Soulagés, d'une certaine manière, d'apprendre que le Premier ministre, Saad Hariri, sera samedi en France, en principe en famille, à l'invitation du président français, l'on ne peut s'empêcher, en même temps, de s'interroger : pourquoi en France ? Ne serait-ce pas un prétexte supplémentaire qu'on impose à un Saad Hariri otage d'un conflit qui le dépasse, pour continuer à faire pression sur le Liban ? Car enfin, comme l'a relevé à plusieurs reprises le chef de l'État, il est dans ses devoirs de Premier ministre d'expédier les affaires courantes de son gouvernement, en attendant la formation d'une nouvelle équipe. Or voici déjà deux semaines que le gouvernement ne s'est pas réuni.
Mais par ailleurs, après les deux semaines éprouvantes qu'il vient de vivre, le Premier ministre ne mérite-t-il pas de se remettre de ses émotions, avant d'affronter l'ouragan politique qui, n'en doutons pas, l'attend dans son pays ?
Les plus sceptiques, eux, continuent de se méfier de la violence que M. Hariri pourrait encore subir, dans le contexte difficile où il est placé. Ceux-là ne seront tranquilles que lorsqu'ils verront les deux pieds de M. Hariri fouler le sol de la France. Car alors seulement sera clos l'épisode pénible qui s'est ouvert le samedi 4 novembre avec une démission marquée du sceau de la suspicion, qui a fait croire à son assignation à résidence, voire à sa mise en examen.
Le chef de l'État n'est d'ailleurs pas loin de nourrir de tels sentiments, puisqu'il a annoncé hier devant les deux grands corps de la presse écrite qu'il croira libres les propos du Premier ministre s'il les tient à partir de la France, ce dont il doutait quand il s'exprimait de Riyad.
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Détente
Quoi qu'il en soit, la nouvelle de l'invitation présidentielle française adressée à M. Hariri et aux membres de sa famille a, de toute évidence, détendu l'atmosphère. C'est ainsi qu'au palais présidentiel, le chef de l'État a fait des déclarations nettement en retrait par rapport à celles qu'il tenait la veille, tandis que Gebran Bassil mettait un bémol à la campagne marathon entamée auprès des grandes capitales européennes pour plaider la cause d'une action diplomatique qui permettrait le retour au Liban d'un Premier ministre soupçonné de n'être plus libre de ses mouvements.
La question de la sécurité de M. Hariri étant sur le point d'être réglée, c'est la question politique de fond qui devrait désormais prendre la vedette. Sur le fond, en effet, l'affaire Saad Hariri a déclenché une levée de boucliers des purs et durs du 14 Mars et de la communauté sunnite, qui refusent de transiger avec le Hezbollah et qui reprochent à M. Hariri d'avoir été trop complaisant à son égard. Le ministre saoudien Thamer el-Sabhane s'était fait le porte-parole de cette tendance, et l'on a vu à quelles extrémités ses tenants étaient prêts à aller pour renverser la table et provoquer ce que, dans sa prestation télévisée avec Paula Yacoubian, M. Hariri avait qualifié de « choc positif ». Un nouveau compromis est-il possible entre le feu et l'eau ? Voilà qui n'est pas sûr.
Les scénarios sont passés en revue, sans qu'il soit possible dire de quel côté va pencher la balance. Le Premier ministre renoncera-t-il à sa démission et au prix de quel rééquilibrage ? Sinon, que se passera-t-il ? Pendant combien de temps lui faudra-t-il assurer l'expédition des affaires courantes ? Et si le Premier ministre démissionne verbalement, à partir de la France, tout en se gardant de rentrer au pays ? Le chef de l'État parviendra-t-il, dans ce cas, à mettre en œuvre, avec le président de la Chambre, au nom de la continuité des affaires publiques, une procédure d'exception qui lui permettrait de gouverner malgré tout ? Quel serait le résultat des consultations parlementaires qui suivront ? Seront-elles boycottées par la communauté sunnite ? Le Hezbollah acceptera-t-il de restreindre son action au seul Liban et de se dégager du Yémen ? Autant de questions que l'on est en droit de se poser et auxquelles il n'y a pas de réponses claires.
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Réparation
Enfin, le Liban sera certainement placé, au cours des prochaines semaines, devant le devoir de réparer, pour autant qu'il en assume une part de responsabilité, ce qui a été déchiré dans les relations avec l'Arabie saoudite, ces deux dernières semaines. Ces réparations, le conseiller du chef de l'État, l'ancien ministre Élias Bou Saab, a commencé à les apporter, en adoucissant au maximum la portée des propos intransigeants exprimés par le chef de l'État, ces derniers jours, au sujet des atteintes à la souveraineté et à l'indépendance du Liban que l'affaire Saad Hariri a pu constituer. « Après tout, l'Arabie saoudite n'est-elle pas le premier pays que le chef de l'État nouvellement élu a visité ? » a-t-il fait valoir. Et d'un jeune souverain en puissance qui prône l'ouverture, ne faut-il pas attendre, à côté de la fermeté, un rejet de la violence aveugle autocratique ?
Certes, connaissant Michel Aoun, ces réparations ne pourront pas être de pure complaisance. En même temps, le Liban devra tenir compte d'une relation de nécessité avec l'Arabie saoudite à laquelle la présence loyale et efficace dans ce pays de tant de Libanais et la visite historique du chef de l'Église maronite viennent de donner un nouveau souffle, celui-là même du dialogue des civilisations et des religions.
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commentaires (11)
Comment peut-on s'aligner, s'attaquer à, ou défendre seulement un de nos deux "parrains" (l'Iran et l'Arabie). C'est chacun pour soi dans ce monde. Oui, des relations courtoises avec tout le monde (y compris l'Arabie et l'Iran); après tout nous sommes tous des hommes ! Mais ne soyons pas dupes. Nous (libanais) sommes tellement têtus que nous voulons toujours nous aligner avec quelqu'un et contre quelqu'un. Pire que des moutons (qui d'ailleurs s'avèrent être assez intelligents selon une nouvelle recherche !). Beeeeh...
Grand Duc
17 h 39, le 17 novembre 2017