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Liban - Législatives 2018 - Interview

Samy Gemayel : Il faut assurer la présence de voix libres et incorruptibles dans le nouveau Parlement

Samy Gemayel. Photo Kataëb

Dans le cadre de la vaste couverture qu’il assure au processus électoral en cours, L’Orient-Le Jour a pris l’engagement de présenter à ses lecteurs une longue série de portraits et d’interviews express afin de leur permettre de se forger une opinion sur la personnalité et les orientations des différents candidats aux législatives.

Nous poursuivons aujourd’hui la publication d’interviews avec les chefs de parti et les chefs de file des principaux courants qui se disputent l’échiquier politique local, entamée la semaine dernière avec le chef du CPL, Gebran Bassil. Ces interviews portent sur une approche macropolitique du processus électoral afin d’en dégager les véritables enjeux stratégiques.

L’ossature de ces interviews sera la même pour les différents chefs de parti, en ce sens que les questions seront quasi identiques. Les chefs de parti seront ainsi interrogés sur leur évaluation de la loi électorale, les fondements des alliances électorales qu’ils ont conclues, leur perception de l’enjeu stratégique et macropolitique de la bataille électorale et les priorités que leur bloc parlementaire pourrait définir après le scrutin. Le tour est aujourd’hui au chef du parti Kataëb, le député Samy Gemayel.

* * *

Bickfaya. Un brouillard épais pèse comme un couvercle sur le village. L’hiver refuse toujours de capituler. Un peu comme le chef des Kataëb Samy Gemayel, qui avec des idées claires appelle les Libanais à une « résistance politique » par les urnes pour dire « oui » le 6 mai à la souveraineté et « non » aux tuteurs et corrupteurs.

Tête de liste et candidat à l’un des sièges maronites du Metn, Samy Gemayel reconnaît que la nouvelle loi électorale est à même d’assurer une meilleure représentation que celle de 1960, sur base de laquelle le scrutin de 2009 avait été organisé. « Mais en même temps, elle a été faite sur mesure et favorise certaines composantes aux dépens d’autres », affirme-t-il, en évoquant « beaucoup de failles au niveau pratique », notamment pour ce qui vise à empêcher les achats de voix.


(Lire aussi : Teymour Joumblatt, l’homme qui veut en finir avec la politique des clans)


L’exploitation des services de l’État
Mais il y a plus grave, selon lui : l’absence de garde-fous face à l’exploitation des services de l’État par le pouvoir à des fins électorales, par le biais des ministères notamment. « Le ministère des Affaires étrangères fait pleinement la campagne d’un parti et utilise les ambassades comme plateforme. Certains partis ont un accès aux numéros de téléphone et d’autres non. Des lettres sont envoyées par des ministres pour encourager des gens à voter, mais ces ministres sont candidats aux élections et tout ceci est fait officiellement à travers les canaux du ministère », dénonce M. Gemayel.

Le député du Metn rappelle que son parti avait pris une position de principe en faveur d’un « gouvernement neutre et impartial, formé de ministres non candidats », pour l’organisation des législatives. « Or, il y a seize ministres candidats, dont le ministre de l’Intérieur, qui est censé être en charge du bon déroulement du processus et de la neutralité de l’État. Sa candidature en soi pose un grand point d’interrogation sur la crédibilité du processus », affirme-t-il.

La démission, le 20 avril, de Sylvana Lakkiss, représentante de la société civile au sein du comité de supervision des élections, constitue selon lui « un autre signe très négatif » de la gestion des élections par le pouvoir. « Il n’y a aucun contrôle concernant les limites des dépenses électorales, aucun suivi au sujet des plaintes que nous déposons s’agissant des achats de voix. Nous ne savons plus à quel saint nous vouer ! » dit-il, évoquant par exemple la nomination du député sortant Farid Élias Khazen comme ambassadeur au Saint-Siège à quelques jours du scrutin comme une autre « tentative du pouvoir d’influencer le cours des élections ». « L’opposition a-t-elle ces moyens d’influencer les élections ? » s’interroge-t-il.


(Lire aussi : Nadim Gemayel : La souveraineté de l’État, passage obligé pour s’attaquer aux dossiers socio-économiques)


La tutelle du Hezbollah
Le député soulève par ailleurs la « désubstantialisation » du débat politique et électoral qui découle de la loi électorale, et tout particulièrement du vote préférentiel. « Le problème du vote préférentiel, c’est qu’il a remis sur la sellette l’argent électoral. Le débat aurait été beaucoup plus politique sans le vote préférentiel, et les listes beaucoup plus cohérentes », dit-il ainsi. De plus, « les apparitions médiatiques sont devenues très chères, ce qui est une atteinte au principe d’égalité des chances entre les candidats. C’est l’élection des plus riches », déplore-t-il.   « Nous avons voté contre cette loi, nous avons été attaqués pour cela, et son changement après le 6 mai constituera l’une de nos priorités », lance le chef des Kataëb.

