
Les secours interviennent sur le site des frappes israéliennes qui ont touché un bâtiment annexe de l’ambassade iranienne à Damas, en Syrie, le 1er avril 2024. Louai Beshara/AFP
La Syrie a disparu des radars médiatiques et ne revient au-devant de la scène que lorsque des frappes israéliennes visent les responsables des milices iraniennes dans le pays. Une certaine angoisse semble saisir les experts du Moyen-Orient à chaque fois qu’Israël frappe les cadres des milices iraniennes sur le territoire syrien. Pendant plus d’une décennie, ces milices ont semé la mort et la désolation aux côtés d’Assad, contribuant au changement démographique du pays en installant leur propre famille en lieu et place des millions de Syriens qu’ils ont chassés de leur terre. Mais l’inquiétude vis-à-vis de l’impérialisme iranien ne semble émerger chez certains commentateurs que lorsque ses architectes sont ciblés...
Ainsi, et contrairement à l’opinion d’une grande partie des populations du Moyen-Orient, la lutte contre l’influence iranienne est davantage présentée comme un facteur d’instabilité régionale et pouvant conduire à un conflit plus généralisé plutôt que cet impérialisme lui-même !
Et lorsque ces mêmes commentateurs sont obligés par les frappes israéliennes à s’intéresser de nouveau au pays, le sort de celui-ci ne les intéresse guère.
Marché de la misère
Or, treize ans après le soulèvement et le déclenchement d’un conflit mené par le régime contre son propre peuple, le pays continue sa descente vers l’abîme : il ne reste plus rien de l’État syrien sinon un régime mafieux qui finance sa machine répressive via le narcotrafic. L’éducation, la santé, le transport, l’énergie et le minimum de calories nécessaires à la vie sont devenus inaccessibles pour la très grande majorité des Syriens dont plus de 80 % vivent dans l’extrême pauvreté. L’exploitation des quelques richesses du pays, telles que le gaz et le phosphate, a été offerte aux parrains russes et iraniens du régime. Si les Syriens survivent dans les zones contrôlées par le régime, c’est en grande partie grâce à l’argent de la diaspora.
Le régime a fait de la misère un marché : la femme du boucher de Damas, Asma el-Assad contrôle la majorité de l’aide humanitaire onusienne via son ONG, la Syria Trust for Development. Cette aide se retrouve, au vu et au su des employés de l’ONU à Damas, sur les étals des marchés des villes syriennes. L’avidité d’Asma el-Assad ne se limite pas au détournement de l’aide humanitaire, elle dépouille les hommes d’affaires pour construire un empire financier dans un pays en ruine. La situation humaine catastrophique est à l’origine des manifestations dans la province de la minorité druze de Soueida qui durent depuis près de 8 mois. La population, à bout de souffle et épuisée, ne supporte plus l’instrumentalisation de la misère par le pouvoir qui prétend que leur lente agonie est la faute des Occidentaux et de leurs sanctions. Alors que plus de la moitié des Syriens, soit plus de 10 millions, ont été forcés à l’exil, ceux qui sont restés essayent par tous les moyens de fuir, mais l’argent récolté pour les passeurs finit dans la poche du régime.
Aveuglement stratégique
Et l’ONU dans tout cela ? En décembre 2015, le Conseil de sécurité avait adopté la résolution 2254 qui appelait à la mise en place d’un cessez-le-feu immédiat, d’un gouvernement de transition dans les six mois et d’une assemblée constituante pour rédiger une constitution en vue de futures élections libres. Si Vladimir Poutine n’avait pas mis son veto à cette résolution, c’était pour gagner du temps qu’il a mis au profit de la reconquête militaire : Alep, Deraa, Ghouta… Rien de cette résolution n’a abouti mais l’envoyé spécial onusien, Geir Pedersen, continue à organiser des réunions de l’assemblée constituante. La stérilité de son action n’est que le reflet de l’indifférence du camp occidental qui a laissé la Syrie aux mains de Poutine et de l’Iran. Il n’y a eu ni gouvernement de transition, ni cessez-le-feu, ni même la libération de l’un des plus de cent-trente mille détenus des prisons d’Assad. Depuis, les membres de la constituante ont été désignés en septembre 2019, et plus du tiers sont des partisans du régime.
Et l’inaction politique n’est malheureusement pas le seul manquement de l’ONU, dont l’un des principes fondamentaux inscrits dans sa charte est « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». En ce mois de mars 2024, le coordinateur de l’ONU pour la Syrie, Adam Abdelmoula, a annoncé un vaste plan d’investissement pour les infrastructures civiles en Syrie. Une récompense à un des plus grands criminels de l’histoire moderne par l’organisation qui a pour responsabilité de maintenir la paix et de protéger les droits humains !
Quant aux occidentaux, ils brillent par leur manque de stratégie. Alors que la révolte de Soueida qui jouxte la région de Deraa, un autre bastion rebelle du Sud, pourrait constituer une zone libérée de l’emprise d’Assad et un exemple de gouvernance pour la future Syrie, aucune approche n’est déployée dans ce sens. Pour libérer ces deux régions, il faut le consentement et le soutien de la Jordanie, qui n’agira pas sans soutien occidental face à Assad et ses alliés. Or tout indique qu’il n’y a rien à espérer des démocraties occidentales. Par exemple, l’Union européenne relance sa politique de coopération avec les régimes autocrates du sud de la Méditerranée avec en arrière-plan, la lutte contre l’immigration illégale et la « stabilité » régionale : après avoir passé un accord de coopération avec Kaïs Saïed, le nouvel apprenti dictateur de Tunis, elle a signé un nouvel accord avec le dictateur égyptien al Sissi. Il ne peut s’agir que d’une stratégie à court terme car ces régimes sont incapables de relever les grands défis de l’époque, notamment la lutte contre le réchauffement climatique.
Et comme pour démontrer l’extrême indifférence et surtout le mépris vis-à-vis des Syriens et de leur tragédie, viendra défiler à Paris la délégation olympique du régime syrien là où les délégations russe et biélorusse ont été interdites de cérémonie d’ouverture. Une façon de nous montrer que les vies humaines ne se valent pas.
Par Firas KONTAR
Opposant et essayiste syrien. Dernier ouvrage : « Syrie, la révolution impossible » (Aldeïa, 2023).
J'ai été en Syrie il y a quelques mois , et croyez-moi , je n'ai vu qu'une population tranquille, confiante , souriante et ... même heureuse , on pourrait dire . Rien de tout cet esprit rebelle que cet article biaisé voudrait nous faire croire ...Pure désinformation !
15 h 51, le 07 avril 2024