Méritez nos voix, au lieu de les acheter !

J’ai fortement apprécié l’édito que le directeur exécutif de L’Orient-Le Jour a publié le 15 mars dans ces colonnes, et qui rappelait que les journalistes ne devraient pas être « achetés » et que la presse devrait rester indépendante. Alors que des voix d’électeurs vont être achetées sans que l’on trouve à redire, j’aimerais émettre spontanément quelques souhaits en ces journées de manœuvres électorales.

(Lire aussi : Ne tuons pas le journalisme, l'édito de Michel Helou)    

J’ai lu dans ce même journal, entre autres, que notre Premier ministre, Saad Hariri, a fait son retour dans la liste des milliardaires dressée par le magazine Forbes. Je savais aussi qu’en tant qu’homme d’affaires il avait déclaré, il n’y a pas longtemps, la faillite de la société Saudi Oger, alors qu’il devait des salaires et des indemnités de licenciement à des milliers d’ouvriers, ainsi qu’à de nombreux journalistes de Radio-Orient et du quotidien al-Moustaqbal, sans compter le reste du contentieux. Ma question est simple : ne pourrait-il pas réduire son train de vie et dédommager ces travailleurs en utilisant sa propre fortune? Ce faisant, il créerait un exemple de responsabilité morale qui le rendrait crédible et lui mériterait plus de voix que toutes les combines possibles.

Désamorcer la haine
Il n’aurait plus besoin de faire appel, dans ses affiches électorales, à la superstition des Libanais, plus besoin de décliner son mouvement sous les traits d’une « kharzé zar2a » contre le mauvais œil ! Qui donc a pu lui souffler qu’un chef de gouvernement puisse s’acquitter de ses responsabilités en présentant son parti sous les traits d’une pierre bleue ?

(Lire aussi : La promotion "Législatives" de l'ambassade du Liban en France : le passeport à 1.000 livres)

Mon souhait serait aussi que nos candidats milliardaires de Tripoli (ou d’ailleurs) aident à la préservation urgente des bâtiments mamelouks de leur ville, à la mise en fonction du projet Niemeyer, et payent, s’il le faut de leur poche, la construction de centrales de traitement des déchets, parce que la ville dont ils veulent être les représentants croule sous leurs pieds. Autrement dit, au lieu d’acheter des voix, de faire des discours creux, d’alimenter ce pourcentage de haine dont aucun d’entre nous ne peut dire qu’il ne le ressent pas, il serait souhaitable que les candidats aux élections aient des projets précis, terre à terre, pragmatiques, et qu’ils disent comment, avec quels moyens, ils vont pouvoir les faire exécuter. Nous savons qu’il suffit de souffler sur les différends pour entretenir la haine. N’est-il pas temps de souligner les besoins et les traits communs pour la désamorcer ? Qu’on ne nous dise plus que celui-ci veut se faire élire parce qu’il va protéger les chrétiens, et qu’un autre, par exemple, veillera au bien-être des chiites, des sunnites, des druzes, et ainsi de suite...

Le Liban est un mouchoir de poche, et ses populations sont imbriquées. On le voit bien : l’ampleur des poubelles dans les rues crée des maladies pour tous. La corruption vole le bien de tout un chacun. Les embouteillages rendent fous jusqu’aux étrangers. L’émigration des jeunes (et des moins jeunes) affecte la vitalité de tout le pays. La mainmise par avance sur les réserves potentielles en hydrocarbures au large du littoral du pays s’apprête à étouffer toute la classe moyenne, et les pauvres bien sûr. Quant à la défiguration de la côte, elle offense les mêmes, auxquels s’ajoutent les riches, quand ils veulent bien vivre au Liban.

(Lire aussi : Le Renouveau démocratique juge sévèrement la loi et les campagnes électorales)

Somnifère
Que les candidats aux élections comprennent enfin, après tous les dangers que nous avons vécus, et ceux encore plus grands qui nous menacent aujourd’hui, que leurs discours traditionnels sont de plus en plus dangereux. Ils n’ont servi jusqu’à présent, et dans le meilleur des cas, que de somnifère, alors qu’il est urgent de se réveiller. Plus le temps passe, plus les fortunes accumulées sur le dos des citoyens méprisent le sens de la vie et le sens de la mort. Être en vie, c’est être de passage. Savoir vivre, c’est se savoir mortel ; c’est savoir que l’argent est un moyen à investir pour les générations qui viennent, et non une fin pour ceux qui en disposent.

Le bien de chaque Libanais est le bien de tous, et le malheur de chaque Libanais est le malheur de tous. On ne va pas rappeler que quand Israël bombarde le sud du Liban, c’est un territoire libanais qu’il détruit, et lorsque le régime syrien assassinait un Libanais en particulier, c’était un crime contre le Liban tout entier qu’il commettait.

Il ne s’agit pas de dire « bien sûr », il s’agit de bouger, de changer les choses, de changer soi-même pour changer les choses... Il s’agit de se retrouver, de ne plus abuser de la capacité des Libanais à encaisser et à survivre, il s’agit d’oser faire autrement. Les bénéfices de quelques-uns ne peuvent être réalisés à partir de la division de tous. Il s’agit de parier sur la vie.

Poétesse, romancière et peintre. Dernier ouvrage : « Orphée face au néant » (L’Échoppe, 2016).

Lire aussi
Abus de pouvoir, argent politique, achats de voix : des accusations de violations à la pelle

Législatives libanaises : le tableau électoral se précise progressivement

Quel sens accorder au foisonnement de candidats issus des médias ?

Les slogans électoraux de 2018 : un gros flop ?

Votons pour que les Libanaises soient enfin de vraies citoyennes