Saluant l’initiative d’organiser pour la première fois un vote pour la diaspora, Samy Gemayel soulève toutefois qu’il est incompréhensible que les bulletins ne soient pas dépouillés le jour même devant les scrutateurs et qu’il faille les transporter ici pour ce faire. « Nous avons enregistré beaucoup de failles dans le processus. » J’espère qu’elles ne sont pas voulues et qu’il ne faut les mettre que sur le compte d’une grosse désorganisation », dit-il.

Le chef des Kataëb exprime également ses craintes concernant un éventuel remaniement du Conseil constitutionnel dans la phase postélectorale et déplore » l’absence de toute neutralité et de tout arbitrage « à l’ombre du pouvoir en place. Dans son réquisitoire contre le pouvoir, Samy Gemayel évoque aussi la chasse aux sorcières menée par le ministère de la Justice pour museler les opposants comme Farès Souhaid ou lui-même, ou encore de jeunes militants, à travers « un appareil judiciaire instrumentalisé ». Il soulève enfin le cas du journaliste-candidat Ali el-Amine, agressé par des partisans du Hezbollah sans que l’État ne bouge le petit doigt, « une catastrophe ».


(Lire aussi : Bassil à « L’OLJ » : Il est beaucoup trop tôt pour parler de présidentielle)


Souverainisme et lutte contre la corruption
« Le Liban n’est pas dans une situation normale. Il est sous tutelle depuis un certain temps. C’est le Hezbollah qui a nommé notre président de la République et notre gouvernement, et a choisi la loi électorale », explique Samy Gemayel. Et d’ajouter : « Nous sommes dans une position de résistance démocratique face à une mainmise politique du Hezbollah et d’un système corrompu, qui dispose de l’aval de ce parti pour faire ce qu’il veut au niveau du partage du gâteau. Or, notre objectif est de renforcer la présence de voix libres et indépendantes dans le Parlement pour que ces députés soient la voix du peuple, de la raison, de la Constitution, et pour continuer notre combat en faveur d’un Liban indépendant et souverain, ainsi que d’un État de droit qui fonctionne normalement et qui soit débarrassé de la corruption. »

Pour Samy Gemayel, il existe deux enjeux majeurs à ces élections. Le premier est « celui de savoir si le Hezbollah aura une majorité au sein du nouveau Parlement. Après avoir mis la main sur la présidence et le gouvernement, voici venu maintenant le tour de la Chambre. Nous avons peur d’une légalisation de fait des armes ainsi que plus d’enfermement du Liban dans une alliance régionale déterminée », dit-il. Quant aux craintes relatives à un retour à l’ère sécuritaire qui prévalait sous la tutelle syrienne, avec le retour de figures proches de Damas au Parlement, le chef des Kataëb estime que « le régime sécuritaire était déjà de retour depuis avant le 6 mai, à travers le compromis présidentiel et l’instrumentalisation de la justice par ce gouvernement ».

Le second enjeu est « la présence de voix libres et incorruptibles, qui s’expriment au nom des citoyens, qui défendent les intérêts sociaux et économiques des Libanais et qui puissent combattre la corruption ». Parce que, explique-t-il, « si le Liban s’effondre au plan économique, tout s’effondre. Or, nous craignons un tel effondrement, qui est appuyé par les chiffres ».



Éviter l’effondrement de l’État
Concernant ses alliances électorales, le chef des Kataëb rappelle que l’objectif de son parti était, en tant que composante de l’opposition, de créer une dynamique pour créer un vrai bloc d’opposants au Parlement « en nous alliant avec les plus proches de nous dans chaque région ». « Là où nous avons pu le faire, nous nous sommes alliés à ceux qui nous ressemblent : la société civile et les indépendants qui partagent notre discours souverainiste et réformiste. Là où nous n’avons pas trouvé cette opposition, nous avons traité avec ceux qui sont plus opposants que les autres et qui restent les plus proches de nous », explique-t-il. C’est dans ce cadre qu’il replace son alliance dans certaines circonscriptions avec les Forces libanaises. « Nous avons des divergences sur plusieurs dossiers, à commencer par celui du compromis présidentiel, mais nous avons aussi un passé et certains combats communs », note-t-il.

