Saad Hariri a annoncé, mercredi en fin de matinée depuis le palais présidentiel de Baabda, la suspension de sa démission du poste de Premier ministre, 18 jours après en avoir fait l'annonce à Riyad, en Arabie saoudite.
"J'ai présenté ma démission au président Aoun qui m'a demandé de patienter avant de la remettre officiellement, en vue de plus de concertations", a déclaré M. Hariri lors d'un discours au palais de Baabda, dans le cadre des célébrations de l'Indépendance du Liban. "J'ai accepté cette requête afin qu'un dialogue soit mis en place dans le but de régler les divergences, notamment concernant les relations du Liban avec les pays arabes", a-t-il ajouté. La démission de M. Hariri est donc "en suspens". D'après lui, les discussions devront porter sur "les motivations et le contexte politique" de cette démission qui avait pris le Liban et la communauté internationale par surprise.
"En ces temps, notre patrie a besoin d'un effort exceptionnel pour surmonter les défis. Pour cela, nous devons appliquer une politique de distanciation à l'égard des conflits dans la région et de tout ce qui pourrait perturber les relations avec les pays arabes", a déclaré M. Hariri. En annonçant sa démission, Saad Hariri avait accusé le Hezbollah et l'Iran de "mainmise" sur le Liban, disant craindre pour sa vie. Téhéran a rejeté des "accusations sans fondement".
"Je m'adresse à partir du siège de la présidence aux Libanais pour remercier et saluer l'ensemble des Libanais qui m'ont exprimé leur affection sincère, a-t-il ajouté. Je veux les assurer de mon engagement total pour une coopération avec le chef de l'Etat en faveur de la stabilité et de la protection du Liban face aux conflits de la région".
"J'aspire aujourd'hui à un véritable partenariat avec toutes les forces politiques en vue de mettre les intérêts du Liban au-dessus de tout autre", a encore ajouté le Premier ministre. "Nous sommes ouverts à tout dialogue, toute discussion dans le pays", avait affirmé lundi le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a semblé adopter un ton conciliant.
Ces événements interviennent en effet dans un contexte de fortes tensions sur plusieurs dossiers entre les deux poids lourds de la région, l'Arabie saoudite sunnite, qui soutient M. Hariri, et l'Iran chiite, grand allié du Hezbollah. Les deux puissances régionales sont farouchement opposées sur des questions comme la Syrie, le Yémen et le Liban, où elles soutiennent des camps adverses.
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Des discussions prévues
Un entretien entre le chef du gouvernement, le chef de l'Etat et le président du Parlement, Nabih Berry, suivi d'un tête-à-tête entre MM. Aoun et Hariri avaient précédé cette annonce. Lors de leur réunion, M. Aoun a expliqué à M. Hariri que les points soulevés par ce dernier lors de l'annonce de sa démission devaient faire l'objet de discussions entre les formations politiques concernées, en référence au Hezbollah, selon notre correspondante à Baabda Hoda Chédid, qui indique que les deux hommes se sont entendus sur le discours prononcé par M. Hariri à l'issue de cet entretien. Le délai de la suspension de la démission du Premier ministre et la forme que prendront ces discussions n'ont pas encore été définis, selon notre correspondante. Depuis le début de la crise, le chef de l'Etat avait refusé de se prononcer sur cette démission avant le retour au Liban de M. Hariri.
Mercredi matin, Saad Hariri, rentré mardi soir à Beyrouth, avait participé aux célébrations du 74ème anniversaire de la fête de l'Indépendance du Liban, dans le centre-ville de la capitale. Très applaudi à son arrivée sur l'avenue Chafic Wazzan par les responsables présents dans la tribune officielle, M. Hariri a été suivi par le président du Parlement et le chef de l'Etat qui se sont assis près de M. Hariri dans le carré présidentiel, avant le début de la parade militaire. M. Aoun a chaleureusement embrassé le Premier ministre avant de prendre place. Ce dernier est apparu le visage tantôt grave, tantôt souriant.
A la fin du défilé qui aura duré près d'une heure, les trois présidents se sont rendus au palais de Baabda pour recevoir les félicitations d'usage. Plusieurs dizaines de responsables politiques, diplomatiques, sécuritaires, judiciaires, économiques et sociaux sont attendus. MM. Hariri et Berry se sont rendus au palais présidentiel dans la même voiture.
Lors de ces félicitations protocolaires, le chef du gouvernement a évité de serrer la main de l'ambassadeur de Syrie à Beyrouth, Ali Abdel Karim Ali, s'éclipsant quelques instants avec le chef de la diplomatie libanaise, Gebran Bassil, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil et le ministre de l'Agriculture, Ghazi Zeaïter.
