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Liban - Reportage

En état de choc, Bourj el-Brajneh tente de se relever

Malgré les quelques slogans scandés sous le coup de la colère devant les caméras de télévision et à l'irruption des responsables politiques venus inspecter les lieux, la banlieue sud de Beyrouth était plongée dans une profonde tristesse, hier, au lendemain du double attentat meurtrier.

Au quartier de Aïn el-Sekké, les façades des immeubles soufflés par l’explosion.

Il faudra du temps pour que les habitants du quartier de Aïn el-Sekké et de la rue de la Husseiniyé (nom donné à toute mosquée chiite) à Bourj el-Brajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, se relèvent du choc du double attentat-suicide qui a frappé le secteur jeudi à 18 heures, faisant 44 tués et 239 blessés.

Des façades d'immeubles partiellement soufflées, des vitrines de magasins endommagées, des bris de verre jonchant le sol, des voitures calcinées, des flaques de sang séché sur le trottoir, des drapeaux déchirés, quelques débris humains... Malgré les attentats dont elle avait été la cible en 2013 et 2014, la banlieue sud de Beyrouth n'a jamais été le théâtre, depuis le début de la guerre en Syrie, d'un tel carnage. Et dans la matinée d'hier, les habitants du quartier touché par le double attentat-suicide revendiqué par l'organisation État islamique, ainsi que les hommes du Hezbollah chargés de monter la garde, étaient encore sous le choc.
Il a fallu attendre la fin de la matinée d'hier pour voir les engins de déblayage arriver sur les lieux des explosions, jonchés de débris.
Aïn el-Sekké est l'un des quartiers les plus pauvres et les plus peuplés de Bourj el-Brajneh. Pour le constater, il suffit de lever les yeux vers le ciel, caché par une jungle de branchements illicites, ou ce qui reste des fonds de commerce étroits qui vendent toute sorte de marchandises.

 

(Témoignage  : « Juste au moment où elle commençait à croire que la chance souriait à sa famille, l'explosion a pulvérisé Leyla »)

 

« J'ai vu l'indicible »

Ici, les habitants témoins du double attentat préfèrent, probablement par décence, ne pas évoquer en détail ce qu'ils ont vu dans la rue quelques instants après l'explosion. « J'aurais préféré n'avoir rien vu », souffle Zeinab, la soixantaine, originaire de Kounine, au Liban-Sud. Son petit appartement, situé au 1er étage face à la boulangerie où le premier kamikaze s'est fait exploser à bord de sa motocyclette, a été gravement endommagé par la violence de l'explosion. « Je n'arrive pas encore à réaliser ce qui s'est passé. J'étais au salon au moment de la première déflagration... Je suis sortie au balcon. J'ai vu la rue... puis il y a eu le deuxième attentat », raconte-t-elle, les larmes aux yeux, assise au balcon. Elle montre l'immeuble en face, dont la façade a été soufflée. « Nos voisins sont syriens. Regardez, leur maison a été détruite aussi. Nous avons toujours vécu tous ensemble ici. Nous sommes de pauvres gens... » dit-elle.

Sa voisine du deuxième étage, Fatima, originaire de Markaba, au Liban-Sud, montre son pied légèrement blessé. « Nous sommes en tout sept de la même famille entre mon mari, mon fils, ma sœur et mes neveux à avoir été blessés... J'étais dans la cuisine au moment de l'explosion, le toit du grenier m'est tombé dessus. Je me suis dirigée vers le salon où mon fils, qui a été légèrement touché au dos, regardait la télé. Nous sommes sortis pour voir. Puis, la deuxième explosion... Je ne me souviens plus de rien... jusqu'à mon arrivée à l'hôpital. »

Dans la rue, un homme interrogé indique simplement, avant de poursuivre son chemin : « J'ai vu l'indicible. »
Un peu plus loin, dans cette ruelle noire de monde, deux hommes, Hassan et Abbas, originaires de Rihane au Liban-Sud, parlent de leurs camarades tués. Hassan et Abbas n'ont pas dormi de la nuit. Ils ont passé la soirée jusqu'à l'aube à faire le tour des familles de leurs camardes disparus.

