Le 17 mars dernier, Makram Rabah, professeur à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), historien et militant politique, a été convoqué par la Sûreté générale pour des propos qu’il avait tenus lors d’une de ses nombreuses apparitions télévisées. Dans une émission diffusée quelques jours auparavant par le site de Lebanon Debate, il affirmait sarcastiquement que le fait qu’« Israël reprenne le Litani » serait préférable à « transformer le fleuve en égout », pointant clairement du doigt le problème dont nous parlions : la pollution causée par les millions de mètres cubes d’eaux usées qui se déversent régulièrement dans le fleuve...
Ce qui a suivi ne peut être qualifié que de chasse aux sorcières contre un homme qui critique sévèrement les illusions de notre scène politique locale, et d’accusation pure et simple d’être un agent israélien, soit l’équivalent d’une condamnation à mort. Manifestement, ces personnes qui n’hésitent pas à remplacer la critique légitime de ses propos par des attaques ad hominem n’ont aucun intérêt pour leur fond.
La quantité de haine et d’ignorance dirigée sur X (ex-Twitter) contre M. Rabah était incroyable et en partie dirigée par ceux que Makram nomme ouvertement – le Hezbollah – avec beaucoup d’accusations insensées (avec les implications que de telles accusations impliquent) qui m’ont rendu ainsi que beaucoup d’autres qui ont suivi ses cours perplexes.Pour ceux qui ne le savent pas, le professeur Rabah donne deux cours qui sont d’une valeur inestimable pour la connaissance historique du Liban : l’un sur l’histoire du Liban jusqu’à la guerre civile, l’autre sur celle des États-Unis et du Moyen-Orient, en commençant par les guerres barbaresques de 1801 jusqu’à la guerre du Golfe en 1990. Deux siècles d’histoire qui lui ont donné l’occasion de dénoncer à plusieurs reprises l’ingérence américaine dans la région, alors qu’on continue à le traiter, lui, de pion occidental. Il n’a jamais hésité à critiquer la politique étrangère américaine, comme l’ingérence d’Amos Hochstein dans la politique libanaise, mais la gauche continue de le traiter d’agent occidental. Les étudiants sous sa direction ont traversé un paysage historique qui s’étend du passé du Liban aux machinations géopolitiques plus larges en Iran, en Palestine et en Afghanistan.Son engagement à découvrir les strates de l’histoire est évident dans ses discussions franches sur les cas flagrants d’ingérence occidentale, tels que les événements qui ont conduit à la révolution iranienne de 1979. Alors que la plupart des universitaires du courant dominant applaudissent l’Iran du chah, Makram nous a montré que les conditions des années Pahlavi étaient cruelles, marquées par la répression des gauchistes et une coopération totale avec Israël.
La façade de l’Aipac
Ironie du sort, Rabah, aujourd’hui accusé d’être un agent d’influence pour les groupes pro-israéliens, a autrefois enseigné à ses étudiants les réalités et les machinations des groupes de pression, tels que l’Aipac, et leur influence sur la politique américaine. Mais il semblerait qu’étudier d’une manière scientifique et critique ce lobby ne suffit pas à faire taire ceux qui le dénigrent.
Lorsque le CCS (Club culturel du Sud) de l’AUB diffuse un article d’al-Akhbar accusant Makram d’être un bénéficiaire et un espion israélien, il le fait en sachant ce que cela implique implicitement. Et lorsque l’université ne fait pas de déclaration sur la détention pendant des heures de l’un de ses professeurs les plus brillants et les plus influents, cela laisse comprendre qu’il y a un problème à l’AUB. Ce qui est le plus troublant dans le cas du CCS, c’est que tous ses membres ont un accès facile à Makram, à ses cours, mais plutôt que de le confronter de manière critique, ils choisissent de publier des articles d’un journal qui n’a cessé de montrer qu’il était un porte-voix du Hezbollah, notamment à travers une longue histoire de brûlots mensongers.
Unité
L’aspect le plus révélateur de la carrière de Makram Rabah est peut-être son dévouement à l’unité libanaise. En mettant en lumière les expériences partagées par les différentes factions du pays, son approche de l’enseignement de l’histoire favorise un sentiment de cohésion nationale plutôt qu’un clivage confessionnel. C’est l’homme dont l’œuvre de toute une vie contredit les allégations de trahison qui lui sont adressées. Il suffit de penser à ses deux mentors, Kamal Salibi et Abderrahim Abou Hussein. Ces deux géants ont travaillé sans relâche pour mettre en lumière l’histoire du Liban, dans un effort pour nous sauver d’un avenir qui ressemblerait à la réalité dans laquelle nous sommes coincés aujourd’hui.
Il est clair que le récit et les accusations lancés par des groupes d’étudiants comme le CCS et des médias comme al-Akhbar sont non seulement sans fondement, mais aussi un affront à l’enseignement même qu’il a dispensé – un examen holistique et critique du passé et du présent de la région. Les étudiants et le corps enseignant de l’AUB doivent s’opposer à ces accusations mensongères, sous peine de tomber dans le piège des mêmes illusions qui ont transformé le Liban d’un havre de liberté d’expression en une jungle gouvernée par des tyrans et des assassins.
Par Nasser HAFEZ
Chercheur et ancien étudiant de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).
Plus de sense critique. La betise reigne dans le pays.
08 h 55, le 08 avril 2024