« Il est très, très, très tôt de parler de démission ou encore de formation d'un nouveau gouvernement », a asséné hier le président du Parlement Nabih Berry, à l'issue d'une réunion à Baabda avec le président de la République Michel Aoun, dès son retour d'Égypte où il s'était rendu samedi, le jour de la démission du Premier ministre Saad Hariri.
Comme en prévision d'une telle déclaration, l'ancien ministre de la Justice Achraf Rifi avait auparavant affirmé : « Le fait que le chef de l'État n'ait pas accepté la démission du Premier ministre et fixé la date du début des consultations parlementaires obligatoires constitue une violation flagrante de la Constitution et des prérogatives du président du Conseil. »
Pour l'instant, des sources proches de Baabda affirment que le chef de l'État refuse de prendre acte de la démission de M. Hariri avant de comprendre de ce dernier, dans le cadre d'un entretien personnel avec lui à son retour, les raisons de cet acte. Partant, le cabinet n'est pas démissionnaire et n'est pas chargé d'expédier les affaires courantes, selon cette logique, qui représente « une interprétation personnelle de la Constitution », reconnaissent les sources précitées, « dictée par la nécessité de geler la situation institutionnelle et d'empêcher son effondrement ».
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Quelles sont les conditions pour que la démission de M. Hariri soit considérée comme effective ? Suffit-il qu'elle soit prononcée oralement par le chef du gouvernement ou faut-il que le président de la République la reçoive par écrit et l'approuve ? Si cette dernière exigence est retenue, l'acceptation se ferait-elle attendre indéfiniment ou au contraire devrait-elle respecter un délai déterminé, sachant que seule une démission effective permet l'amorce de consultations parlementaires en vue de nommer un nouveau chef de gouvernement ? Autant d'interrogations soumises par L'Orient-Le Jour à des experts juridiques.
Pour Lara Karam Boustany, professeure de droit constitutionnel à l'Université Saint-Joseph, la démission du chef du gouvernement est effective. « L'article 69 de la Constitution ne prévoit aucun formalisme dans l'acte de démission », affirme-t-elle, soulignant que le texte donne à la décision « un caractère automatique ». Quid si le Premier ministre a été contraint de démissionner ? « Si sa décision a été arrachée par la pression ou la violence et n'a donc pas émané d'une volonté libre, son consentement serait considéré comme vicié, ce qui rendrait la démission nulle », indique-t-elle, notant toutefois qu'une telle situation est inédite.
Khairallah Ghanem, constitutionnaliste, est également catégorique. « Il n'y a aucune forme particulière de démission exigée par la Constitution », martèle-t-il, indiquant, pour corroborer son affirmation, qu' « après l'indépendance, Sami el-Solh, qui présidait un gouvernement sous le mandat du président de la République Béchara el-Khoury, avait été considéré par ce dernier comme démissionnaire du simple fait qu'il avait fait part devant quelques députés de sa volonté de démissionner ».
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Nécessité d'une acceptation ?
Hassan Rifaat, professeur à la faculté de droit de l'USJ, apporte, pour sa part, une nuance. S'il affirme également que la Constitution ne fait aucune mention de modalités pour qu'une démission d'un Premier ministre produise ses effets, il estime cependant que les réponses doivent être recherchées aussi dans la loi et les principes généraux du droit. « La loi stipule que dans le secteur de la fonction publique, la démission d'un fonctionnaire doit faire l'objet d'une acceptation de l'administration », indique M. Rifaat, estimant qu'« a fortiori donc, la démission d'un chef de gouvernement, qui entraîne de surcroît celle de 30 ministres, ne peut être traitée comme un simple acte personnel, d'autant qu'elle affecte le pouvoir exécutif et met en jeu l'équilibre des institutions. » L'expert estime en outre que le principe de la continuité du service public, reposant sur la nécessité de répondre sans interruption aux besoins d'intérêt général, « impose que l'acte de démission soit entouré de garanties, notamment l'acceptation par le chef de l'État ».
Pour M. Rifaat, il faut pourtant que l'acceptation de la démission se fasse dans « un délai raisonnable ». « Il y a un juste milieu à adopter en vue d'éviter tant les répercussions d'un effet immédiat de la démission que celles d'un trop long délai imparti à l'acceptation », fait valoir l'ancien magistrat, estimant dans cette optique que « le chef de l'État, garant de la continuité des institutions, doit trancher dans un délai raisonnable ». Reste à savoir comment définir ce délai, d'autant qu'il est tributaire de circonstances politiques, comme le porte à croire la déclaration du président du Parlement, hier, à sa sortie de Baabda.
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« Hariri s'est déjà justifié »
Savoir par exemple si une démission orale est valide ou s'il faut l'exprimer par écrit ne revêt pas d'importance dans le contexte politique actuel, estiment dans ce sillage le juriste Hassan Rifaï, contacté par L'Orient-Le Jour. « En annonçant son désistement à travers un média audiovisuel que des dizaines d'autres médias ont transcrit, le Premier ministre démissionnaire est en tout état de cause prêt à transmettre par écrit son acte au président de la République », fait-il valoir. Selon lui, le chef de l'État ne voudra pas se contenter d'un écrit, sachant qu'il a déjà demandé d'avoir une entrevue avec M. Hariri, à la lumière de laquelle il décidera de la suite à donner à cette démission. « Aucun texte n'exige pourtant une justification de la démission », affirme-t-il, notant dans le même temps que « le Premier ministre a déjà révélé, dans le texte qu'il a lu, les raisons qui l'ont poussé à entreprendre sa démarche ». Pour M. Rifaï, le président Aoun, ainsi que le président Berry et les responsables du Hezbollah veulent ainsi montrer, dans le cas où le Premier ministre démissionnaire ne rentrerait pas au pays, que sa volonté a été prise en otage et sa démission forcée. « Ils auront ainsi les coudées franches pour agir comme si le gouvernement existe toujours et convoquer le Conseil des ministres en l'absence de M. Hariri, sous la présidence du vice-Premier ministre, Ghassan Hasbani, à condition certes que les Forces libanaises ne se retirent pas du gouvernement », ajoute-t-il.
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17 h 55, le 07 novembre 2017