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Liban - Législatives 2018 - Portrait

Lina Moukheiber, sur les pas du « Vieux Lion de la Montagne »

Lina Moukheiber, le foulard rouge et blanc de son frère Élias autour du cou.

C’est son frère cadet Élias – un grand gaillard avec un cœur en or et « une tête bien faite », comme disait Montaigne –, en pleine ascension politique, qui devait être candidat au siège grec-orthodoxe du Metn. Mais des complications vraisemblablement liées à la maladie de Lyme l’ont abattu dans la fleur de l’âge, en août dernier. Le cœur lourd, Lina Moukheiber s’est retrouvée propulsée malgré elle dans une arène qui n’est pas la sienne, par fidélité pour le combat mené par Élias depuis le printemps de Beyrouth en 2005 : restaurer la ligne politique souverainiste d’Albert Moukheiber, le « Vieux Lion de la Montagne », serviteur d’État et géant de la politique libanaise décédé en 2002.
Les enjeux de pouvoir ne sont pourtant pas le violon d’Ingres de Lina Moukheiber, que rien ne semblait vouer à une carrière politique et dont le profil est plus orienté sur les questions religieuses et de santé publique. Dans son appartement sobre et chaleureux de Beit-Méry, juchée sur une petite bibliothèque, une magnifique vieille icône russe de voyage, utilisée autrefois par quelque pope pour galvaniser des troupes sur quelque front, témoigne de cet intérêt marqué pour la théologie. Non loin de là, sur un autre meuble, se trouve une autre « icône », d’une valeur tout aussi importante : le foulard rouge et blanc que son frère portait fièrement durant l’intifada de l’indépendance, et qui, noué autour de son cou comme un talisman, ne la quitte plus depuis le début de la campagne électorale.


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Du Tennessee à l’hôpital Saint-Georges
C’est au Lycée français que Lina Moukheiber a commencé ses études scolaires. Lorsque la guerre éclate, elle a 14 ans, et sa famille se réfugie quelques années en France avant de retourner au Liban. Puis, en 1980, elle s’envole vers le Tennessee, où elle obtient une maîtrise en santé publique, avant d’être embauchée pour cinq ans au département d’État pour la Santé et l’Hygiène mentale, dans le Maryland. C’est à l’instigation de son oncle Albert qu’elle retourne au Liban, en 1991, avide de contribuer à la reconstruction d’un pays sorti exsangue de la guerre. C’est ce qu’elle fait, dans le cadre de projets de réhabilitation et de reconstruction, notamment dans le domaine de la santé publique, menés par le Conseil des Églises du Moyen-Orient (CEMO), pour venir en aide aux différentes communautés libanaises – ce qui permet à la jeune Lina de découvrir le Liban et le vivre-ensemble. Elle décroche ensuite un poste d’enseignante à la faculté de santé et de science de l’Université américaine de Beyrouth, où elle donnera des cours durant sept ans, et contribue notamment, sous le mandat Hraoui, à fonder le Centre de prévention contre la thalassémie. Son action au sein du CEMO la pousse en outre à se préoccuper de la question des chrétientés orientales et à plancher sur le dialogue islamo-chrétien et Orient-Occident. Elle en garde un rejet viscéral de la tendance suicidaire au repli sur soi et à la « minoritarisation ». Son dévouement à la santé publique et son penchant très spirituel la conduisent enfin à prendre tout naturellement en charge le programme de développement de l’hôpital Saint-Georges en l’an 2000, à l’époque en pleine expansion, un poste qu’elle occupe toujours à l’heure actuelle.


