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Idées - Guerre des axes

Comment Paris peut-il se réinventer un rôle au Proche-Orient ?

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (à g.), en compagnie du Premier ministre libanais démissionnaire, Saad Hariri, le 16 novembre 2017, à Riyad. Valérie Leroux/AFP

La France s'efforce, depuis longtemps, de maintenir ou d'adapter son rôle au Moyen-Orient. Aujourd'hui ses grands partenaires (Égypte, Arabie saoudite) inquiètent par leurs crispations internes ou leur aventurisme extérieur. Le Liban, auquel elle tient tant, est dans la tourmente. Face à nombre d'obstacles : un contexte international défavorable, la difficulté à trouver des relais régionaux, la contradiction des intérêts français eux-mêmes. Paris peut néanmoins aborder cette séquence difficile avec une nouvelle méthode de dialogue.
Les encouragements donnés par Washington aux postures dures contre l'Iran favorisent la confrontation dans la région. Ni l'état actuel de l'Union européenne ni la longue prudence des émergents ne contrebalancent cette tendance. Et Moscou est suffisamment occupé par la Syrie pour se risquer à des arbitrages ailleurs. Dès lors, la France, plus préoccupée que d'autres par la situation libanaise et qui a souhaité y réagir vite, se trouve bien seule pour mener une initiative.

 

(Lire aussi : La France débloque la crise et invite Hariri à Paris)

 

Inventaire
Ayant établi une relation de confiance avec Riyad (essentiellement avant la nomination du nouveau prince héritier), Paris soigne également son dialogue avec Le Caire et se refuse à donner des leçons à quiconque, comme il l'a été rappelé lors de la visite à Paris du président Sissi. La posture a ses mérites comme ses défauts, mais elle ne permet pas de transcender le problème principal : aucune de ces capitales arabes n'est en mesure d'être un «hégémon» consensuel dans la tourmente actuelle. L'initiative appartient même désormais aux puissances non arabes, Israël, Iran, Turquie. Acteurs avec lesquels Paris entretient des relations tendues, et dont l'intransigeance se prolonge (Israël), se renforce (Turquie), ou fait l'objet de rapports de force internes (Iran).
La France doit enfin faire l'inventaire de ses intérêts dans la région. L'affaire syrienne, depuis 2013, reste l'objet d'un débat : en exigeant alors le départ de Bachar el-Assad, Paris a pris le risque d'avoir moralement raison tout en se mettant diplomatiquement hors jeu. Voir s'effondrer les régimes de l'Arabie saoudite ou de l'Égypte serait une nouvelle terrible, mais il est impossible de leur donner carte blanche pour jouer la politique du pire. Soutenir le Liban et le protéger du chaos est un réflexe à Paris : les événements libanais remontent plus haut et plus vite au sommet de l'État que beaucoup d'événements internationaux, et la France ne souhaite ni une mainmise étrangère sur le pays ni un étouffement progressif interne qui ne respecte pas la pluralité libanaise. Mais l'on se souvient du temps passé pour rien à tenter de résoudre la crise institutionnelle en 2007.

 

(Lire aussi : La France à la manœuvre dans la crise libanaise)

 

Changement d'optique
À région bouleversée, méthode nouvelle. La politique des blocs a vécu, l'unité arabe aussi, et les sociétés s'expriment de plus en plus. Comment Paris peut-il se réinventer un rôle ? Les équipes Macron, dans lesquelles on compte plusieurs connaisseurs de la zone, tablent d'abord sur le dialogue avec tous les acteurs, en l'élargissant même à de nouveaux, quels que soient les points de désaccord ; ensuite sur le multilatéralisme ; enfin sur la réaffirmation des principes.

Cette méthode (esquissée par le président devant les ambassadeurs français à Paris, ou les Nations unies à New York) peut-elle s'appliquer au Proche-Orient ? Le dialogue à tout prix, on l'a vu dans la réception de Sissi à Paris, comme d'ailleurs avec Trump ou Poutine, consiste à chercher les points de convergence en dépit de tensions réelles. Le multilatéralisme, lui, pourrait prendre la forme de conférences internationales aux formats ad hoc, sur la Syrie ou pourquoi pas sur le Liban, qui mettront l'accent sur l'avenir des peuples plutôt que sur les compétitions étatiques. La réaffirmation des principes, enfin, consiste à édicter la position et les lignes rouges de la France, mais sans en faire un casus belli.

 

(Lire aussi : Le pari de Macron au Moyen-Orient)

 

Un enseignement s'impose, sur la période récente : laisser les capitales régionales dériver vers la manière forte pour ménager leur susceptibilité n'a renforcé ni la stabilité régionale ni l'influence française. La France teste donc sa nouvelle méthode. Elle maintient le lien historique avec Le Caire ou Riyad, mais mise aussi sur les Émirats, acteur montant. Emmanuel Macron, puis son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (ce dernier fort d'une relation de confiance ancienne avec l'Arabie), rendent visite au prince héritier saoudien pour parler du Liban, mais invitent dans la foulée Saad Hariri à Paris, comme pour souligner que la souveraineté libanaise n'est pas négociable.

Pour peser davantage, la France doit sortir des dilemmes traditionnels : Doha ou Riyad, Sissi ou pas Sissi, Bachar ou Daech, le Hezbollah ou Hariri, etc. D'autant qu'ainsi formulés, c'est le Proche-Orient qui en est la première victime. Surtout, elle peut tenter de prendre l'initiative, en y associant les institutions internationales, de nouveaux acteurs étatiques, et les nouveaux acteurs sociétaux (jeunes, intellectuels, femmes). La réussite n'est jamais garantie au Proche-Orient, mais il est temps d'essayer ce qui ne l'a pas encore été.

Professeur des universités en science politique à l'École nationale d'administration, à l'Université de Clermont Auvergne et Sciences Po Paris.

 

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commentaires (1)

Soutenir le Liban et le protéger du chaos est un réflexe bon de Paris . Merci toujours pour la France .

Antoine Sabbagha

17 h 58, le 18 novembre 2017

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Commentaires (1)

  • Soutenir le Liban et le protéger du chaos est un réflexe bon de Paris . Merci toujours pour la France .

    Antoine Sabbagha

    17 h 58, le 18 novembre 2017

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