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Liban - Reportage

« Par les temps qui courent, tout est possible » : le constat, désabusé, des Palestiniens de Bourj el-Brajneh

Trois ressortissants syriens, impliqués dans le double attentat de jeudi dernier dans la banlieue sud de Beyrouth, ont été arrêtés lundi dans la périphérie du camp de réfugiés.

La rue principale du camp de Bourj el-Brajneh, un camp qui a l’air figé dans le temps. Photo Michel Helou

L'arrestation, lundi, de trois ressortissants syriens dans la périphérie du camp palestinien de Bourj el-Brajneh, en rapport avec le double attentat de jeudi dernier dans cette localité de la banlieue sud, n'a pas choqué les réfugiés palestiniens qui habitent les lieux. « Par les temps qui courent, nous savons que tout est possible », lance Chawkat, qui ne sera pas surpris non plus si on découvre d'autres cellules dans le camp ou aux alentours.

Pour mieux contrôler le camp, le comité populaire en charge des lieux a pris la décision hier d'effectuer un nouveau recensement pour faire le décompte des réfugiés palestiniens venus de Syrie et des réfugiés syriens à l'intérieur du camp. Tout au long de la journée, les haut-parleurs du camp appelaient Syriens et réfugiés palestiniens de Syrie à se présenter en fin d'après-midi auprès du comité populaire pour se faire enregistrer.
Petit comme un mouchoir de poche, le camp palestinien de Bourj el-Brajneh abrite actuellement 17 000 réfugiés palestiniens, auxquels se sont ajoutés quelque 500 familles palestiniennes de Syrie et 500 autres familles de réfugiés syriens, selon les chiffres revus à la fin du recensement.
« Lundi, beaucoup de jeunes Palestiniens du camp ont accompagné la police libanaise pour qu'elle procède aux arrestations », raconte Mohammad, qui est lui-même recherché par les autorités libanaises et qui n'en revient pas d'avoir marché côte à côte, lundi, avec les militaires libanais pour les accompagner jusqu'au bâtiment suspect. « Officiellement, l'immeuble où habitaient les trois hommes arrêtés par la police ne fait pas partie du territoire du camp », ajoute-t-il.

 

(Pour mémoire : En état de choc, Bourj el-Brajneh tente de se relever)


Ibrahim, qui travaille au marché des quatre saisons du camp, note de son côté : « Le quartier est baptisé Hay el-Baalbakiyé (quartier des habitants de Baalbeck) et l'immeuble en question appartient à un Libanais de confession chiite. » Ibrahim en a assez de voir les réfugiés palestiniens pointés du doigt à chaque crise que traverse le Liban.
« Quatre Palestiniens ont été victimes du double attentat de Bourj el-Brajneh, personne n'a parlé d'eux. Je suis né à Bourj el-Brajneh, j'ai été à l'école dans le quartier. Je travaille avec des Libanais. Nous sommes à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau du quartier de Hay el-Sekké (où l'attaque s'était produite). Nous sommes aussi concernés par le double attentat. Mais à chaque secousse dans le pays, nous sommes pointés du doigt », s'insurge-t-il. « Avec ce qui se passe dans la région, c'est normal de retrouver des fondamentalistes partout et pas seulement dans les camps palestiniens du Liban », poursuit-il.
Un peu plus loin, Ali, un autre réfugié palestinien du camp, raconte : « Le jour du double attentat, un Palestinien se trouvait dans le hall de l'hôpital al-Rassoul al-Aazam. Son père était hospitalisé. Il a été passé à tabac... Les gars se sont ensuite excusés. » « Les premières quarante-huit heures après l'attaque, nous avons eu peur. Nous avons pensé que les habitants de la banlieue sud pourraient entrer dans le camp pour venger les morts, comme si nous étions responsables de la tuerie. Puis les esprits se sont calmés », ajoute-t-il.

 

(Lire aussi : Jours (pseudo) tranquilles à Achrafieh...)

