Nika Shakarami, devenue un emblème du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran, a disparu à Téhéran lors d'une manifestation contre le régime des mollahs en septembre 2022. Neuf jours plus tard, sa famille découvre son corps dans une morgue. À l'époque, les autorités iraniennes avaient attribué sa mort à un suicide. Selon un rapport d'enquête secret obtenu par la BBC mardi 30 avril, la jeune fille de 16 ans a, en réalité, été agressée sexuellement et tuée par trois membres des forces de sécurité iraniennes, qui sont liées au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), l'armée idéologique des autorités en place.
Alors que le régime était confronté à des manifestations populaires massives à la suite de la mort de Mahsa Amini après sa détention pour port « inapproprié » du voile obligatoire le 16 septembre 2022, la disparition et le décès de l'adolescente ont suscité une importante couverture médiatique. Pendant le mouvement de contestation, au moins 551 manifestants ont trouvé la mort sous le coup des forces de l'ordre, la plupart d’entre eux par balles, selon un rapport des Nations unies.
Document classifié
Les informations sur le dernier jour de Nika Shakarami proviennent d’un document classé « hautement confidentiel » qui aurait « fait l’objet d’une fuite et qui aurait été rédigé par ces forces (iraniennes) », d'après le média britannique qui a passé des mois à vérifier sa véracité. Le rapport met en lumière les événements qui se sont succédé ce jour-là, que la BBC a reconstitués, ainsi que l'identité des auteurs des crimes identifiés et des hauts gradés qui auraient tenté d'étouffer l'affaire.
L’adolescente avait été aperçue pour la dernière fois lors d’une manifestation anti-régime à Téhéran, quatre jours après la mort de Mahsa Amini. Au milieu des slogans, Nika Shakarami exprime sa colère, et met le feu à des hijabs. «Ce qu’elle ne pouvait pas savoir à l’époque, c’est qu’elle était surveillée, comme le montre clairement le rapport classifié», détaille la BBC. Des membres des forces de l'ordre « surveillaient la manifestation sous couverture » et soupçonnaient en effet la jeune femme de mener les foules. L’accusant d’être une « leader, en raison de son comportement non-conventionnel », « l'équipe 12 » décide de l’interpeller mais elle parvient à s’enfuir. Repérée une heure plus tard, elle est arrêtée et placée à l’arrière d’un fourgon banalisé en compagnie de trois hommes de cette même équipe : Arash Kalhor, Sadegh Monjazy et Behrooz Sadeghy.
Couvrir le crime
Les membres du groupe tentent alors de trouver un centre de détention pour y placer Nika Shakarami mais, après plusieurs refus, ils reçoivent l'ordre de se rendre à la tristement célèbre prison d'Evin. de l'époque du Chah. En chemin, le chef d’équipe, Morteza Jalil, qui se trouvait à l'avant avec le chauffeur, a commencé à entendre des bruits de choc provenant de l'arrière du véhicule. Le document secret revient ainsi sur les détails troublants qui se sont déroulés dans le véhicule juste avant. Selon le témoignage de Behrooz Sadeghy, son collègue Arash Kalhor lui a mis une chaussette dans la bouche pour l'empêcher de continuer à jurer et à chanter contre le régime, puis le troisième homme présent à l'arrière du van, Sadegh Monjazy, s'est assis sur elle, et l'aurait attouchée. Elle s’est alors débattue et a donné des coups de pied provoquant la colère des trois paramilitaires qui l’ont matraquée. « Elle m'a donné des coups de pied au visage, j'ai dû me défendre », affirme l’un d’entre eux. Lorsque le chef d'équipe arrête la voiture en raison des bruits entendus et ouvre la porte arrière du fourgon, la jeune femme était déjà morte, indique le rapport. Après un appel avec des responsables des Gardiens de la révolution, ordre est donné de simplement « la jeter dans la rue ». « L’équipe 12 » dépose ainsi le corps sans vie de Nika Shakarami dans une « rue tranquille » sous l’autoroute à Téhéran.
Sa mère, Nasrin Shakarami, a accès à sa dépouille dans une morgue neuf jours plus tard, le gouvernement lui assurant que sa fille s’est suicidée en sautant d’un immeuble. « Nous savons tous qu'ils mentent », a t-elle déclaré plus tard, dans un documentaire de la BBC. Le certificat de décès émis par la morgue et consulté par BBC Persian en octobre 2022 dévoilait déjà une version différente, affirmant que la mort était due à « de multiples blessures causées par des coups portés avec un objet dur ».
La BBC a fait part de ces allégations au CGRI et au gouvernement iranien, sans recevoir de réponse. Jeudi, la justice iranienne a rejeté les informations diffusées par la chaîne britannique. Alors que le rapport confidentiel mentionne qu'aucun suivi n'a été possible, la BBC soutient que les responsables de la mort de Nika Shakarami n’ont pas été punis.
La BBC, les broyeurs d'intellect, les conservateurs de l'ignorance, les masticateurs de pensée sur mesure, la fabrique à moutons, les pourvoyeurs de fausses nouvelles
19 h 47, le 03 mai 2024