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Parler - Lorient-Le Siecle

« Al-Jarida » : quand « L’Orient » parlait arabe...

1953. Georges Naccache fonde un nouveau quotidien en langue arabe. Retour sur un mauvais calcul.

« Al-Jarida » : quand « L’Orient » parlait arabe...

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Peu d’éléments nous sont parvenus quant au contexte de sa naissance. Encore moins quant aux conditions de sa disparition. La quasi-totalité des Libanais ont oublié jusqu’à son existence. Dans le récit du siècle, comme dans celui de la presse écrite, il est un détail sans importance.

Al-Jarida, éphémère expérience arabophone lancée en 1953 par le co-fondateur de L’Orient, fait pourtant partie de l’histoire. Il raconte un peuple qui se balance entre les langues, souvent avec talent, parfois avec tourment.

Dix ans après l’indépendance, la presse libanaise dispose d’institutions arabophones déjà anciennes, telles que al-Hayat, an-Nahar ou al-Anouar. Pourtant le diagnostic des futurs dirigeants d’ al-Jarida est sans appel. « Il n’y a pas de raison que les Libanais, qui ont créé les plus grands journaux et périodiques d’Égypte et du monde arabe, ne réussissent pas à fonder un grand journal… dans leur propre pays ! » s’exclament Nasri et Ruchdi Maalouf, en charge du nouveau projet, dans un article de L’Orient daté du 6 décembre 1952. Dès le départ, l’ambition est donc de créer un journal à grand tirage, non pas limité aux « 4 à 5000 » exemplaires des habituels quotidiens politiques, mais en visant la masse des « 25 000 à 35 000 » lecteurs potentiels auxquels pourrait prétendre un journal national en arabe, d’après les estimations des instituts de sondage.

Au tournant des années 1950, la situation financière deL’Orient est florissante. La gestation du projet, la mise en place des équipes prennent plusieurs mois. Au terme de l’année 1952, un arrêté ministériel donne le top départ en autorisant officiellement la publication. Le premier numéro d’al-Jaridasort un matin de janvier 1953. Si Georges Naccache est à l’origine de la conception, la gestion quotidienne des 8 pages sera confiée à Nasri Maalouf, cofondateur et éditorialiste politique, « célèbre publiciste et écrivain », précise L’Orient, et Ruchdi Maalouf, directeur, « professeur au Beirut College, critique d’art et journaliste ».

La marque se veut jeune, iconoclaste et décomplexée. « Tout notre programme est dans notre nom ! s’exclament Nasri et Ruchdi Maalouf. Si nous avons appelé notre publication al-Jarida,c’est que notre ambition est de faire de ce journal un journal qui soit simplement… un journal. »

Il y sera question de politique, mais aussi de culture et de société. Un supplément littéraire voit même le jour. L’objectif est de moderniser l’approche journalistique en développant de nouveaux formats, comme le reportage, ainsi que des rubriques spécialisées autour de la vie quotidienne. « Au service de tous et de personne » : avec ce slogan, al-Jaridapart à la conquête de « toutes les catégories de lecteurs que la politique intérieure n’intéresse pas assez ».

Boulet financier

Mais « que l’on ne se méprenne pas cependant sur notre pensée », précisent Nasri et Ruchdi Maalouf. « Nous n’allons pas faire un journal « apolitique ». Ce serait assez mal nous connaître, aussi bien Georges Naccache que nous-mêmes, que d’imaginer que nous allions nous tenir à distance de la mêlée et rédiger des feuilletons illustrés pour faire rêver les petites jeunes filles. »

L’expérience, on le sait, sera un désastre. Après un « succès retentissant à ses débuts » (« L’Orient-Le Jour, 100 ans ou presque », Michel Touma, 2014), al-Jarida se « transforme rapidement en un véritable boulet financier et professionnel ». Georges Naccache était connu pour sa gestion discutable des finances. Cela a-t-il joué un rôle ? Ou bien les calculs étaient-ils mauvais dès le départ ? Impossible de répondre avec certitude.

Nous savons en revanche que le projet a été pensé dès le départ sur un mode économe, malgré le faste de l’époque. La jeune rédaction est composée de 25 « secrétaires, correspondants et journalistes ». Pour le reste, elle partage toutes ses ressources avec la maison mère francophone : les moyens d’impression, l’intertype et la presse, ainsi que les services d’appoint, télégraphiques, photoreportages, et bureaux administratifs de vente et de publicité, sont mis en commun.

Au-delà de la dimension commerciale et financière, l’aventure est un pari personnel pour Georges Naccache : l’homme aux lunettes noires et à la plume légendaire n’en est pas à son premier essai. En 1939, à trente-cinq ans, il avait déjà fondé un magazine illustré en arabe, al-Marahel,qui sera « stoppé par la guerre » la même année, écrit Raymond Sayegh (« Le comportement politique du journal libanais d’expression française L’Orient », 1969).

Quinze ans après ce premier échec, près de trente ans après la première publication deL’Orient , Georges Naccache était-il en manque d’adrénaline ? Espérait-il réparer son lien complexe à la langue arabe qu’il maîtrisait mal ? S’il cherchait plutôt à étendre son influence au sein des milieux politiques, pourquoi penser un quotidien de masse qui ne soit pas « trop exclusivement politique » ? Des questions en suspens.


Peu d’éléments nous sont parvenus quant au contexte de sa naissance. Encore moins quant aux conditions de sa disparition. La quasi-totalité des Libanais ont oublié jusqu’à son existence. Dans le récit du siècle, comme dans celui de la presse écrite, il est un détail sans importance.Al-Jarida, éphémère expérience arabophone lancée en 1953 par le co-fondateur de L’Orient, fait...
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