Sa priorité à l’hémicycle ? « Une réforme rapide pour éviter l’effondrement de l’État, diminuer les dépenses, baisser le déficit, qui va mener à un effondrement des finances publiques et trouver une solution au problème des armes. » Le chef des Kataëb estime que « loin de retarder l’effondrement économique et politique du pays, le compromis présidentiel l’a précipité. Le Liban est aujourd’hui isolé au plan international et abandonné à un partage du gâteau sur la scène locale ». Et ce malgré les conférences internationales qui sont organisées pour venir en aide au pays. « L’État libanais est en train de jouer un double jeu qui ne peut pas durer longtemps. Combien de temps va-t-il pouvoir échapper au choix qu’il devra prendre entre se conformer aux résolutions 1559 et 1701, ou rester prisonnier du Hezbollah ? » s’interroge-t-il.

Samy Gemayel aspire à former avec ses alliés un bloc d’opposition conséquent au Parlement. « Nous avons montré de quoi nous étions capables avec 5 députés seulement en tant que Kataëb. Nous venons de réussir deux batailles, que nous avons initiées et gagnées, autour de l’article 49 du budget et des navires-centraux. Avec un bloc plus grand, nous pouvons faire bien plus que cela et recommencer à rêver à des jours meilleurs », dit-il.

Son message aux Libanais pour le 6 mai ? « Tout dépendra de leur volonté et du Liban qu’ils veulent construire. Leur vote est une arme de construction massive. S’ils le veulent, ils peuvent vraiment chambouler le pays de fond en comble. La décision leur appartient. »



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commentaires (10)

On devrait balayer devant sa porte non blindée en matière de corruption.

FRIK-A-FRAK

14 h 19, le 03 mai 2018

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Commentaires (10)

  • On devrait balayer devant sa porte non blindée en matière de corruption.

    FRIK-A-FRAK

    14 h 19, le 03 mai 2018

  • Du sang jeune , mais les Kataëb changent trop d 'alliance .

    Antoine Sabbagha

    14 h 38, le 02 mai 2018

  • Pas trouvé de véritable opposition à Beyrouth I ??? Disons que notre cher Sammy s’est comporté avec légèreté avec probablement l’ambition de sauver le soldat Nadim... on trouve rapidement les limites...C’est dommage pour sa crédibilité .

    Sam

    08 h 30, le 02 mai 2018

  • jolie Mr Gemayel .. surtout votre alliance avec les FL bravo

    Bery tus

    15 h 02, le 01 mai 2018

  • Il paraît qu'à un moment donné il s' est disputé avec sa famille à cause de la politique et s' était retiré! À présent, il me semble que M. Sami Gemsyel a pris la bonne initiative de réformer le parti kataeb!! Bravo et bonne chance, car il mérite les meilleures appréciation et considération!!

    Zaarour Beatriz

    14 h 53, le 01 mai 2018

  • "Mais à part ça, tout va très bien, cher Samy, tout va très bien." Il y a un pilote dans l'avion qui protège les travailleurs de la concurrence étrangère, qui laisse le ministère des Affaires étrangères servir de local électoral pour son titulaire le gendre bien aimé, qui permet à 16 ministres en exercice d'être candidats, qui laisse vider le Trésor pour le vote de la diaspora, qui laisse le Haut Conseil libano-syrien servir de doublon à l'ambassade de Syrie, qui n'a jamais cherché à savoir que deviennent ses soldats enlevés par l'armée syrienne...

    Un Libanais

    11 h 06, le 01 mai 2018

  • Il a un langage sincere, soucieux de l'indépendance du Liban, des libertés individuelles et collectives des libanais, ainsi que de l'éradication de la corruption ambiante au Liban. A ce titre Samy Gemayel, mérite une place plus importante au sein des institutions de notre pays. Bonne chance.

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 33, le 01 mai 2018

  • Samy Gemayel renouvelle incontestablement le discours politique. Je le crois sincère, un brin excessif. Une remarque inspirée par du vécu : les adresses mail et numéros de téléphone d'électeurs de la diaspora ont circulé très librement y compris auprès des candidats de l'opposition. Je flaire un business juteux de vente d'adresses. L'argent n'est pas sectaire. Les boîtes d'emaling et les youtubeurs se sont fait aussi des c... En or, à en juger par le nombre de mail reçus qui renvoyaient via un lien vers la page YouTube de différents candidats.

    Marionet

    09 h 11, le 01 mai 2018

  • LE PETIT GEMAYEL ME PLAIT DE PLUS EN PLUS... BIEN QUE JE NE FAVORISE PAS LES HERITIERS POLITIQUES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 03, le 01 mai 2018

  • Il a raison à 100%. Les lendemains du 6 mai risquent de ne pas chanter!

    Yves Prevost

    07 h 06, le 01 mai 2018

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