Alain Aoun, député CPL de Baabda et membre du bloc du Changement et de la Réforme, a parfaitement résumé l'état d'esprit de son camp mercredi 7 mai, place de l'Étoile : pourquoi entrer dans l'hémicycle et assurer le quorum de la séance électorale tant qu'il n'y a rien de nouveau et qu'aucun accord n'a été trouvé jusque-là sur un candidat d'entente, sachant que l'identité de ce dernier, dans l'idée du député, ne devrait pas faire l'ombre d'un doute.
Cette interrogation en appelle une autre : s'il faut que l'échéance présidentielle soit réglée par un accord à conclure au seuil du Parlement, alors à quoi sert exactement le Parlement ? À n'être que la chambre d'enregistrement des marchés que concoctent entre eux, hors des institutions, deux ou trois chefs de file ? Que faire alors de la démocratie, de la Constitution, du jeu institutionnel ?
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On connaît la sempiternelle réplique à cette argumentation : le Liban est, nous dit-on, terre de consensus, un pays où les équilibres doivent constamment être préservés, sous-entendu aux dépens du fonctionnement normal de la démocratie.
Soit ! Mais alors admettons dans ce cas, pour éviter de verser dans l'incohérence, que la Constitution et les lois libanaises sont un décor quasiment inutile, que la prise en compte des rapports de force sont l'unique critère déterminant dans la vie publique, que l'étranger doit nécessairement arbitrer les inévitables désaccords et que c'est donc mentir à soi-même et aux autres que de prétendre vouloir changer et réformer quoi que ce soit dans ce pays.
Mais l'incohérence n'est certes pas l'apanage du bloc du Changement et de la Réforme. Tout le monde ou presque s'y est mis – cette (non-)élection présidentielle le prouve – même si c'est à des degrés différents.
On est encore loin de l'heure des bilans en la matière, mais il est d'ores et déjà possible d'esquisser quelques traits du processus en cours :
- D'abord sur le plan institutionnel, c'est peu dire que la classe politique dans son ensemble, à commencer par le président de la Chambre, prend ses libertés avec la Constitution.
Nous savons ainsi que les dispositions relatives à l'élection présidentielle ne parlent pas expressément de quorum. Dans la forme, il est un principe élémentaire en vertu duquel la règle ordinaire doit toujours s'appliquer lorsque des dispositions exceptionnelles ne sont pas clairement énoncées. Or, en matière de quorum pour les réunions de la Chambre, la règle ordinaire est la majorité absolue (65) et non les deux tiers (86).
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Sur le fond, on ne voit pas pourquoi le constitutionnaliste aurait décidé de lui-même de neutraliser, en adoptant une politique aussi restrictive sur le quorum, sa propre disposition en vertu de laquelle l'élection présidentielle se joue à la majorité absolue, et non plus aux deux tiers, à partir du second tour.
En l'occurrence, le quorum des deux tiers requis pour toutes les séances électorales est clairement une anticipation, un avant-goût de la théorie des trois tiers (tiers chrétien, tiers sunnite, tiers chiite) souhaitée par le 8 Mars aux dépens de la parité islamo-chrétienne inscrite actuellement dans le système politique libanais.
Pourtant, lorsqu'il a été décidé de donner cette interprétation abusive du point concernant le quorum, les membres du bureau de la Chambre issus du 14 Mars, y compris des Forces libanaises, n'ont pas cru bon de s'y opposer. C'est qu'en réalité, la règle des deux tiers rassure toutes les parties en rendant impossible l'élection par la voie démocratique d'un président issu d'un camp ou de l'autre s'il n'est pas agréé par tout le monde.
- Sur le plan politique, le résultat de tout ceci est bien entendu d'ajourner le clash, mais, du même coup, de rappeler l'étranger à son quasi-devoir d'intervenir dans les affaires libanaises pour mettre tout le monde d'accord. Les apôtres de la « libanisation » des échéances institutionnelles libanaises n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes si leur rêve s'effondre : il ne fallait pas exiger en même temps le consensus.
Le problème, c'est que pour être en mesure de l'imposer, ce consensus, il faudrait d'abord que les acteurs étrangers soient plus ou moins d'accord entre eux et que la question libanaise soit considérée comme une priorité, ce qui ne paraît pas être le cas aujourd'hui. D'où le risque de vacance après le 25 mai.
(Repère :Qui, quand, comment... Le manuel de l'élection présidentielle libanaise)
- Au sujet des candidatures et des non-candidatures, on peut noter ce qui suit : le chef des FL, Samir Geagea, a certes réussi, dans les limites qu'autorise la question du quorum, à donner le sentiment que son camp souhaite jouer le jeu de la démocratie. Mais cette réussite ne tient pas au fait que le 14 Mars entend aller jusqu'au bout de cette logique : il n'en a pas les moyens. Elle tient simplement à l'incapacité du camp adverse d'entretenir jusqu'à l'illusion du jeu démocratique.
À cet égard, la posture du général Michel Aoun est franchement intenable... Sauf pour les siens, bien évidemment, qui répètent à longueur de journée qu'il est l'unique candidat « sérieux », qu'il n'a nul besoin de présenter un programme, qu'il veut être un président agréé par tous ou rien, considérations qui, dans toute démocratie digne de ce nom, vaudrait à l'intéressé de chuter considérablement dans les pronostics. Il suffit de songer, en effet, que la politique que suivra le général au cours des six prochaines années peut balloter de tribord toute à bâbord toute, en fonction d'un « oui » ou d'un « non » de Saad Hariri...
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président? Les Libanais répondent)
- Il reste enfin, en attendant d'autres leçons à tirer de la suite de ce processus, à établir un constat qui peut surprendre, mais qui n'en demeure pas moins très pertinent : depuis Taëf, on a tout dit sur la diminution des prérogatives et du prestige de la présidence libanaise. La férocité de la bataille en cours, les moyens que déploient les parties pour empêcher tel ou tel candidat d'être élu, les blocages systématiques, l'exigence de consensus, tout cela prouve que la vie politique libanaise reste en grande partie rythmée et encadrée par les mandats présidentiels et que le chef de l'État peut toujours avoir un impact considérable sur le cours des événements.
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Encore une fois dans notre parlement tribal inutile de parler de démocratie qui ne pourra jamais voir le jour avec dix neuf confessions et ou tout s'arrange en catimini et la preuve on n 'aura pas un président avant juillet .
15 h 37, le 09 mai 2014