 

« Des jeunes rasés de près »
La camp abrite toutes les factions palestiniennes, l'OLP et le Hamas certes, mais aussi des factions qui ont l'air de sortir tout droit de l'ère communiste et de la guerre froide, notamment la Saïqa et le FPLP-CG prosyriens, et aussi une faction au nom interminable qui était soutenue par le Baas irakien de Saddam Hussein. Ce dernier est mort et l'Irak a bel et bien changé, mais cette faction palestinienne existe toujours à Bourj el-Brajneh.
Pour arriver à Hay el-Baalbakiyé, il faut traverser la route principale du camp, passer sous une forêt de fils électriques de branchements illicites et longer des ruelles décorées de drapeaux palestiniens et de posters du chef historique de l'OLP Yasser Arafat.
Trois minutes à pied séparent Hay el-Baalbakiyé de l'hôpital al-Rassoul al-Aazam. Il suffit de prendre des escaliers et une minuscule ruelle, située au bas de l'immeuble où ont logé les trois individus arrêtés, pour être au cœur de Bourj el-Brajneh. Hay el-Baalbakiyé est effectivement habité par des Libanais originaires de la Békaa, pour la plupart.
Trois garages où l'on trie et on revend le plastique et la ferraille se trouvent au bas de l'immeuble où les trois ressortissants syriens ont été arrêtés.
Les hommes, des Libanais, qui tiennent ces garages indiquent que les trois Syriens sont « des nouveaux venus dans le quartier ». « On ne les voyait pas. Ils ne se promenaient pas beaucoup dans le camp et préféraient prendre la petite ruelle au bas de l'immeuble pour se rendre dans la banlieue sud. Ils étaient jeunes, entre 20 et 25 ans. Ils ne portaient pas de barbe. Au contraire, ils étaient toujours rasés de près », indique un homme qui a requis l'anonymat.

 

(Pour mémoire : Bourj el-Brajneh : le jour d'après, en images)


Ali, originaire du Hermel et qui habite depuis 22 ans le quartier, raconte : « L'immeuble appartient à un Libanais. Il y a quelque temps, la famille de réfugiés syriens qui habitait l'appartement perquisitionné par la police a décidé de déménager du premier au deuxième étage. Un autre réfugié syrien qui connaissait cette famille s'est présenté au propriétaire de l'immeuble pour louer l'appartement, disant qu'il allait l'habiter avec son épouse. C'était probablement à la fin du mois d'octobre. L'épouse n'est jamais venue. Ce sont les trois individus arrêtés par la police qui se sont installés avec lui. Je pense que tous les Syriens qui habitent cet immeuble sont originaires de Raqqa. »
Un vieux réfrigérateur que les trois suspects devaient installer chez eux trône à l'entrée de l'immeuble. Au premier étage, la voisine de palier des trois hommes ne veut bien parler qu'à travers la porte. Se présentant comme une réfugiée syrienne de Raqqa, elle ajoute « qu'elle vit ici avec sa famille depuis de longs mois » et affirme n'avoir « jamais parlé » aux hommes qui ont été arrêtés et ne les avoir jamais vus. « Ils étaient des nouveaux venus dans le quartier », dit-elle encore.


Au deuxième étage, une jeune fille syrienne, celle qui habitait avec sa famille l'appartement des personnes arrêtées, n'est pas diserte. « Mes parents ne sont pas là. Je ne comprends rien à la politique », dit-elle.
Retour chez Mohammad, le hors-la-loi qui vend aux habitants de son camp des matériaux de construction : le sac de sable à 1 500 LL, le sac de cailloux à 1 500 et le sac de ciment à 12 000. Tout est régulièrement introduit frauduleusement dans le camp. Assis entre sa femme Sabrine, son fils Adam, âgé de quelques années, et son perroquet gris baptisé Coucou, il raconte sa vie, évoque ses amis, des jeunes hommes et des familles entières qui partent au quotidien vers l'Europe, suivant la route des réfugiés syriens. « Il faut 2 000 ou 3 000 dollars pour un Palestinien pour qu'il puisse partir. Aidés par les passeurs, ils prennent à partir de Beyrouth un vol pour la Turquie. Ils arrivent à Izmir ensuite, prennent le bateau pour la Grèce, traversent les Balkans à pied pour atteindre l'Allemagne ou la Suède », dit-il encore. Mais ceci est une autre histoire.

 

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