La large opposition au projet de location de navires-centrales pour combler le déficit de production de l’électricité, élaboré par le ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil (Courant patriotique libre), a pris hier une dimension judiciaire. Et pour cause : le procureur financier, Ali Ibrahim, s’est saisi du dossier au lendemain d’une émission télévisée au cours de laquelle notre confrère Johnny Mounayar a révélé quelques données importantes à ce sujet.
Dans une interview accordée à la chaîne al-Jadid, M. Mounayar a fait savoir que 20 millions de dollars ont été proposés à Karim Khayyat (fils du PDG d’al-Jadid, Tahssine Khayat) pour se retirer des appels d’offres portant sur les navires-centrales.
Pour rappel, le plan de M. Abi Khalil prévoit la location de deux navires à la société turque Karadeniz. Cela avait poussé nombre de protagonistes, dont notamment les Kataëb, les Forces libanaises, les Marada et le Parti socialiste progressiste, à s’opposer au projet, pour « corruption et manque de transparence ».
Le chef des Kataëb, Samy Gemayel, qui s’était opposé au plan Abi Khalil depuis plus d’un an, avait même fait état d’un « gaspillage qui s’élèverait à 800 millions de dollars », appelant à la construction d’usines de production du courant électrique. D’autant que, selon lui, cette option est beaucoup moins coûteuse que le plan du ministre de l’Énergie, surtout si la loi sur le partenariat entre les secteurs public et privé (adoptée en août 2017) est mise en application.
À la faveur de ses propos (et d’une note présentée par l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi), M. Mounayar a comparu mardi devant le procureur financier, Ali Ibrahim. De même, Charles Saba, conseiller de Samy Gemayel pour les affaires administratives et directeur de l’Observatoire libanais pour la corruption, a été entendu hier par M. Ibrahim.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, M. Saba confie qu’il a présenté un dossier complet concernant le plan Abi Khalil, faisant état d’« une opposition au projet, au sein du camp qui affirme le soutenir ». « Je possède aussi des correspondances entre le ministre et des compagnies libanaises qui ont pris part à l’appel d’offres. Dans ces textes, César Abi Khalil informe ces compagnies que leurs offres ne sont pas conformes au cahier des charges », déclare M. Saba. Il laisse ainsi entendre que le ministre et son camp sont attachés à la société turque.
(Lire aussi : Samy Gemayel poursuit sa guerre contre le projet des nouveaux navires-centrales)
FL-Kataëb ?
Outre la nouvelle phase de cette bataille inaugurée par les interrogatoires de Ali Ibrahim, le dossier des navires-centrales semble être éminemment politique. D’autant qu’il met le fer de lance de l’opposition face aux partis du chef de l’État et du Premier ministre. À cela certains ajoutent des accusations de « populisme » lancées contre la formation de Samy Gemayel. Même si ce dernier converge avec plusieurs composantes gouvernementales sur le refus du plan Abi Khalil.
Mais les proches de Saïfi sont optimistes. Ils assurent que les Kataëb sont de plus en plus déterminés à faire barrage au plan par lequel « le pouvoir est en train d’électrocuter la personne humaine au Liban ». À la faveur de cet optimisme, Salim Sayegh, vice-président des Kataëb, se félicite, via L’OLJ, du fait que sa formation est parvenue à « constituer un courant d’opinion qui a atteint certaines composantes du pouvoir en place ».
En dépit des divergences observées entre Saïfi et Meerab sur nombre de questions politiques, M. Sayegh reconnaît que le plan Abi Khalil est « un des sujets où les Kataëb sont d’accord avec les FL et le président de la Chambre, Nabih Berry ». En mai dernier, M. Berry avait souligné que « le plan Abi Khalil servirait à remplir certaines poches », accusant ainsi implicitement de corruption les auteurs du projet. « Nous essayons de nouer le plus grand nombre d’alliances pour bloquer cette hérésie qu’est le plan de l’électricité, qui est aussi celui de l’électrocution de la personne humaine », ajoute Salim Sayegh, avant d’expliquer : « Nous allons nouer les alliances qu’il faut, là où il le faut, avec la société civile, d’une part, et certains partis au pouvoir, de l’autre, pour faire plier cette pratique que défend le camp de Gebran Bassil. »
(Lire aussi : Mise en demeure présidentielle)
Bassil et le budget
À ce tableau s’est invité hier un élément important : le chef du CPL, Gebran Bassil, a ouvertement menacé de ne pas approuver le projet de budget si le plan Abi Khalil n’est pas adopté. Dans certains milieux politiques, on décelait entre les lignes de ces propos « un chantage » de la part de M. Bassil (dont les proches se contentent d’insister sur l’adoption du budget), pour reprendre les termes de Samer Saadé, député Kataëb de Tripoli, qui a rappelé que la loi de finances est un devoir que le cabinet n’a pas accompli dans les délais.
C’est également sous cet angle que Meerab perçoit les propos de M. Bassil. « Nous n’allons pas nous soumettre à ce chantage pour que soit adopté le plan de l’électricité », assure un cadre FL à L’OLJ, réitérant l’attachement du parti « à un cahier des charges transparent à même de permettre une compétition sérieuse », ajoute-t-il.
À l’heure où l’on craint une crise gouvernementale que causeraient les positions contradictoires au sujet du plan, doublées du forcing effectué par Michel Aoun et son camp en sa faveur, un ministre contacté par L’OLJ met les points sur les i : « Le dossier est entre les mains du pouvoir judiciaire. Personne n’osera donc le soulever en Conseil des ministres », dit-il, jugeant « insolent » le comportement de Gebran Bassil.
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commentaires (10)
Maintenant j’ose espère que tout le monde a compris le grand stratège qu’est le Hakim !!! Voilà pq ils ont tous peur de lui il est redoutable ... le Liban a besoin des gens comme lui ... vous êtes un guide .... une lumière qui éclaire les libanais
Bery tus
10 h 22, le 01 mars 2018