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À La Une - Repère

Électricité au Liban : ce qu'il faut savoir pour comprendre une crise qui va crescendo

EDL, qui détient le monopole de la production d’électricité dans le pays depuis les années 1960, fait aujourd'hui face à une série de difficultés, notamment en raison des contestations de la part de ses employés et contractuels.

Le siège d'Electricité du Liban à Beyrouth. Photo Matthieu Karam

Depuis la fin de la guerre civile en 1990, le Liban ne parvient pas à assurer la production nécessaire en courant électrique pour répondre à la demande du pays. Réseau vétuste, dette monumentale, querelles politiques, plans qui échouent... La situation ne s'améliore toujours pas. Pour ne rien arranger, Électricité du Liban, qui détient le monopole de la production d’électricité dans le pays depuis les années 1960, fait face à une série de difficultés, notamment en raison des contestations en série de la part de ses employés et contractuels.

Grève des journaliers et des salariés, contrats des prestataires de services, amélioration de la production du courant. L'Orient-Le Jour fait le point sur plusieurs dossiers afin de tenter de comprendre la situation actuelle d'EDL et la crise qui mine ce secteur :


EDL et les prestataires de services : qui fait quoi?


Si EDL détient le monopole de la production d’électricité au Liban depuis les années 1960, la compagnie ne produit pas assez d’électricité pour satisfaire la demande locale et doit rationner la distribution. Les habitants du Grand Beyrouth subissent, par exemple, autour de 4 heures et demie de coupure par jour. Et le rationnement est beaucoup plus lourd dans les régions périphériques.

Pour la maintenance et la modernisation de son réseau, ainsi que la collecte des factures sur la quasi-totalité du territoire, EDL a recours à trois prestataires de services depuis 2012 :

- National Electricity Utility Company (NEUC, groupe Debbas), chargée de la banlieue sud de Beyrouth et des régions sud du pays.

- Bus (groupe Butec), en charge du nord du Mont-Liban et du Liban-Nord.

- KVA (Arabian Construction Company et Khatib & Alami), en charge du reste de Beyrouth et de la Békaa.

Ces trois sociétés emploient au total près de 2.000 anciens travailleurs journaliers d'EDL.

Le partenariat de NEUC avec le fournisseur d’électricité avait été renouvelé pour quatre ans fin décembre 2016 par EDL en même temps que celui liant le fournisseur à BUS et KVA. Mais cette décision avait été contestée par le gouvernement, qui a réclamé de nouvelles négociations avec NEUC.

Alors que les contrats de BUS et KVA ont été reconduits jusqu'au 31 janvier 2021, KVA a annoncé le 7 janvier l’arrêt de ses activités. Une décision que la direction de la société a justifié en évoquant "l’impossibilité d’exercer sa mission" en raison des répercussions sur son fonctionnement de la grève des employés d’EDL (voir plus bas).

NEUC et KVA sont donc à l’arrêt depuis le début du mois de janvier. BUS poursuit en revanche son travail normalement.


(Lire aussi : Intempéries : comment la crise à EDL affecte les réparations)


Qui est en grève et pourquoi?


Journaliers des sociétés prestataires de service

Craignant pour leur emploi en raison de l'incertitude qui plane sur NEUC et KVA, les journaliers de la première société réclament leur intégration au sein d'EDL. Ils demandent également le paiement des arriérés de salaires que leur doit le prestataire de services. Pour faire pression, ces journaliers mènent régulièrement des sit-in et des grèves, voire coupent des routes. Dernièrement, ils ont incendié des bennes à ordures dans l’enceinte du siège pour exprimer leur colère.


Querelles politiques?

Officiellement, ce sont les résultats négatifs de NEUC qui motivent la décision du gouvernement de ne pas renouveler le contrat de la société. Mais selon plusieurs sources, l'impasse au niveau du dossier des prestataires de service est le résultat de tensions politiques entre le CPL, fondé par le président de la République, Michel Aoun, et le mouvement Amal du président du Parlement, Nabih Berry. Les responsables politiques, assurent, eux, que ceci n'est pas le cas.

En 2014, un accord politique avait été conclu entre le député druze Walid Joumblatt, Michel Aoun et Nabih Berry, mettant fin à quatre mois d'occupation du siège d'EDL par les journaliers. Il imposait notamment à EDL d'accélérer l'organisation du concours administratif prévu par une loi d'avril 2012 pour permettre à une partie des contractuels d'être intégrés aux effectifs du fournisseur. Cette intégration n'a toujours pas eu lieu.


