Visage effilé, sourcils relevés sur un regard aigu, les traits pointus du journaliste Ali el-Amine, figure de proue de l’opposition chiite au Hezbollah, semblent ciselés à la mesure d’un esprit en éveil permanent. Le sourire, à la fois puéril et angoissé, lucide et interrogateur, est un espoir qui commence. « L’évolution nécessite de l’optimisme, une aptitude aujourd’hui confisquée à la communauté chiite », dit-il. Mais un îlot de résistance persiste face à l’idéologie belliciste, « fasciste » et victimaire du parti chiite : c’est ce qu’il a voulu montrer en formant une liste incomplète, radicalement opposée au Hezbollah, dans la circonscription du Liban-Sud III (Nabatiyé, Bint Jbeil et Marjeyoun-Hasbaya).
Fils aîné de l’uléma chiite Mohammad Hassan el-Amine, il a été élevé dans la tradition du chiisme amélite : le chiisme libanais originel, en parfaite symbiose avec la particularité libanaise – ou qui tend à l’être –, et qui se fonde sur une nette distinction entre la politique et la religion. Toute hégémonie transfrontalière incarnée par une autorité religieuse supranationale, comme le wilayet el-faqih, est incompatible avec le chiisme libanais. L’amélisme converge avec la tradition de Najaf, où Ali el-Amine est né et resté jusqu’à ses six ans. « L’amélisme et l’école du Najaf ont cela de particulier qu’ils forment à l’esprit révolutionnaire (…). La diversité leur est vitale », dit-il.
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« Amélite libanais »
S’il devait se définir sans identité, il dirait de lui qu’il est « amélite libanais (…), chiite protégé par ma libanité ». Et s’il devait se présenter sans idéologie, il se dirait « libre, ou plutôt essayant de l’être ».
Sa communauté est entraînée à contre-courant de ces deux tendances. « On assiste à un déracinement de l’identité chiite, dans son sens libanais, arabe et d’une manière générale musulman, et la genèse d’une autre identité », estime Ali el-Amine. C’est « la fin des modèles des ulémas érudits et progressistes, explorant les courants de pensée de gauche », dont son père, retiré aujourd’hui dans le domicile familial de Chacra, trois fois détruit par les obus israéliens, fait partie, et qui continue de l’inspirer. Le journaliste cite Hani Fahs, Mohammad Mehdi Chamseddine, Hachem Maarouf, Abdallah Nehmé, Mohammad Jawad Moghniyé, « la dernière génération de l’amélisme dont fait partie mon père ». Aujourd’hui, « plus un uléma ne fait de la poésie, tous ont fait corps avec le Hezbollah », déplore-t-il. C’est aussi la fin du pluralisme, de la pensée libre, au sein d’une communauté dont la tradition est pourtant propice à « l’expression de la différence ». « La communauté chiite a fini par normaliser l’idée de la dictature, du jamais-vu dans son histoire », estime-t-il. Preuve que « l’Iran n’est qu’isolement, hermétisme ».
Et ces dynamiques d’infiltration dans la psyché même des chiites, Ali el-Amine les a vu naître. « J’ai vu le changement, je l’ai vécu » depuis l’enfance. Une enfance passée entre Saïda, Nabatiyé et Chacra. Il se souvient de la métamorphose de la commémoration de Achoura dès les années 80 : « D’une rencontre sunnite, chiite et chrétienne, autour de prières sans prosélytisme, on en a fait une journée chiite hostile, répulsive. » Ce souvenir est récurrent chez les indépendants chiites.
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La « dictature » du Hezbollah
Jeune adulte lors des législatives de 1996, « la dictature » du Hezbollah le prendra de court, dans toute sa violence. Alors délégué du candidat de gauche Habib Sadek, il s’active à faire le tour des bureaux électoraux de Tebnine, dans le caza de Bint Jbeil, pour y suivre le décompte des voix. « Les falsifications flagrantes des votes, l’annulation arbitraire des bulletins de Habib Sadek, l’absence de délégués de notre camp… » – auxquels presque plus personne n’ose s’opposer aujourd’hui – lui étaient insoutenables. Si bien qu’il se rend « à 22h00, et seul, dans l’un de ces bureaux de vote pour faire obstruction à la fraude. Il est alors « attaqué par vingt ou trente personnes du camp opposé, roué de coups jusqu’à en être épuisé, sous le nez des agents de sécurité ». Cet incident, qu’il rapporte avec une certaine pudeur, sera l’événement fondateur de son engagement contre « le fascisme ». Plutôt que de l’intimider, cette violence l’a libéré.
« Votre peur est plus grande que la réalité, et votre silence ne fera qu’agrandir le danger et limer encore votre liberté au profit de l’autocrate » : c’est ce qu’il s’emploie à dire aux membres de sa communauté. Et ceux à qui, parmi les opposants en devenir, il rend des visites électorales clandestines à leur domicile pour les inciter à appuyer la liste dont il fait partie.
Les mécanismes de la peur
Cette peur, ce politologue de formation l’a comprise, l’a déconstruite. « L’inquiétude qui alimente l’idéologie est ressentie par les chiites dans leur profonde conscience », souligne-t-il. Ils se sentent par exemple « craints ou haïs par les autres composantes libanaises », traqués par « l’ennemi sioniste », ou en proie à des représailles imminentes des sunnites pour les exactions du Hezbollah en Syrie. Des dangers qui, « n’était la force du Hezbollah », les auraient anéantis. L’Iran, qui pourtant alimente cette inquiétude, apparaît alors comme « le sauveur dans l’obscurité ». Pour briser ce cercle vicieux, Ali el-Amine identifie l’origine de cette inquiétude : la culpabilité, « le sentiment d’avoir commis un tort qu’il faut camoufler ». « L’État islamique sert ce dessein, note-t-il. Ce mécanisme de défense est commun à toutes les communautés et, d’ailleurs, à tous les hommes. » Par ces mots, Ali el-Amine semble appeler sa communauté à « essayer d’être libre », comme tout homme essaie de l’être.
Et c’est la possibilité d’une telle émancipation que le site d’informations Janoubiya, dont il est fondateur et rédacteur en chef depuis 2012, démontre indirectement. Site politique, focalisé sur la couverture du Liban-Sud et de ses dédales sociopolitiques, il attire un public de chiites et de Libanais de plus en plus large. Dix années durant, le contenu de ce site avait eu pour support une revue mensuelle, La Revue des affaires du Sud qui y était distribuée gratuitement mais clandestinement, lue « à travers l’entrebâillement d’un tiroir ». La notoriété actuelle de Janoubia en fait un espace où toutes les peurs mutuelles, identitaires, communautaires, se dissipent. Et dans les bureaux du site, à l’esthétique des vieux bureaux de presse, la rumeur qui monte des rues de la banlieue sud semble apaisée.
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commentaires (6)
Ali Alamin attaqué par plus de 40 sympathisant du Hezbollah!!!??? 2 possibilités : Le hezb perd contrôle de ses moutons ou Ce sont les instructions du hezb. Dans les deux cas c'est très mauvais. Et n'allait pas nous dire que c'est un complot israelo-americano-alfacentauro- ou autre théories extraterrestre... C'est misérable
Wlek Sanferlou
15 h 33, le 22 avril 2018