Le regard de l’ambassadeur du Liban au Caire, Antoine Azzam, en disait long hier... Khaled Desouki/AFP
Avec le retour demain soir ou mercredi matin à Beyrouth du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri, une nouvelle page politique doit forcément commencer à s'écrire et s'imprimer, s'articulant autour de la double trame induite par la démission-surprise du chef du gouvernement, il y a un peu plus de deux semaines, et le réquisitoire hier de la conférence ministérielle de la Ligue arabe contre le Hezbollah « terroriste, un partenaire dans le gouvernement libanais ».
Le Liban officiel, qui a sciemment ignoré pendant deux semaines les points développés par Saad Hariri pour expliquer sa décision, laquelle avait pris de court l'ensemble de la classe politique, à savoir en substance « le rôle déstabilisateur du Hezbollah au double plan local et régional », ne peut plus se permettre de continuer de pratiquer la politique de l'autruche qu'il a décidé de suivre depuis le 4 novembre, en faisant passer la forme avant le fond, c'est-à-dire en se concentrant sur les conditions, certes inhabituelles, de la démission, et en accusant sans relâche l'Arabie saoudite de « séquestrer » Saad Hariri après l'avoir « contraint à la démission ».
Le Premier ministre aurait bien pu, ou pas, être contraint de démissionner, le fait est que la succession des événements au cours du week-end qui vient de s'écouler a relégué ce point au deuxième plan. D'abord parce qu'elle a recentré le problème, au cœur duquel se situent l'Iran et le Hezbollah, et par ricochet le Liban, et mis en relief un début d'internationalisation de la crise née du bras de fer irano-saoudien.
Il y a d'abord eu le départ de Saad Hariri pour Paris où il a annoncé qu'il sera présent après-demain mercredi à Beyrouth pour le défilé de l'Indépendance, et où il a été reçu en compagnie de son épouse et de son fils aîné à l'Élysée. Paris s'est prononcé sans détour par la suite pour la politique de distanciation prônée par le Liban, mais foulée au pied par le Hezbollah. « Il faut que le Liban puisse retrouver sa stabilité (...) et être protégé des dangers que peuvent comporter pour lui les crises régionales. La politique de distanciation est extrêmement importante », a déclaré samedi un haut fonctionnaire de la présidence française de la République à notre collègue Sandra Noujeim, présente à Paris. « En même temps, Emmanuel Macron poursuit ses contacts permanents avec les dirigeants de la région et nous continuons à prendre toutes les initiatives que nous jugeons nécessaires pour la stabilité du Liban. Pour nous, l'essentiel est de protéger la stabilité du Liban de l'effet des crises régionales », a ajouté le haut fonctionnaire.
(Lire aussi : Rifi à « L'OLJ » : Il fallait au moins respecter le principe de distanciation, ce que le Hezbollah n'a pas fait)
Cabinet prisonnier
Après son audience avec Saad Hariri, le président français a eu des entretiens téléphoniques avec ses homologues libanais, Michel Aoun, américain, Donald Trump, et égyptien, Abdel Fattah el-Sissi, qui doit recevoir M. Hariri demain mardi au Caire, ainsi qu'avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui a pris contact à son tour hier soir avec le président Aoun pour lui faire part du soutien des Nations unies à la stabilité politique et à la sécurité du Liban.
Selon un communiqué de la Maison-Blanche, MM. Macron et Trump se sont entendus pour « œuvrer avec leurs alliés afin de faire face aux activités du Hezbollah et de l'Iran qui déstabilisent la région ». Emmanuel Macron devait dans ce même cadre formuler le souhait que Téhéran « ait une stratégie régionale moins agressive ». Une façon très diplomatique de faire référence aux ingérences de la République islamique d'Iran dénoncées dans les termes les plus virulents hier lors de la conférence ministérielle extraordinaire de la Ligue arabe, convoquée à la demande de l'Arabie saoudite, avec, à l'ordre du jour, un seul point : les immixtions iraniennes destructives dans les affaires des pays arabes.
En dépit des contacts intensifs effectués par le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, avec un certain nombre de ses homologues et du ton très apaisant du délégué permanent du Liban à la Ligue arabe, Antoine Azzam, les ministres arabes ont dressé un véritable réquisitoire contre le Hezbollah qu'ils ont assimilé aux gardiens de la révolution iraniens, mettant l'accent sur son rôle destructeur et déstabilisant, en l'accusant, au même titre que les pasdaran, de « financer et d'entraîner des groupes terroristes à Bahreïn ».
Ce que le Liban a réussi cependant à arracher aux ministres réunis – en l'absence de M. Bassil – c'est qu'on ne lui attribue pas la responsabilité des activités du Hezbollah. La conférence ministérielle a cependant pris soin de signaler dans son communiqué final que la formation chiite, « accusée aussi de fournir aux groupes terroristes dans les pays arabes des armes sophistiquées et des missiles balistiques », est un « partenaire » au sein du gouvernement libanais.
(Lire aussi : L'initiative de Paris se poursuivrait après le retour de Hariri à Beyrouth)
Le discours, ce soir, de Nasrallah
Un gouvernement qui se voit malgré lui prisonnier de cette dynamique régionale et internationale qui s'est mise en place au cours du week-end. Saad Hariri, qui a promis de façon énigmatique à partir de l'Élysée de faire connaître sa position après son entretien mercredi avec le président Aoun, voit ainsi sa marge de manœuvre encore une fois (dé)limitée par les exigences d'un alignement sur la politique arabe dont le Liban s'est targué en permanence. S'il est vrai qu'il maintient sa démission et qu'il serait prêt à s'engager dans un dialogue avec ses partenaires politiques pour la formation d'un nouveau cabinet dont il serait le président, c'est à un véritable jeu d'équilibriste qu'il doit se livrer.
Encore qu'il faudra au préalable voir quelle sera la réaction du Hezbollah à l'offensive diplomatique menée contre lui et qui risque de se transposer à l'ONU, conformément au vœu des ministres arabes des Affaires étrangères. Le secrétaire général de la formation chiite, Hassan Nasrallah, doit s'exprimer ce soir à 18h00, dans le cadre d'une intervention télévisée très attendue, dans la mesure où elle devrait montrer si le Hezbollah fera ou non primer l'intérêt du Liban, ou s'il entraînera le pays dans sa confrontation avec le monde arabe et occidental. De sources informées, on indique que Hassan Nasrallah pourrait annoncer ce soir, dans le sillage de la reprise du contrôle total de Boukamal, dernier bastion d'importance de l'État islamique, un retrait de son parti de Syrie.
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commentaires (6)
Il est certain que le Hezbollah ne primera jamais les intérêts du Liban avant celui de l'Iran. Sans une guerre contre cette milice (qui détruira le Liban), il n'y aura aucun espoir pour édifier un Etat libanais.
Achkar Carlos
11 h 37, le 20 novembre 2017