Employés d'EDL

En décembre dernier, les employés d'EDL s'étaient mobilisés pour protester contre le refus du ministère des Finances de valider la nouvelle grille des rémunérations préparée par la direction du fournisseur d'électricité afin d'implémenter la loi n° 46 promulguée en août 2017.

Le 8 janvier, le ministre de l'Énergie et de l'Eau, César Abi Khalil (Courant patriotique libre) et celui des Finances, Ali Hassan Khalil (Amal), sont parvenus à un compromis avec le syndicat des employés d'EDL au sujet des modalités d'implémentation de la nouvelle grille des salaires pour les employés d'EDL. Cet accord a mis fin à la grève des salariés d'EDL. La direction du fournisseur de courant est appelée à préparer une nouvelle grille qui devra être validée par le ministère de l'Énergie et celui des Finances avant d'être transmise au Conseil des ministres. Il faudra également que le conseil de la fonction publique donne son feu vert. Une procédure qui risque de prendre plus d'un mois.



(Repère : Nouvelle grille des salaires : qui est concerné et où en est la mise en œuvre)


Conséquences


La mobilisation des employés d'EDL et des journaliers des prestataires de services a sérieusement affecté l'activité du fournisseur, surtout au niveau de la distribution du courant, de la maintenance et de la collecte des factures.

Une source au sein de NEUC confiait à l'OLJ que ce sont les équipes d’EDL qui se chargent des réparations dans les régions que le prestataire de service gère d'habitude. La collecte des factures est quant à elle complètement suspendue dans les régions gérées par NEUC. KVA, de son côté, assure un service minimum pour les pannes les plus graves, mais ce sont principalement les fonctionnaires d’EDL qui ont pris le relais pour assurer les réparations dans ces régions. La situation est en revanche normale dans les régions gérées par BUS.

Il faut en outre savoir que les employés d’EDL sont les seuls capables d’intervenir sur les équipements de haute tension.

Par conséquent, c’est la distribution de courant qui a été affectée, pas la production, qui atteint actuellement près de 1 800 mégawatts (MW) pour une demande qui oscille entre 3 000 et 3 200 MW.

La grève avait coïncidé avec le moment où des dégâts considérables avaient été enregistrés au niveau de certaines centrales d'EDL en raison des intempéries qui ont touché le Liban à la mi-janvier, notamment la rupture de plusieurs lignes de haute tension dans l’enceinte de la centrale de Zouk. D'autres centrales électriques, notamment à Deir Ammar, au Liban-Nord, et Baalbeck, avaient également besoin de réparations.

L'alimentation en fuel des deux navires-centrales, le Fatmagül Sultan et le Orhan Bey, gérés par la société turque Karadeniz, a été également menacée par le mouvement de contestation.

Tous ces facteurs ont eu pour conséquence un rationnement supplémentaire en heures de courant pour les usagers d'EDL.


(Pour mémoire : EDL : un premier pas vers une sortie de crise)


Quid de l'amélioration de la production du courant?


La contestation sociale au sein d'EDL et des sociétés prestataires n'est pourtant pas la seule cause du problème d'alimentation en électricité. Le Liban souffre d'un problème structurel en ce qui concerne la production d'électricité. Plusieurs plans ont été développés pour y remédier, mais sans résultats jusque-là.


Plan Bassil

En juin 2010, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui était à la tête du ministère de l’Énergie, avait lancé un plan global pour l'énergie qui prévoyait du courant 24 heures sur 24 à partir de 2014-2015, moyennant des investissements totaux (part du privé incluse) de 4 870 millions de dollars. L’objectif était notamment de porter la capacité de production totale à 4 000 mégawatts en 2014 et 5 000 MW après 2015, contre une capacité disponible réelle de 1 685 MW en 2011. Plus de sept ans après l'adoption de ce plan, la production de courant ne dépasse toujours pas les 2 000MW, et le rationnement est toujours en vigueur. Le ministre actuel de l’Énergie, César Abi Khalil, attribue l'échec du plan de son prédécesseur à des "obstacles" et des "lacunes" ayant empêché la mise en œuvre de l'intégralité de ce plan.


(Pour aller plus loin : Le plan de Gebran Bassil pour l’électricité)


Plan Abi Khalil

En mars dernier, un autre plan, élaboré par M. Abi Khalil et présenté comme s'inscrivant dans la continuité de celui de M. Bassil, avait été adopté "en principe" par le gouvernement. Le plan Abi Khalil, articulé autour de cinq axes, propose d'actualiser certaines pistes prévues par le plan Bassil afin de pouvoir "combler le déficit" de production de courant.

