En arrivant dans la ville syrienne de Douma, sur le site d'une attaque chimique présumée, les enquêteurs de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) se lancent dans une quête complexe de preuves, deux semaines après les faits.
Les Casques blancs, ces secouristes en zones rebelles, affirment qu'au moins 40 personnes ont été tuées le 7 avril à Douma, ancien fief rebelle près de Damas, dans un bombardement du régime syrien lors duquel auraient été utilisés selon eux du chlore et possiblement du sarin, un gaz neurotoxique plus puissant.
Damas et son allié russe ont nié toute utilisation de gaz chimiques.
Course contre le temps
Le délai de deux semaines n'empêche pas techniquement de retrouver des éléments chimiques, estiment des experts interrogés par l'AFP. Ces preuves peuvent être retrouvées sur des survivants (urine, sang), des organes de cadavres ou des éléments matériels (vêtements, murs, rochers, sol), et corroborées par des témoignages.
La probabilité de trouver des traces directes de ces gaz s'amenuisent toutefois avec le temps, notamment au-delà de dix jours pour le chlore, très volatile. Des traces d'une attaque au gaz de chlore sont quasiment impossibles à détecter formellement dans le corps humain, étant donné que cette substance est présente dans le sang à l'état naturel.
Mais "le chlore est un produit qui, en présence d'eau, peut réagir avec des matières présentes sur place comme le bois, des métaux de construction, des textiles", souligne à l'AFP Ralf Trapp, consultant spécialiste en armes chimiques et biologiques, et membre d'une précédente mission de l'OIAC. Selon lui, "ça ne peut pas être une preuve conclusive mais en conjonction avec d'autres, ça peut permettre de dire s'il y a eu diffusion de chlore".
En revanche, "il est possible de retrouver du sarin jusqu'à deux semaines plus tard, voire même un mois ou plus" selon le degré d'exposition, explique à l'AFP Alastair Hay, professeur de toxicologie environnementale à l'université de Leeds.
Les experts cherchent notamment un métabolite, "une forme dégradée caractéristique du sarin (qui) n'existe pas autrement dans la nature", affirme M. Trapp. "Cela constituerait une preuve conclusive d'une utilisation de sarin".
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Effacer les preuves?
Les Américains et les Casques blancs redoutent que les raisons de sécurité invoquées jusqu'à présent par les Syriens et les Russes, qui avaient empêché l'OIAC de se rendre sur place, n'aient été en réalité qu'une excuse, le temps de faire disparaître d'éventuelles preuves.
Mercredi, un secouriste des Casques blancs s'inquiétait auprès de l'AFP d'un possible déplacement des corps des civils tués, après l'annonce par le régime de la découverte d'une "fosse commune dans le parc al-Jalaa". "C'est à cet endroit que nous avons enterré toutes les victimes tuées dans l'attaque chimique et d'autres bombardements. Le régime cache toutes les preuves", selon lui.
Les experts de l'OIAC guettent également des indices d'une modification du site, tels des traces de produits masquants ou nettoyants ou d'objets déplacés. Plusieurs milliers d'habitants avaient été évacués dans le cadre d'un accord de reddition avec les rebelles, conclu le lendemain de l'attaque chimique présumée. "On peut effacer des preuves mais il faut faire ça méticuleusement et, en étant méticuleux, on peut aussi laisser des preuves évidentes que le site a été trafiqué", souligne M. Hay.
Cela peut être compromettant par exemple "s'il existe des vidéos du moment de l'attaque présumée qui permettraient de faire une comparaison", illustre M. Trapp. "Même après un nettoyage approfondi, il y a de bonnes chances pour que les dépôts d'agents ou de leurs formes dégradées soient toujours présents dans des matériaux qui ont une grande capacité d'absorption des produits chimiques (briques, béton, sol)", estime-t-il.
(Lire aussi : L’ONU aide l’OIAC à enquêter à Douma)
Quelles conclusions possibles?
"La mission d'enquête ramènera tous les éléments pertinents que ses inspecteurs ont trouvé, y compris ceux d'un nettoyage ou d'une manipulation du site", explique encore M. Trapp.
Les échantillons seront ensuite envoyés dans des laboratoires homologués confidentiels, au nombre d'une vingtaine dans le monde. Chaque échantillon est divisé et analysé par au moins deux laboratoires différents et les résultats seront disponibles au bout d'environ deux semaines, estiment les experts.
"Si la mission ne peut pas démontrer que du chlore ou du sarin ont été utilisés, elle présentera les preuves qu'elle a, les possibles scénarios qui les expliqueraient et dans quelle mesure ces scénarios sont possibles", poursuit M. Trapp.
"Ce sera ensuite aux organes politiques de l'OIAC et aux Etats membres individuellement de décider si les preuves sont suffisantes pour confirmer ou non une attaque chimique", dit-il. La mission de l'OIAC n'a pour mandat que de déterminer s'il y a eu un recours à des armes chimiques et non d'en identifier les auteurs.
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Des foireux LOOSERS.
FRIK-A-FRAK
20 h 20, le 22 avril 2018