La tension entre Beyrouth et Riyad venait à peine d'atteindre son paroxysme avec la déclaration tonitruante du chef de l'État Michel Aoun, sorti de sa réserve pour accuser l'Arabie saoudite de retenir, contre son gré, le Premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, que la diplomatie française a immédiatement accéléré le rythme de son intervention pour remédier à une crise diplomatique en gestation.
Le forcing de Paris devait s'avérer payant : l'issue suggérée par le président français, Emmanuel Macron, de faire venir à Paris M. Hariri et sa famille « dans les prochains jours » a fait baisser la tension d'un cran. Le président français a toutefois assuré que M. Hariri regagnerait Beyrouth par la suite pour « y confirmer sa démission, si tel est effectivement son choix », écartant d'emblée l'hypothèse d'un exil.
« Je me suis entretenu avec le prince héritier (saoudien) Mohammad ben Salmane et avec le Premier ministre Saad Hariri, et nous sommes convenus que je l'invitais pour quelques jours, M. Hariri, en France avec sa famille », a dit le président français à des journalistes, en marge de la COP23 à Bonn. « C'est aussi un geste d'amitié et une volonté marquée de la France de contribuer au retour au calme et à la stabilité au Liban », a-t-il ajouté.
Alors que plusieurs sources libanaises indiquaient que le départ de M. Hariri pour la France serait « imminent », France 24 a annoncé tard en soirée, citant des « sources françaises », que le Premier ministre n'arriverait pas à Paris avant dimanche.
Parallèlement, le ministre français des Affaires étrangères, qui a été dépêché hier en soirée à Riyad pour s'entretenir avec le prince héritier, devait plancher de son côté sur le scénario d'exit de M. Hariri et sur les conditions de ce règlement que la France venait de mettre en place.
Une source proche du dossier croit savoir que les « négociations » entre le chef de la diplomatie française et le prince héritier vont probablement porter sur les détails de l'accord relatif à « des dossiers et contrats à caractère militaire et économique ».
« Nous avons aussi d'assez bonnes relations historiques avec l'Arabie saoudite même si manifestement certains espoirs ont été déçus en matière de contrats », avait affirmé mardi à l'AFP Denis Bauchard, expert du Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (IFRI). La « déception » la plus récente, selon des sources informées, concernerait le fameux don saoudien des trois milliards de dollars en équipements militaires qui devaient être produits par la France et fournis à l'armée libanaise.
Selon les informations diffusées par le bureau de presse de l'Élysée, cette issue aurait mûri après plusieurs entretiens avec M. Hariri et le prince héritier d'Arabie saoudite depuis hier (mardi). Elle pourrait avoir été précipitée après le regain de tension suscité par la déclaration du président Aoun, qui a décidé hier de hausser le ton face à l'Arabie saoudite, en dénonçant les « restrictions » imposées à M. Hariri qu'il considère comme étant l'« otage » de Riyad, « ce qui est contraire à la convention de Vienne », a-t-il déclaré. Il s'agit, devait-il ajouter, d'« un acte d'hostilité envers le Liban ».
C'est la première fois depuis la démission surprise annoncée le 4 novembre par le Premier ministre à partir de Riyad que le chef de l'État confronte aussi directement le royaume wahhabite, s'étant contenté jusque-là d'insister sur la nécessité du retour de M. Hariri au Liban, afin d'y voir plus clair, disait-il.
Dans une tentative se voulant rassurante, M. Hariri a affirmé par voie de Twitter qu'il allait « très, très bien » et qu'il comptait rentrer au Liban « comme promis ».
Cette escalade a immédiatement été dénoncée dans les milieux haririens, où l'on pense que le chef de l'État a recouru à « une démarche périlleuse » et qu'il aurait mieux fait d'« arrondir les angles en cette période critique au lieu de faire monter les enchères dans un jeu qui dépasse le Liban ».
(Lire aussi : Ce qui se cache derrière l’escalade de Baabda...)
Accalmie sur le front de Baabda
Sitôt le feu ouvert à partir de Baabda, la valse diplomatique s'est accélérée sur plusieurs fronts, et les appels à la non-ingérence dans les affaires libanaises se sont multipliés, alors que le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, poursuivait sa tournée européenne avec une nouvelle escale hier à Londres, puis à Rome, où il a notamment rencontré le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Le prélat maronite, qui s'active entre Riyad et Baabda depuis quelques jours, a adressé à M. Aoun un message par le biais de M. Bassil, dont la teneur est restée secrète. Dans ses déclarations à Rome, ce dernier a d'ailleurs recouru à une terminologie beaucoup plus conciliatoire, évoquant son souhait de nouer des relations fraternelles avec Riyad.
« Nous allons poursuivre nos efforts afin de régler cette crise à l'amiable, car nous voulons des relations fraternelles avec l'Arabie saoudite, le seul moyen étant le retour de M. Hariri au Liban. Après, c'est aux Libanais de dialoguer pour aboutir à une position unifiée », a déclaré M. Bassil, avant d'ajouter : « Si l'Arabie saoudite a un problème avec l'Iran, qu'elle traite cela avec Téhéran et non avec le Liban (...). Le monde est d'accord que le Liban ne doit pas être un terrain de règlement de comptes entre États », a également dit le chef de la diplomatie, dans ce qui pourrait apparaître comme une allusion à peine voilée à la requête de distanciation formulée par Riyad.
Parallèlement, à Beyrouth, le ton a commencé à baisser peu à peu, notamment du côté de la présidence. Dans l'après-midi, le conseiller du chef de l'État, Élias Bou Saab, a cherché à expliquer les propos du président, dans le sens de l'accalmie.
L'ancien ministre a reconstitué le fil des événements, rappelant les multiples requêtes du chef de l'État en direction de Riyad. M. Aoun a cherché « en vain » à obtenir des éclaircissements sur la situation de Saad Hariri, notamment auprès du chargé d'affaires saoudien, Walid Boukhari, a-t-il dit en substance. « C'est ce qui a motivé le président à hausser le ton pour que la lumière soit faite rapidement » sur cette affaire, a souligné M. Bou Saab, qui a pris soin d'ajouter que « le chef de l'État est attaché au fait de ne pas porter atteinte aux relations libano-saoudiennes, d'autant qu'il estime que ce qui s'est produit avec le Premier ministre Hariri peut être exploité pour nuire à ces relations ».
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commentaires (10)
et si je peux continuer la honte c'est d'avoir entendu un autre president affirmer qu'aucune decision ne peut etre prise au liban sans le consentement de l'iran, pourtant sans meme y repondre avec ne serait ce qu'un communiquer
Bery tus
22 h 10, le 16 novembre 2017