Le bourbier politique libanais s'élargit et se creuse au gré d'alliances contre-nature et contre-alliances tout aussi surprenantes, où chacun des protagonistes tente de tirer son épingle du jeu, sans y laisser des plumes.
Après le retournement de situation créé d'abord par le parrainage de Saad Hariri de la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République, suivi du rapprochement subit entre les deux rivaux chrétiens historiques, Samir Geagea et Michel Aoun, c'est au tour des Kataëb d'avancer leurs pions dans une direction qui se précise de plus en plus. Le rapprochement timide, amorcé il y a deux ans avec le Hezbollah, se consolide. Dès la semaine prochaine, des réunions entre les représentants des deux partis sont prévues, et la présidentielle devrait y occuper une place centrale, mais pas seulement.
La redistribution des cartes bat ainsi son plein, les enjeux se font et se défont dans la cour des grands, dans un seul et unique objectif pour l'instant : œuvrer au retour à l'équilibre et la stabilisation des rapports de force, sans aucune répercussion tangible en termes de redynamisation des institutions. Ainsi, et après avoir gravement atteint la première magistrature pendant un an et demi, la paralysie risque d'affecter un autre processus démocratique escompté, les élections municipales, prévues au mois de mai.
Certes, la rhétorique des parties en présence verse comme d'habitude dans le politiquement correct, plusieurs voix ayant déjà répercuté « la volonté de tenir ces élections dans les délais constitutionnels », avec, à leur tête, le ministre de l'Intérieur. Toutefois, le vœu pieux publiquement exprimé risque de ne pas se concrétiser lors de la prochaine séance du Conseil des ministres, mardi prochain, où seront révélées au grand jour les intentions réelles des uns et des autres à ce propos, croit-on savoir de source informée.
Placé à l'ordre du jour de cette réunion, notamment sur l'insistance de Nouhad Machnouk, le vote du budget nécessaire pour organiser le scrutin pourrait rencontrer des obstacles réels ou fictifs, ou être reporté sine die...
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Bref, un scénario qui rappellerait drôlement celui qui avait précédé aux discussions la veille des élections parlementaires, reléguées depuis aux calendes grecques, deux prorogations successives du mandat des députés s'étant grossièrement substituées à l'alternance espérée.
Certes, le feu vert donné aux élections municipales par le secrétaire général du Hezbollah, vendredi dernier, pourrait augurer d'une perspective plus optimiste, d'autant qu'aucun responsable ne voudrait logiquement assumer l'impopularité d'un blocage de ce scrutin. Toutefois, nombreux sont ceux qui considèrent que les différentes parties politiques « ont actuellement d'autres chats à fouetter » et pourraient royalement ignorer ce nouveau test indirect de leur (im)popularité, l'heure n'étant pas au réveil des vieux démons et du langage des urnes.
À la tête de leur préoccupation, l'enjeu de l'élection présidentielle qui se complique au fil des jours, voire des heures, les deux candidats en lice – des alliés devenus concurrents du jour au lendemain – ayant fermement maintenu leurs candidatures respectives, en dépit de la situation schizophrénique qu'elle a entraînée.
En assurant hier en soirée qu'il ne retirera pas sa candidature tant que l'élection de Michel Aoun n'est pas assurée, et tant que l'ancien Premier ministre Saad Hariri n'a pas décidé de soutenir la candidature de ce dernier, Sleiman Frangié est venu mettre de l'eau au moulin du chef du Hezbollah. Ce dernier avait clairement énoncé vendredi dernier, lors d'une intervention exclusivement consacrée à la présidentielle, la volonté de son camp de s'abstenir de se rendre au Parlement « tant que la victoire de M. Aoun n'est pas garantie ».
Entendre : le boycottage en attendant Godot, voire un miracle, puisque le parti chiite assure ne « pas pouvoir imposer » ses desiderata à ses alliés qui doivent en définitive régler l'affaire entre eux. Affirmant par la même occasion ne pas être non plus « pressé », Hassan Nasrallah venait de donner le mot d'ordre à la veille de la tenue de la séance électorale du 8 février, assurent certains milieux politiques. Une attitude qui semble avoir sérieusement déçu les assises populaires des deux candidats en lice, qui ont de plus en plus mal à comprendre la logique derrière la perpétuation du blocage.
Parallèlement, l'annonce à l'avance par les milieux du 14 Mars de la teneur du discours que prononcera Saad Hariri lors du rassemblement annuel du Biel, prévu le 14 février (soit une semaine après la date de la séance électorale), qui portera notamment sur la « nécessité de pallier la vacance présidentielle », est significatif à cet égard. Il est une preuve que personne, absolument personne, ne croit à l'émergence d'un nouveau président le 8 février, ni dans un avenir proche d'ailleurs.
À la confusion qui règne désormais dans les deux camps du 8 et du 14 Mars, après les annonces surprise des deux candidatures de MM. Frangié et Aoun, par deux des composantes du 14 Mars de surcroît, viennent s'ajouter les antipathies personnelles. Comme le refus catégorique, comme l'assurent des sources informées, du président du Parlement d'avaliser la candidature de Michel Aoun, auquel Hassan Nasrallah vient de renouveler son appui... sans oublier de ménager son autre allié de taille, le chef des Marada, après avoir vanté la « distanciation » que la République islamique observe à l'égard du dossier libanais et applaudi la « démocratie iranienne ».
Cela a suffi pour faire sortir Walid Joumblatt de ses gonds et de son mutisme relatif à l'égard des questions touchant au parti chiite. Le leader druze devait rappeler en substance qu'une théocratie aux relents dictatoriaux ne saurait donner des leçons à une démocratie aussi vulnérable que la nôtre. Il a été aussitôt relayé par le chef des Forces libanaises, qui s'est demandé hier pourquoi le secrétaire général du Hezbollah, ayant déclaré que son camp avait réalisé un gain politique substantiel avec deux candidats de son bord, refuse donc de couronner cette victoire par un vote ?
La réponse tarde à venir.
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Hassan Nasrallah a débuté 2016 avec une note d'humour noire mais toujours avec le meme principe, constant et immuable, celui de prendre les Libanais pour des imbéciles! Aoun, lui, faisait idem mais s'est vite rendu compte que sa base ne l'est pas, imbécile, et donc se trouvait lâché de plus en plus. Il a décidé de se mettre d'accord avec les FL qui sont plus solide et credible. La suite est intéressante a suivre... Voyons qui vendra quoi contre quoi, pour quoi ou avec quoi... Je ne serait pas étonné de voir Sami a la Présidence! Pourquoi pas? J’espère cependant qu'il ne suivra pas les traces de son père qui n'a malheureusement pas été exemplaire.
10 h 21, le 01 février 2016