Rechercher
Rechercher

La dignité, mais ensuite ?

N'importe quel réalisateur ou directeur de casting vous le dira : au théâtre comme au cinéma, il est des rôles qui ne conviennent guère à certains acteurs, quelque immense et varié que puisse être leur talent ; ça ne colle tout simplement pas.


Ainsi, le chef du Hezbollah se défendant, la main sur le cœur, d'avoir livré un seul pistolet aux rebelles du Yémen ou d'ailleurs, cela ne surprend pas trop, c'est presque de bonne guerre. Hassan Nasrallah se souciant comme d'une guigne du verdict sans appel prononcé dimanche dernier contre sa milice par la Ligue des États arabes, c'est rigoureusement dans la ligne de l'arrogante politique de défi qu'affectionne Téhéran. Mais de là à voir cet homme qui se décline lui-même comme un simple soldat aux ordres du guide suprême, qui envoie ses combattants guerroyer partout où l'exige la République islamique, prier les Arabes de ficher la paix au Liban...


Le fait est que notre pays émerge sans trop de casse de ces assises arabes convoquées en grande urgence par Riyad et visant à faire barrage à l'hégémonisme effréné de l'Iran. Esquivant un choc frontal avec l'Arabie sans pour autant indisposer l'Iran, le ministre libanais des AE a fait, en somme, ce qu'il pouvait faire de meilleur en s'absentant. Et si les activités du Hezbollah, partenaire au sein du gouvernement de Beyrouth, ont été vertement condamnées – ce qui n'a rien d'inhabituel –, la responsabilité de l'État libanais n'a pas été explicitement retenue. Les pays arabes se sont montrés compatissants, ils connaissent notre situation, s'est laissé aller à admettre notre représentant auprès de la Ligue. C'est de la même compréhension (pour ne pas dire commisération) qu'est venu témoigner, à Beyrouth même, le secrétaire général de la Ligue, sans toutefois réussir à apaiser l'irritation des dirigeants. Pour un peu, on les comprendrait, allez : de là où notre pays excitait l'envie de ses pairs arabes, c'est de la pitié qu'il leur inspire désormais...


Il est toujours bien pénible de digérer ce genre de promotion. Ce l'est encore plus au lendemain du singulier séjour sous haute surveillance en Arabie dont vient d'émerger le Premier ministre Saad Hariri : rocambolesque affaire qui a suscité, à juste titre, l'inquiétude et l'indignation unanimes des Libanais. Deux semaines durant, le Liban officiel a entonné – et c'était là son droit le plus strict – la complainte de la dignité blessée. Mais toute cette éruption d'amour-propre national ne saurait tenir lieu indéfiniment de politique, aussi bien étrangère que domestique.


Dans son message pour l'indépendance diffusé hier soir, le président Aoun n'a pas manqué de critiquer à son tour l'attitude de la Ligue arabe. Il a insisté, à juste titre, sur la nécessité pour les Libanais de préserver leur unité, seule garante de la stabilité interne à l'heure où la région bouillonne autour de nous. Moins convaincant en revanche aura été son argumentaire relatif à la distanciation du pays par rapport aux actuels conflits régionaux. Il est désormais clair en effet que peu de monde, au-dedans comme au-dehors de nos frontières, croit encore à une aussi hypothétique neutralité. Celle-ci est devenue source de crises graves, illustrées par la démission du chef du gouvernement et l'isolement d'un Liban qui fut naguère le médiateur en titre de la communauté arabe. C'est donc une vaste et courageuse opération de rééquilibrage que commandent impérativement ces deux développements, qui ne souffrent plus en effet de faux-fuyants.
Avec le retour au pays de Saad Hariri, les trois plus hauts personnages de la République seront en mesure de trôner côte à côte ce matin à la célébration du 22 novembre. C'est évidemment fort heureux. Pour les Libanais cependant, la fête devra attendre la suite.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

N'importe quel réalisateur ou directeur de casting vous le dira : au théâtre comme au cinéma, il est des rôles qui ne conviennent guère à certains acteurs, quelque immense et varié que puisse être leur talent ; ça ne colle tout simplement pas.
Ainsi, le chef du Hezbollah se défendant, la main sur le cœur, d'avoir livré un seul pistolet aux rebelles du Yémen ou d'ailleurs, cela ne...