Le premier axe prévoit la location supplémentaire de deux navires-centrales à la société Karadeniz Powership qui étaient censés assurer davantage de courant durant la saison estivale de 2017, une période où la demande atteint son pic et peut dépasser les 3 000 MW. Cette location était censée assurer une production supplémentaire de 825 MW pendant cinq ans.

Le deuxième consiste à confier la construction de centrales totalisant 1 000 MW à des opérateurs privés qui revendront leur électricité à EDL Le troisième axe reprend une autre piste du plan Bassil – jamais mise en œuvre – avec la construction de trois unités flottantes de stockage et de transformation du gaz liquéfié importé. La quatrième proposition prévoit de développer les énergies renouvelables afin de porter la part de celles-ci à 12 % de la demande d'électricité en 2020 à travers différents projets. Enfin, la dernière proposition suggère d'augmenter les tarifs pratiqués par EDL d'un peu plus de 40% pour lui permettre de supporter les coûts liés à l'augmentation de la production.

Jusqu'à présent, l'application du plan Abi Khalil bute sur l'obstacle relatif à la location des deux navires-centrales supplémentaires. Le projet a fait l'objet d'un appel d'offres lancé en avril – amendé en cours de route. Mais cette procédure est aujourd'hui dans l'impasse. (Lire ici : Navires-centrales : le Conseil d’État s’en mêle)


(Pour aller plus loin au sujet du plan Abi Khalil : Électricité : un plan opaque de 850 millions de dollars par an)

Autre dossier sensible : l'expiration, à la fin de l'année, de la concession d'électricité de Zahlé (EDZ), que le ministère de l'Énergie et de l'Eau ne souhaite pas renouveler. Or EDZ fournit depuis 2015, et de façon illégale, du courant aux 50 000 foyers qui dépendent d'elle pendant les heures de rationnement. Une situation de fait à laquelle ni le gouvernement ni EDL n'ont prévu de solution de substitution...


Pour mémoire

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commentaires (7)

ça veut dire quoi querelles politiques? Faut-il traduire par corruption? à tous les niveaux depuis 1990 au moins?

TrucMuche

17 h 47, le 31 janvier 2018

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Commentaires (7)

  • ça veut dire quoi querelles politiques? Faut-il traduire par corruption? à tous les niveaux depuis 1990 au moins?

    TrucMuche

    17 h 47, le 31 janvier 2018

  • Quand un générateur du quartier est de loin plus fiable que l’Electricité du Liban on comprend bien comment les mafieux empêchent cette compagnie de se développer .

    Antoine Sabbagha

    16 h 46, le 31 janvier 2018

  • Erratum : S'il y a une seule priorité et non pas (S'il y a une seule propriété) Avec mes excuses. Il faudrait que je me relise plus souvent concernant mes textes....

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 48, le 31 janvier 2018

  • On peut donner toutes les explicitons du monde ... Le problème reste le même : S'il y a une seule propriété au-dessus de toutes les autres, c'est bien celle-ci ! La production d'électricité suffisante aux besoin du pays, par les moyens propres du Liban ...(production locale et suffisamment abondante) Déchets, économie...viendront après car toutes choses (incinération des déchets, développement industriel etc ont besoin d'électricité)

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 31, le 31 janvier 2018

  • A LA BASE DE TOUT CA DEUX CAUSES PRINCIPALES : LES LATTAS DANS TOUT PROJET D,UN COTE... ET L,HEBETUDE DES INCAPACLES IGNORANTS DE L,AUTRE... TOUT LE RESTE DEPEND DE CES DEUX CAUSES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 07, le 31 janvier 2018

  • Article intéressant qui mérite un niveau de détail supplémentaire pour reellement comprendre les blocages. Là, nous restons sur notre faim, qui doit décider quoi pour débloquer la situation, qui a bloqué quoi dans l’execution du plan 2010? Merci d’avance pour un complément d’explication.

    Sam

    12 h 30, le 31 janvier 2018

  • En résumé : une belle pagaille ! Le comble est que EDZ, la seule compagnie qui fonctionne et fournit de l'électricité 24h/24 ne verra pas son contrat renouvelé ! Sans doute parcequ'elle ne remplit les poches d'aucun des princes qui nous gouvernent.

    Yves Prevost

    11 h 14, le 31 janvier 2018

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