Joumana Haddad. Photo Jean-Claude Bejjani
Rebelle, elle l’a toujours été. Mais c’est lorsqu’elle a commencé à écrire de la poésie que Joumana Haddad a pu exprimer « la révolte qui couvait sous la cendre ». Elle publie ensuite plusieurs essais sur la condition féminine et lance pendant quelque temps la revue Jasad, consacrée à la culture du corps. « J’ai appris l’art de la transgression car nous vivons dans une société où on vous interdit souvent beaucoup de choses, surtout si vous êtes une femme. Mais j’ai appris qu’il pouvait y avoir des alternatives auxquelles nous avons droit », confie-t-elle à L’Orient-Le Jour.
Née en 1970, Joumana Haddad a grandi durant la guerre mais a toujours refusé la logique partisane qui prévalait dans le pays. « Je n’ai jamais été membre d’un parti politique. J’ai toujours été indépendante et j’ai toujours pris de la distance. J’ai toujours eu un point d’interrogation concernant les partis qui vous délestent de votre esprit critique, ce que je ne peux accepter ni pour moi ni pour quelqu’un d’autre », explique-t-elle, avant d’ajouter : « Le concept du » zaïm « est néfaste au Liban. Pour les élections, je me suis rapprochée des autres indépendants car je ne me retrouve dans aucun des partis actuels au Liban », ajoute Mme Haddad.
Sa carrière de journaliste, Joumana Haddad la commence en 1997 dans les colonnes du quotidien an-Nahar dans lequel elle continuera de travailler jusqu’en 2017, après avoir été nommée directrice de la section culturelle en 2005. « C’était des années fondatrices pour lesquelles j’ai beaucoup de gratitude », confie-t-elle.
Elle collabore aujourd’hui à an-Nahar, au New York Times, au Guardian, au Corriere della Sera ou encore à Libération, avec des tribunes consacrées au monde arabe. Mme Haddad anime également une chronique audio chaque jeudi sur les ondes de Radio Monte-Carlo. Elle prépare par ailleurs un programme télévisé sur la liberté d’expression qui sera bientôt diffusé sur la chaîne d’informations al-Hurra. Son premier roman, La fille de la couturière (Éditions Hachette-Antoine), est à paraître cet été et s’inspire de sa grand-mère arménienne qui a vécu le génocide de 1915.
(Lire aussi : Rafic Bazerji : Je veux œuvrer pour les jeunes... alors que la classe politique fait le contraire)
Poésie et politique
« La poésie, c’est la rébellion et la liberté par excellence », affirme Joumana Haddad qui assure que littérature et politique ne sont pas incompatibles. « Je suis candidate aux législatives car il y a des causes qui me parlent, d’autant plus que la nouvelle loi électorale nous a ouvert une petite fenêtre pour nous exprimer. Je n’ai pas peur de la confrontation », lance-t-elle.
Son programme électoral est clair et va droit au but. Égalité entre les sexes et droits de l’homme, citoyenneté, liberté d’expression, éducation, emploi, transport et environnement ; autant de domaines pour lesquels Mme Haddad compte batailler au Parlement. « La classe politique qui vous traite comme des mineurs, c’est offensant. Nous vivons cela de plus en plus au Liban alors que le pays a de tout temps été considéré comme un pôle des libertés », déclare-t-elle. « Pour moi, il est important de militer pour un État laïc et contre le confessionnalisme, notamment au niveau des lois du statut personnel », explique Mme Haddad qui dit être favorable à la transmission de la nationalité par la femme libanaise à son conjoint et ses enfants, « sans restrictions ».
D’autres dossiers « chauds », comme l’électricité, l’environnement, l’accès des jeunes à l’éducation et à l’emploi la préoccupent également. « L’éducation, c’est la clé pour ne plus avoir de confessionnalisme et pour développer un esprit critique », souligne-t-elle.
Concernant les armes du Hezbollah, Joumana Haddad est intransigeante, ce qui lui a valu beaucoup de critiques sur les réseaux sociaux de la part de partisans du parti chiite. « Je pense qu’il est primordial que l’État puisse étendre sa souveraineté sur tout le territoire libanais. Comment peut-on prétendre avoir un État tant qu’on est en présence d’un groupe armé qui peut imposer ses conditions. La solution est simple ; devenez partie prenante de l’État, intégrez les rangs de l’armée et remettez-lui votre arsenal », lance-t-elle à l’adresse du Hezbollah.
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Bon courage et bienvenu à ce sang neuf dans le domaine publique du Liban.
22 h 57, le 18 avril 2018