé, des puissances arabes envers leurs « frères » palestiniens. Face à une nouvelle donne, où les États-Unis ne peuvent plus enfiler le costume de médiateur et où les Arabes détournent le regard, les Palestiniens ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
C’est à eux de profiter de ce moment où ils focalisent l’attention de la communauté internationale pour tenter de sortir de cette impasse. La succession prochaine de Mahmoud Abbas, que l’on dit en mauvaise santé, la possible apparition d’une nouvelle génération n’ayant pas été façonnée par Oslo, l’incapacité démontrée du Hamas à gérer Gaza, le rapprochement des pays du Golfe avec l’État hébreu et le choix américain de s’aligner sur les positions israéliennes sont autant de facteurs qui doivent pousser les Palestiniens à redessiner les contours de leur lutte.
Qui pour succéder à Mahmoud Abbas ? Les Palestiniens ont besoin d’un leader de la trempe de Yasser Arafat, mais aucune tête ne semble se dégager pour l’instant : Mohammad Dahlan est le candidat des pays du Golfe, alors que Marwan Barghouti, qui serait sans doute le plus légitime, est en prison. Le choix du successeur du raïs palestinien est d’autant plus important qu’il constitue peut-être une opportunité enfin de réconcilier le Fateh et le Hamas.
Quel plan de paix les Palestiniens souhaitent-ils défendre ? La solution à deux États, prônée par Oslo, ou la solution d’un État binational, qui gagne en popularité parmi la jeunesse palestinienne ? Même si Israël a démontré à de multiples reprises qu’il n’avait pas l’intention de négocier, l’objectif palestinien doit être clair s’il veut obtenir le soutien de certaines puissances internationales. Quelle stratégie pour parvenir à cet objectif ? La négociation ? La lutte armée ? Le boycott ? Là aussi les Palestiniens ont tout à gagner, à éclaircir leurs intentions pour renforcer leur crédibilité. Avec quels alliés et quels médiateurs ? Mahmoud Abbas souhaite désormais que les négociations se fassent sous l’égide de la communauté internationale. C’est sans doute une bonne idée, à condition de ne pas penser que les États-Unis peuvent être marginalisés sur ce dossier.
Ces questions apparaissent aujourd’hui dérisoires, en comparaison du drame que vivent tous les jours les Palestiniens. Mais c’est parce que cette situation risque d’empirer encore et encore durant les prochaines années, qu’il est essentiel d’y répondre clairement et fermement au plus vite.
De mémoire d'un émigré : Le président Camille Chamoun (1952-1958) avait invité le président tunisien Habib Bourghiba à visiter le Liban. Dans un discours, Bourghiba conseilla aux Palestiniens d'accepter ce que les Israéliens leur proposent à l'instar de ce qu'il avait obtenu de la France, l'indépendance dans l'interdépendance quitte à continuer à demander plus... Au cours d'une parade d'honneur à la Place des Canons aux côtés du président Chamoun, une pluie de tomates et d'oeufs visa le président Bourghiba pour avoir atteint à l'honneur de la Palestine. Où sont aujourd'hui en 2018 les vaillants lanceurs de tomates et d'oeufs avec leur litige avec Israél ?
19 h 30, le 19 mai 2018