(Voir aussi : Bourj el-Brajneh : le jour d'après, en images)

Le courage de Adel Termos

« J'ai perdu quatre amis ; Adel Termos, celui qui s'est jeté de tout son corps sur le deuxième kamikaze, sauvant tout le quartier, était parmi eux », s'écrie Hassan.
Comme les autres habitants du quartier, il parle fièrement de Adel Termos, âgé de 31 ans, originaire de Talloussa, dans le caza de Marjeyoun. Garagiste à Ouzaï, il était père d'un garçon et d'une fille, qu'il tenait dans ses bras hier peu avant la deuxième explosion.

Selon le témoignage des habitants du quartier, Adel était dans la rue, non loin de la husseiniyé, au moment de la première déflagration. Il portait sa fille âgée de cinq ans dans les bras. Dans la foule qui fuyait, il a remarqué un homme qui marchait en direction de la husseiniyé, il l'a entendu crier « Allah Akbar » (une invocation que les kamikazes clament comme une prière avant de se faire exploser). Il a confié sa fille à des connaissances qui étaient dans la rue, puis il a couru vers le kamikaze l'immobilisant à terre. Mais ce dernier a quand même actionné sa bombe...

Selon les habitants du quartier, le kamikaze voulait se faire exploser à l'intérieur de la husseiniyé où les hommes se rassemblent tous les jeudis pour une prière spécifique (Doua el-Koumeil).
Imane, originaire de Bayssariyé au Liban-Sud, s'exclame : « Adel est un héros. En empêchant le kamikaze d'entrer à la mosquée, il a sauvé la vie de plus de 200 personnes. » Les femmes présentes en veulent aux Syriens et aux Palestiniens. Elles affirment que tant que les entrées du camp de Bourj el-Brajneh ne sont pas contrôlées, elles ne se sentiront pas en sécurité. Et elles s'attendent, comme beaucoup d'autres habitants, à d'autres attentats.

Un peu plus loin, Ahmad, originaire de Merkai, au Liban-Sud, a le regard hagard. Il prend sa femme Israa, entre les bras, comme s'il voulait la protéger d'un danger imminent. Il a des taches de sang séché sur sa chemise. « J'étais dans un magasin en face du lieu de l'explosion. À la première détonation, j'ai regardé la boutique de mon oncle... il était par terre, ensanglanté. Les gens courraient, personne ne le voyait. Je l'ai porté et je l'ai amené à l'hôpital. Je suis ensuite revenu. J'ai su que Hassoun Chenaoui a été tué. Il avait l'habitude de sortir de la mosquée avant la fin de la prière, pour ramener du café à lui et à ses camarades. C'était mon meilleur ami... J'ai grandi avec lui, dans ce quartier. Nous étions ensemble à l'école et nous sommes restés inséparables. Il était palestinien mais sa maman était chiite. Il habitait le quartier depuis son enfance », dit-il.

(Lire aussi : Une barbarie voulue, planifiée et minutieusement exécutée, le décryptage de Scarlett Haddad)

Tous ont un proche touché

Dans la rue, chacun raconte l'histoire d'un voisin, d'un parent ou d'un ami touché par l'explosion. De nombreux habitants sont dans les hôpitaux au chevet de proches ou participent à des obsèques. Alors, on met en commun les informations : Leila est morte calcinée avec son mari à bord de leur voiture. Elle était venue rendre visite à sa mère. Son fils, âgé de trois ans, assis sur la banquette arrière s'en est sorti indemne. Bilal est rentré la semaine dernière de Norvège pour rendre visite à sa famille. Il était à bord d'une motocyclette avec son épouse au moment de l'explosion. Tous les deux ont péri. Ali, était fils unique, il venait d'obtenir un visa pour l'Allemagne où il devait se rendre pour travailler avec son frère.

Les noms et les histoires, profondément émouvantes, se confondent. La tristesse est de loin plus importante que la colère qu'on manifeste en scandant les slogans de la commémoration de Achoura.

