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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Gaza, « le stress jusque dans les os »

L’armée israélienne a mené hier une série de frappes dans la bande de Gaza en représailles à des dizaines d’obus de mortier et de roquettes tirés depuis l’enclave palestinienne. Un niveau de confrontation inédit, depuis la guerre de 2014, et qui fait craindre une escalade.

Des colonnes de fumée s’élevant au-dessus de Gaza, après des bombardements israéliens, hier, contre l’enclave. Thomas Coex/AFP

La détonation est assez puissante pour faire vibrer les vitres et les cœurs gazaouis. L’obus s’élance dans le ciel dans une longue traînée de fumée blanche, puis s’arrête net, anéanti en plein vol par le « dôme de fer », le système de défense antimissile israélien. Nuage gris que le vent marin aura bientôt chassé.
La journée avait commencé tôt hier pour les habitants de Gaza, au son du chant des oiseaux et du bourdonnement incessant de l’aviation israélienne. Aux alentours de 7h, près de trente obus tirés depuis la bande de Gaza avaient déchiré l’aurore avant, pour la plupart, d’être interceptés ou, pour certains, de s’écraser en territoire israélien, dont l’un dans l’enceinte d’un jardin d’enfants, sans faire de blessés. Il s’agissait là de la plus large attaque du genre depuis la guerre qui a opposé à l’été 2014 l’armée israélienne au Hamas, l’organisation islamiste qui contrôle l’enclave palestinienne, et ses groupes armés alliés. Les tirs de roquettes se sont poursuivis l’après-midi. Trois soldats israéliens ont été légèrement blessés.


(Lire aussi : « À Gaza, l’économie et la société civile sont littéralement étouffées par le blocus israélien »)



« Bateau de la liberté »
La tension était donc grande quand plusieurs centaines de palestiniens se sont donné rendez-vous au port de Gaza en fin de matinée, après les tirs d’obus revendiqués par les branches armées du Hamas et du Jihad islamique en Palestine et avant la réponse israélienne qu’ils savaient inévitable. Tous réunis pour assister au départ du « bateau de la liberté » : une frégate mise en place par le comité d’organisation de « La grande marche du retour », déjà derrière les rassemblements réprimés dans le sang qui ont eu lieu chaque vendredi depuis le 30 mars à la barrière de sécurité séparant Gaza d’Israël. Cette fois, il s’agissait donc, pour les participants, de remettre en cause le blocus maritime, imposé depuis plus de dix ans, au même titre qu’un strict siège terrestre et aérien qu’Israël justifie par la nécessité de contenir le Hamas.
Jeunes au chômage, blessés, malades, activistes... L’équipage sélectionné pour embarquer a un but : dépasser pour dénoncer la limite qui impose aux navires de rester à moins de 16 kilomètres des côtes de Gaza. « J’ai peur d’embarquer. Mais quelle alternative avons-nous ? Si nous ne faisons rien, nous continuerons à souffrir », confie Raed Khaleel Deeb, 29 ans. Blessé par un tir israélien lors de la manifestation du 30 mars, il attend le grand départ à l’intérieur d’une ambulance, assis sur une chaise roulante.



Un événement, autant une opération de communication qu’un cri de désespoir, qui survient alors que le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, annonçait dimanche la construction d’une barrière maritime « infranchissable » : une digue fortifiée et surmontée de barbelés pour empêcher toute incursion de l’enclave vers Israël. Sans grande surprise, la frégate palestinienne sera finalement interceptée par les forces navales israéliennes.
 « Les gens ici meurent à petit feu. Chaque jour, nous perdons des dizaines de gens à cause du siège qui les empêche de se déplacer librement, à cause de la pauvreté et du chômage. Chaque mois, des dizaines de malades meurent parce qu’ils n’ont pas la permission de sortir », se désole Salah Abdel Ati, membre du comité d’organisation de la « Grande marche du retour », et qui insiste que son événement pacifique est indépendant des factions politiques.


(Lire aussi : Escalade à Gaza : pourquoi maintenant ?)

« Double occupation »
Mais la présence de nombreux responsables du Hamas et du Jihad islamique dans la foule et sur scène ne laissait aucun doute quant à la récupération politique faite d’un événement qui se voulait issu de la société civile. La veille déjà, un responsable d’une administration publique dirigée par le Hamas avait pris soin d’appeler à plusieurs reprises journalistes locaux et étrangers pour les inviter à couvrir l’événement, voire même à embarquer sur le « bateau de la liberté ». Une présence dénoncée à voix basse par certains Gazaouis, qui n’hésitent plus à parler d’une « double occupation » : celle, forcément, infligée par Israël, mais aussi celle que leur fait subir « le régime », comme les plus critiques à Gaza appellent désormais le Hamas et ses alliés, qu’ils considèrent aussi responsables des accès de violences qui secouent l’enclave depuis deux mois.
 « L’escalade, c’est Israël qui l’a commencée en tuant plus de cent personnes ces dernières semaines, se justifie un responsable du Jihad islamique, dont plusieurs membres ont été tués par l’armée israélienne pendant le week-end. Maintenant, les deux seules options que nous avons, c’est de continuer à marcher vers la ligne de démarcation pour affronter les forces israéliennes de manière pacifique. Et en même temps, nous avons été forcés d’utiliser la résistance armée pour défendre les habitants de Gaza. »


(Lire aussi : Raids israéliens et tirs palestiniens, confrontation la plus sévère depuis 2014)


Paradoxalement, c’est sur les bateaux qui s’élançaient vers les eaux interdites que les Gazaouis se sentaient finalement le plus en sécurité. Au loin, au-dessus de la jungle de béton, des colonnes de fumée noire ont rapidement envahi le ciel. L’armée israélienne annoncera avoir frappé plus de 35 cibles sur sept installations appartenant au Hamas ou au groupe Jihad islamique. Elle a également détruit un tunnel, le dixième depuis octobre 2017 selon elle. Aucune victime n’avait été rapportée hier côté palestinien.

Dans la nuit de mardi à mercredi, le Jihad islamique a annoncé qu'un accord de cessez-le-feu avait été conclu entre les organisations palestiniennes et Israël sous les auspices de l'Egypte. "Pas de commentaire", a répondu l'armée israélienne.

Si chaque parti semble vouloir répondre aux agressions de l’autre tout en évitant de provoquer une escalade, beaucoup à Gaza redoutent désormais un nouvel été guerrier, quatre ans après l’opération israélienne « Bordure protectrice », qui a fait près de 2 200 victimes côté palestinien et 73 côté israélien, dont 66 soldats. « Les gens attendent dans l’angoisse de voir ce qu’il va se passer. Je suis encore traumatisé de 2014, là je sens le stress jusque dans mes os », confie un jeune Gazaoui qui dit désormais ne plus rêver que d’une chose : rejoindre le monde extérieur, que ce soit par voies terrestre, maritime ou aérienne, tant que le ticket est sans retour.



La détonation est assez puissante pour faire vibrer les vitres et les cœurs gazaouis. L’obus s’élance dans le ciel dans une longue traînée de fumée blanche, puis s’arrête net, anéanti en plein vol par le « dôme de fer », le système de défense antimissile israélien. Nuage gris que le vent marin aura bientôt chassé. La journée avait commencé tôt hier pour les...

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