Après avoir quitté Baabda, Saad Hariri s'est rendu à la Maison du Centre, sa résidence privée, à Beyrouth, où il s'est adressé à plusieurs centaines de partisans venus l'accueillir.
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"L'intérêt du Liban prime sur tout"
En début de soirée, M. Hariri s'est rendu au siège de Dar el-Fatwa où il a été reçu par le mufti de la République, Abdellatif Deriane.
"Le mufti est une référence pour tous, et je veux le remercier car il a renforcé l'unité nationale. C'est pour cela que je suis venu m'entretenir avec lui", a déclaré M. Hariri à l'issue de la rencontre.
"L'intérêt du Liban prime sur tout, a répété le Premier ministre. On m'a beaucoup critiqué, en me demandant pourquoi je prends telle ou telle décision, mais je l'ai fait pour l'intérêt du pays, a expliqué Saad Hariri. Aujourd'hui, nous voulons renforcer nos relations avec les frères arabes, de manière à ne porter atteinte à aucun pays arabe, a-t-il ajouté. La distanciation est cruciale, nous devons l'appliquer concrètement".
"M. Hariri nous a habitués à prendre des décisions courageuses basées sur l'intérêt national pour sauver le Liban", a pour sa part affirmé le mufti Deriane. "La décision de M. Hariri (de geler sa démission, ndlr), est un pas en avant vers le dialogue entre les Libanais", a-t-il ajouté.
M. Hariri s'est ensuite rendu à Aïn el-Tiné où il s'est concerté avec Nabih Berry.
"Ce qui m'importe, c'est l'intérêt du Liban, et seulement le Liban. Il y a certaines choses que nous devons éviter, et cela concerne toutes les parties", a affirmé M. Hariri à l'issue de l'entretien. M. Berry, de son côté, n'a pas fait de déclaration.
"La distanciation concerne toutes les composantes politiques, améliore nos relations avec nos frères arabes et permet au Liban de dialoguer avec tout le monde. Nous sommes un petit pays qui ne peut se permettre de se mêler des affaires des autres", a insisté M. Hariri.
"M. Berry s'est montré constructif à ce sujet. Moi aussi, à la tête d'une formation politique, je dois respecter la distanciation, au profit du Liban", a-t-il expliqué.
"J'ai hésité à présenter ma démission, car le président Aoun m'a demandé cela", a ensuite répondu M. Hariri qui était interrogé par des journalistes.
"Nous pouvons avoir des divergences, mais au final, c'est l'intérêt du pays qui prime. Je veux me concentrer sur les concertations politiques. Je crois que nous pouvons aboutir à des résultats, et les frères arabes comprennent notre position et les circonstances de la situation actuelle", a-t-il conclu.
Le chef du gouvernement était arrivé mardi, peu avant minuit à Beyrouth à bord de son avion privé, après une visite éclair en Égypte, où il s'était rendu depuis la France, et une brève escale à Chypre, dont le président a annoncé dans la journée qu'il lancera une initiative pour mettre fin à la crise au Liban. Aussitôt après son arrivée, M. Hariri s'est recueilli sur la tombe de son père, Rafic Hariri, avant de se rendre à la Maison du Centre, sa résidence privée.
La crise a débuté le 4 novembre dernier avec l'annonce surprise, depuis Riyad, par Saad Hariri de sa démission. Alors qu'aucune date pour un retour de M. Hariri au Liban n'était avancée, suscitant d'intenses rumeurs sur la liberté de mouvement du Premier ministre, la classe politique libanaise avait rapidement, et de manière unanime, appelé M. Hariri à rentrer à Beyrouth.
Mercredi dernier, M. Aoun avait durci le ton en accusant l'Arabie saoudite de détenir M. Hariri, qualifiant cette détention d'"acte d'agression" contre le Liban. Des accusations rejetées par l'Arabie saoudite et démenties à plusieurs reprises par M. Hariri lui-même. Dans ses interventions à Beyrouth, M. Hariri ,'est pas revenu sur ces accusations.
La France, ancienne puissance mandataire du Liban, a alors endossé le rôle de médiateur dans la crise. Et c'est pour sortir de l'impasse, que le président Macron a invité à Paris M. Hariri et sa famille "pour quelques jours", affirmant néanmoins qu'il ne s'agissait "en aucun cas d'un exil politique".
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commentaires (10)
images surtout touchantes. Khayy - du beaume sur nos coeurs. mais sur celui de Michel sleiman ni celui de Fouad seniora . mais est ce assez pour faire oublier ou depasser le vrai probleme ? CERTAINEMENT PAS.
Gaby SIOUFI
10 h 44, le 23 novembre 2017