Il est un peu moins de 14h. Il est temps d'enterrer les morts originaires de Bourj el-Brajneh au cimetière du quartier. Les dépouilles mortelles des autres victimes ont été transportées au Liban-Sud.
On entend les pleurs des femmes qui sortent de la maison de Hussein Hjeij, 22 ans, tué par la deuxième explosion. Son père remercie ceux qui sont venus présenter leurs condoléances en disant entre deux soupirs : « Que Dieu soit loué ». Les rafales de coups de feu tirés en l'air déchirent le ciel, incessantes. Sous le porche d'une maison, un petit garçon se bouche les oreilles et se colle à sa grand-mère.

Le corps du jeune homme est sorti de la demeure familiale. Des hommes le suivent. Un cortège de femmes sort aussi. Contrairement à la tradition musulmane qui veut que seuls les hommes se rendent au cimetière pour enterrer les défunts, les femmes chiites, hier, ont marché derrière leurs morts, jusqu'au bout.

 

Chawki Droubi et Khodr Alaëddine : deux employés de l'AUB victimes de l'attentat

 

Dans le tragique attentat qui a eu lieu jeudi en fin d'après-midi à Bourj el-Brajneh, des dizaines de civils ont rejoint la longue liste de victimes collatérales d'un conflit régional qui perdure et de la folie meurtrière du groupe État islamique. Parmi eux, deux hommes, Chawki Droubi et Khodr Alaëddine. L'un est coursier, l'autre infirmier.
« Serviable, il ne manquait jamais de remplir ses fonctions et au-delà. » L'administration de l'AUB a tenu à rendre hommage par ces mots à Chawki Droubi, coursier pour l'université depuis près de vingt ans. Mort à quarante et un ans, il laisse derrière lui deux enfants. Sur le site web de l'AUB, ses collègues ne tarissent pas d'éloges à son égard. « Un homme particulièrement souriant et chaleureux », commentent-ils.
Marié et père d'une petite fille de trois ans, Khodr Alaëddine était au centre médical de l'AUB en 2014. Il était apprécié pour « être toujours prêt à aider, à travailler des heures supplémentaires ou à donner un coup de main à un collègue dans le besoin ». Il avait juste vingt-neuf ans.
Très rapidement, l'université leur a rendu hommage dans différents messages postés sur les réseaux sociaux.


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Ils ont dit sur l'attentat de Bourj el-Brajneh

Il faudra du temps pour que les habitants du quartier de Aïn el-Sekké et de la rue de la Husseiniyé (nom donné à toute mosquée chiite) à Bourj el-Brajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, se relèvent du choc du double attentat-suicide qui a frappé le secteur jeudi à 18 heures, faisant 44 tués et 239 blessés.Des façades d'immeubles partiellement soufflées, des vitrines de magasins...

commentaires (3)

PAS DE CHOC.. POUR TOUS... CERTAINS SAVAIENT QUE LEURS ACTIONS HORS DES FRONTIÈRES ATTIRERAIENT DES RÉACTIONS CONTRE LES CIVILS... ET POURTANT ILS L'ONT RISQUÉ ET LE RISQUENT ENCORE...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 57, le 14 novembre 2015

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Commentaires (3)

  • PAS DE CHOC.. POUR TOUS... CERTAINS SAVAIENT QUE LEURS ACTIONS HORS DES FRONTIÈRES ATTIRERAIENT DES RÉACTIONS CONTRE LES CIVILS... ET POURTANT ILS L'ONT RISQUÉ ET LE RISQUENT ENCORE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 57, le 14 novembre 2015

  • Il ne manque plus que l'haSSine "télévisé" ! Quand va-t-il "réapparaitre" en tant que lot de consolation ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 29, le 14 novembre 2015

  • Tant qu'ils soutiendront l'aSSassin nouSSaïrî à Damas, ils subiront encore le même sort ! Voyez le sort de la France qui, soi-disant voulait bombarder l'aSSadique, se met tout de go à bombarder ; et sans sourciller ; ses ennemis de la Révolution !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 40, le 14 novembre 2015

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