Le 7 octobre, Nour al-Yaacoubi, traductrice et mère d'un bébé de six mois, a été arrachée à son sommeil par le bruit de fortes explosions. Allumant aussitôt la télé, elle a découvert que la guerre était arrivée à sa porte. Alors que les mois se sont éternisés, que son enfant a soufflé sa première bougie, la guerre s'est transformée en véritable bain de sang. Plus de 34 000 personnes ont été tuées par les frappes israéliennes, en majorité des femmes et des enfants.
« Au cours des derniers mois, j'ai vécu les pires jours de ma vie, loin de ma famille et de mon travail. J'ai été témoin de la terreur et de l'horreur. J'ai connu la famine », raconte Nour au téléphone depuis sa maison dans le nord de la bande de Gaza. Elle est restée dans cette partie de l'enclave palestinienne avec son mari et sa petite fille, tandis que sa famille a fui vers le sud pour échapper aux chars israéliens qui approchaient. Leur maison avait déjà été détruite par une frappe israélienne en mars. « Un bâtiment de quatre étages a été rasé avec tous les souvenirs, les photos et l'histoire de mes grands-parents », ajoute-t-elle. Une autre frappe israélienne a également anéanti l'entreprise textile de la famille.
Malgré tout cela, Nour al-Yaacoubi et d'autres observent de loin le vaste mouvement de protestation estudiantin en signe de solidarité avec les Palestiniens, qui prend de l'ampleur aux États-Unis et dans le monde entier. « Une lueur d'espoir », soupire la traductrice.
Des manifestations qui enflent
Les manifestations pro-palestiniennes sur les campus universitaires ont débuté aux États-Unis le 17 avril 2024, avant de s'étendre à d'autres pays. Tout a commencé après des arrestations massives à l'Université Columbia, où des étudiants ont exigé le « désinvestissement » d'Israël de l'établissement en raison de ce qu'ils qualifient de « génocide des Palestiniens ».
« Voir les étudiants manifester dans tous ces pays a remonté le moral des habitants de Gaza et leur a donné espoir... Celui de voir qu'il y a des gens qui savent ce qui nous arrive, nous suivent et se sentent concernés par notre cause », explique la journaliste Esraa al-Arir, qui réside - et tente de survivre - à Gaza avec ce qui reste de sa famille. Depuis le début de la guerre, elle a perdu son mari, journaliste aussi, ainsi qu'un frère, une tante et quatre de ses cousins.
Esraa al-Arir parle au Téléphone à L'Orient Today depuis l'hôpital Chouhada al-Aqsa de Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Sa fille y est soignée pour des spasmes musculaires provoqués par le stress mental et physique des frappes aériennes. Depuis le 7 octobre, elle a dû fuir à plusieurs reprises sa maison de Khan Younès, comme la majorité des habitants du quartier. Aujourd'hui, elle vit sous une tente dans un camp de déplacés entre Rafah, à l'extrême sud de l'enclave et Deir el-Balah. « Nos cœurs sont brisés, mais Dieu soit loué », affirme-t-elle.
Nivine el-Madhoun, une habitante du nord de la bande de Gaza, a également dû fuir vers Rafah, accompagnée de sa fille de sept ans. En chemin, elles ont toutes deux été blessées. Son frère, sa femme et leurs enfants ont tous été tués depuis le 7 octobre.
Nivine el-Madhoun est maintenant responsable d'une soupe populaire qui distribue de la nourriture aux déplacées, aux enfants et à ceux dans le besoin. Elle reçoit des dons des États-Unis et de plusieurs autres pays, et se dit reconnaissante que les gens se soucient encore d'elle et de Gaza. « Nous sommes fiers des étudiants américains et des autres ; nous sommes heureux de leurs prises de position et de savoir qu'ils ne nous ont pas oubliés et nous soutiennent », souligne-t-elle.
Réveil des consciences
Pour la journaliste Esraa al-Arir, le mouvement de protestation devrait servir de « réveil des consciences pour le peuple arabe, qui nous désespère face au génocide dont nous souffrons ». Bien que limitées dans leur ampleur, des manifestations pro-palestiniennes et anti-israéliennes ont vu le jour en Jordanie, en Égypte et au Maroc depuis le 7 octobre. En début de semaine, des étudiants libanais, notamment à l'Université libano-américaine (LAU) ainsi qu'à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), ont manifesté pour soutenir Gaza et en guise de solidarité avec le mouvement estudiantin dans le monde et aux États-Unis. Eux aussi ont demandé de couper tout lien de leurs établissements avec les entreprises traitant avec Israël.
Violente répression du mouvement aux USA
Plus de 1 500 personnes ont été arrêtées dans la répression policière des manifestations dans les universités américaines, dont 300 rien qu'à l'Université Columbia de New York, selon le Wall Street Journal. Des images vidéo datant de mardi dernier montrent des policiers en uniforme anti-émeute marchant sur le campus situé dans le Haut-Manhattan, point de convergence des manifestations étudiantes contre la guerre que mène Israël à Gaza. La police a utilisé un véhicule blindé équipé d'un mécanisme de pontage pour accéder au deuxième étage d'un bâtiment que les étudiants avaient investi.
Tout en reconnaissant que « les manifestants se battent pour une cause importante, notamment les droits des Palestiniens et la tragédie humanitaire à Gaza », la présidente de Columbia, Minouche Shafik, a fait appel à la police de New York pour disperser les manifestants. Elle a aussi affirmé que l'université ne se désengagerait pas d'Israël. La police anti-émeute de Los Angeles a pour sa part investi le campus de l'Université de Californie, Los Angeles (UCLA) avant l'aube jeudi, tirant des balles en caoutchouc et usant de canons sonores contre la foule d'étudiants qui avaient formé un camp de protestation sur le site.
Nour al-Yaacoubi, qui tient toujours bon dans la partie nord de Gaza, observe tout cela depuis son écran. « Les mouvements étudiants aux États-Unis me donnent de l'espoir », dit-elle. « Les États-Unis sont connus pour être un pays démocratique... Mais où est la démocratie aujourd'hui ? Je ne la vois pas. Ils ne semblent démocratiques que lorsque leurs citoyens font ce que veulent les autorités. Dès qu'ils s'y opposent, celles-ci sortent les armes ». Aussi, son espoir, dit-elle, repose plutôt sur les manifestants eux-mêmes. « Il y a des gens libres dans le monde entier et c'est le moment pour eux d'agir. Ils peuvent absolument changer les choses ».
Le plus étonnant reste le silence des arabes : très peu de manifs en Algérie par exemple, et quid de la solidarité musulmane ?
10 h 11, le 06 mai 2024