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Le legs d’Albert Moukheiber
À la mort, le 13 avril 2002, de « l’oncle Albert », un peu moins de deux ans après son dernier coup de panache à la Chambre en octobre 2000 – il avait alors réclamé haut et fort le retrait des forces syriennes devant des députés et un gouvernement médusés –, c’est l’un de ses neveux, Ghassan, qui se porte candidat à l’élection partielle du Metn pour pourvoir le siège grec-orthodoxe laissé vacant par le « Vieux Lion ».
La partielle se transforme vite en référendum contre l’occupation syrienne, représentée à l’époque, dans cette circonscription, par Michel Murr, dont la fille, Myrna, se porte candidate. En face, Gabriel Murr, PDG de la MTV et frère de Michel Murr, rassemble derrière lui toute l’opposition antioccupation syrienne au sein de la circonscription. Gabriel Murr l’emporte in extremis, au terme d’une bataille acharnée et inégale contre le pouvoir et ses abus… mais son élection est invalidée quelques mois plus tard par un Conseil constitutionnel – dont l’actuel ministre Salim Jreissati était membre – à la solde de l’occupant syrien, après la fermeture, tout aussi arbitraire, de la chaîne de télévision de l’opposition qu’il dirige, la MTV. Nommé député de manière tortueuse par ce même Conseil constitutionnel, Ghassan Moukheiber, qui n’a pourtant obtenu lors de la partielle que 1 773 voix pour plus de 68 000 votants, accepte le poste. Cette prise de position puis son alignement, à partir de 2005, sur un Michel Aoun de plus en plus proche du régime Assad et des mollahs de Téhéran poussent son cousin Élias, de sept ans plus jeune que Lina, à vouloir se lancer dans la bataille pour renouer avec l’héritage d’Albert Moukheiber – par « souci de préservation des principes » de ce dernier, « pas du nom de famille ». « Dans notre éducation, et dans la lignée de l’oncle Albert, c’était toujours le triptyque le Liban souverain, l’État, l’armée », affirme Lina Moukheiber, pour qui Ghassan Moukheiber, « quoique bon législateur », a fait « des concessions sur ses principes de base » sur la ligne politique moukheiberiste. « S’allier au Hezbollah et au Parti syrien national social ? L’oncle Albert ne l’aurait jamais toléré », dit-elle.

Les hasards du destin
Lina Moukheiber aurait préféré « rester dans l’ombre ». Mais le destin en a décidé autrement. Son frère Élias – un farouche adversaire de la logique de l’alliance des minorités, qui avait reçu des menaces de mort en 2012 lorsqu’il s’était courageusement opposé, par principe, à ce que Michel Aoun, en tant qu’allié de Damas et du Hezbollah, commémore le 13 octobre 1990 à Deir el-Kalaa – s’éteint en effet le 17 août 2017, au terme d’une longue lutte et d’une longue agonie. « Il a beaucoup donné aux habitants du Metn, mais il a toujours été très discret. C’est maintenant que je découvre tout ce qu’il était, en allant à la rencontre des gens », confie Lina Moukheiber, pudique, en ravalant ses larmes dans un mélange désarçonnant de douceur et de stoïcisme. Sollicitée par la société civile pour se lancer dans la bataille électorale, elle a d’abord dit non, en songeant principalement au souvenir rayonnant d’Élias. C’est le ministre Melhem Riachi, grand ami du disparu et ancien conseiller d’Albert Moukheiber, qui réussit à venir à bout de ses résistances, évoquant la nécessité de reprendre le flambeau et de poursuivre le combat de son frère sur la liste des Forces libanaises. Fidèle à la logique rassembleuse de son frère, Lina Moukheiber aurait toutefois préféré qu’il y ait une seule liste commune représentant les forces politiques fidèles aux options stratégiques du 14 Mars face à celle du CPL au Metn… Élias Moukheiber était en effet très proche du chef des Kataëb, Samy Gemayel, dont il avait été le colistier lors du scrutin de 2009… « L’obsession de mon frère était de toujours dialoguer et rapprocher les gens, dans une optique de réconciliation et de non-violence, mais sans jamais faire de compromis pour le compromis, surtout sur les fondamentaux, à commencer par la souveraineté du Liban, affirme-t-elle. Et c’est aujourd’hui mon combat. »


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C’est son frère cadet Élias – un grand gaillard avec un cœur en or et « une tête bien faite », comme disait Montaigne –, en pleine ascension politique, qui devait être candidat au siège grec-orthodoxe du Metn. Mais des complications vraisemblablement liées à la maladie de Lyme l’ont abattu dans la fleur de l’âge, en août dernier. Le cœur lourd, Lina Moukheiber...

commentaires (2)

Bon courage à Lina. Une famille honorable du Metn.

Wlek Sanferlou

20 h 11, le 24 avril 2018

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Commentaires (2)

  • Bon courage à Lina. Une famille honorable du Metn.

    Wlek Sanferlou

    20 h 11, le 24 avril 2018

  • Merci a MHG d'etre tjrs la pour nous rappeler l'histoire la vrai et non celle deformer par certains !! mille merci MHG

    Bery tus

    14 h 21, le 24 avril 2018

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