Au-delà de l'ignominie, la barbarie la plus totale. Mais une barbarie voulue, programmée et planifiée. En dépit des arrestations régulières de terroristes et du démantèlement il y a quelques jours de deux réseaux, l'un islamiste et l'autre pro-israélien, les criminels ont une nouvelle fois frappé, dans un double attentat, à quelques minutes d'intervalle, dans une ruelle commerçante bondée et tout près d'un lieu de prière à une heure de pointe et d'affluence. Le secteur est particulièrement crucial car il constitue en quelque sorte la jonction entre le camp palestinien de Bourj el-Brajneh et le cœur de la banlieue sud. Ce camp palestinien a toujours été d'ailleurs le flanc faible de la banlieue sud, particulièrement bien encadrée sur le plan sécuritaire depuis la série d'attentats il y a plus d'un an. De tous les côtés, sauf celui-là, car il est délicat, voire difficile, pour le Hezbollah de contrôler la sécurité d'un camp palestinien, fût-il tout proche de son fief. Depuis quelque temps d'ailleurs, les yeux sécuritaires étaient fixés sur les camps palestiniens, notamment celui de Aïn el-Héloué, qualifié de « bombe à retardement ».
Finalement, le coup est venu de Bourj Brajneh, dans un triple objectif : menacer le Hezbollah dans son propre fief, susciter une discorde confessionnelle entre les sunnites (palestiniens) et les chiites (Hezbollah), et enfin provoquer une volonté de vengeance chez les sympathisants du Hezbollah à l'égard des Palestiniens, les détournant ainsi de ce que le secrétaire général de ce parti, Hassan Nasrallah, appelle « la cause principale », celle de la Palestine.
Ainsi, pour la première fois depuis qu'il revendique des attentats ou d'autres actions plus odieuses les unes que les autres, Daech a expressément évoqué l'identité palestinienne des deux kamikazes. C'est une première dans le sens où le groupe État islamique ne cite pas les nationalités de ses membres puisqu'il ne reconnaît pas les entités existantes.
Que Daech soit ou non derrière cet attentat et que la revendication soit authentique ou non, la volonté de créer une discorde confessionnelle entre le fief du Hezbollah et son voisin le plus proche, le camp de Bourj el-Brajneh, est donc claire. C'est d'ailleurs pour cette raison que le conseiller politique de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil, s'est immédiatement rendu sur les lieux des attentats pour, d'une part, exprimer la solidarité du Hezbollah avec les habitants et les personnes présentes dans ce quartier éprouvé, et, d'autre part, recadrer la colère de la population. De leur côté, les différents leaders palestiniens ainsi que les porte-parole de toutes les organisations palestiniennes (y compris le secrétaire général du Hamas, Khaled Mechaal, pourtant en conflit avec le Hezbollah depuis qu'il s'est installé au Qatar) se sont empressés de condamner avec violence le double attentat et d'exprimer leur solidarité avec les habitants éprouvés et avec le Hezbollah et sa résistance.
Dans une volonté claire d'éviter d'éventuels débordements de colère, le Hezbollah a d'ailleurs très vite donné un mot d'ordre de nettoyage de la rue et de lancement des travaux de reconstruction le plus tôt possible. Les municipalités de la région ont été mises à contribution, et, de fait, dans l'après-midi d'hier, la rue avait pratiquement repris un aspect acceptable, les débris ayant été nettoyés. La reconstruction des immeubles et des magasins détruits ou calcinés prendra un peu de temps, mais déjà les lieux n'ont plus l'allure de désolation qu'ils avaient juste après le double attentat.
Dans les milieux proches du Hezbollah, on précise que la réaction doit être à la mesure de la gravité du coup reçu. La priorité est de resserrer les rangs internes, et les déclarations des différentes parties politiques et des responsables ont été à la hauteur du moment. Mais il faut aussi redoubler de vigilance et de détermination dans la guerre contre Daech et ses alliés. Selon certaines informations, le fait que Daech ait désormais recours à des kamikazes palestiniens vient confirmer le fait que cette organisation ne fait plus trop confiance à ses membres syriens, qui depuis l'intervention militaire russe en Syrie et le début de retournement de la situation sur le terrain en faveur de l'armée syrienne et de ses alliés sont devenus moins déterminés, et donc moins fiables. Selon ces mêmes informations, Daech serait ainsi en train de remplacer ses cadres syriens par d'autres de nationalités différentes. Mais cela n'enlève rien à ses moyens et ses capacités. Le double attentat de Bourj el-Brajneh le prouve puisqu'il a été minutieusement préparé. Les kamikazes connaissaient bien les lieux et avaient bien étudié leur coup pour faire le plus grand nombre possible de victimes. Sans le courage d'un jeune père, Adel Termos (30 ans), qui a remarqué le second kamikaze et lui a sauté dessus pour qu'il ne se fasse pas exploser à l'intérieur de la husseiniyé, il y aurait eu beaucoup plus de martyrs...
En même temps, les kamikazes ont fait preuve d'une grande synchronisation, réussissant à programmer leurs attentats à quelques minutes d'intervalles. En conclusion, il ne s'agit pas seulement d'un acte barbare, mais aussi d'un attentat exécuté avec beaucoup de professionnalisme. Ce qui ouvre la voie à beaucoup d'hypothèses...
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CONCLUSION : RÉACTIONS D'AILLEURS CHEZ NOUS AUX ACTIONS LÀ Où çA NE NOUS REGARDE PAS...
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 01, le 14 novembre 2015