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Société - Éboulement

Les pouvoirs publics libanais font-ils tout pour sauver la route de Dahr el-Baïdar ?

Alors que les pluies reprennent, le passage sur cette voie est un pari risqué, mais une ébauche de solution serait en cours.

Les pouvoirs publics libanais font-ils tout pour sauver la route de Dahr el-Baïdar ?

L’éboulement majeur sur la route de Dahr el-Baïdar depuis la fin de la semaine dernière. Capture d’écran d'une vidéo sur le compte X de la YASA

C’est comme si l’image de l’effrayant glissement de terrain sur la route de Dahr el-Baïdar, survenu en fin de semaine dernière sur l’axe majeur qui relie le Mont-Liban à la Békaa à près de 1 500 m d’altitude, représentait à elle seule tout l’effondrement du pays. Des années sans entretien, à l’instar de tout le réseau routier libanais, et une pluviométrie capricieuse avec des averses très intenses font actuellement de cette route principale un passage à hauts risques pour les automobilistes. Une vidéo montrant un glissement de terrain bien perceptible a ainsi fait le tour des réseaux sociaux, provoquant la terreur d’un éboulement majeur à venir.

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En attendant une solution rapide pour réhabiliter la route, des directives ont été prises pour gérer l’urgence à la demande du ministère des Travaux publics et des Transports. Le mohafez de la Békaa, Kamal Aboujaoudé, précise à L’Orient-Le Jour que les poids lourds sont interdits sur cette route depuis plusieurs jours et que le passage des voitures est limité à quelques mètres, avec un détour par la montagne à l’endroit même du glissement, afin d’éloigner les automobilistes du ravin, en prévision d’un possible éboulement plus important. Selon M. Aboujaoudé, le ministre des Travaux publics, Ali Hamiyé, a demandé à un bureau de consultants – dont le mohafez ne connaît pas l’identité – de préparer une étude en un temps record pour proposer des solutions permettant une réparation rapide des tronçons endommagés. Elle n’était toujours pas terminée mardi en matinée.

M. Hamiyé, qui n’a pas répondu à nos appels, avait plaidé sur son compte X pour que la priorité soit donnée à la maintenance des routes, reconnaissant qu’elle est « inexistante depuis 2019 pour des raisons financières bien connues », faisant référence à la grave crise économique et financière qui secoue le pays depuis cette année-là. Ayant effectué le déplacement à Dahr el-Baïdar, il s’est aussi plaint du budget restreint que lui alloue le gouvernement pour les travaux d’infrastructure routière : « Nous avons besoin de 350 millions de dollars au bas mot pour assurer l’entretien des routes au Liban, nous n’en avons obtenu que 60 dans le budget 2024. » Pour le cas de Dahr el-Baïdar, le ministre a souligné que le gouvernement avait confié à son administration la tâche d’effectuer une étude en 2019, menée par un consultant. Celui-ci avait alors estimé le coût de réhabilitation de cet axe à 20 millions de dollars. « Le déficit de l’État a empêché, et empêche toujours, la réalisation de ce projet », a déploré M. Hamiyé.

Mais cet argument est balayé par Ziad Akl, président de l’association YASA, spécialisée dans la sécurité routière : « Le Liban a obtenu en 2018 (avant la crise, NDLR) de la Banque mondiale un prêt de 200 millions de dollars consacré à la réhabilitation des routes, or aucun projet n’a été mené sur des routes aussi essentielles que celle qui relie Beyrouth à Masnaa (frontière syrienne, NDLR), ou encore les autoroutes du Nord ou du Sud », affirme-t-il à L’OLJ.

Pour le militant, « la seule solution pour éviter une catastrophe à Dahr el-Baïdar est de réparer la route rapidement », même si l’interdiction temporaire des camions s’impose, selon lui.

De la marne entre deux calcaires

Les raisons de cet état de délabrement, potentiellement catastrophique, du tronçon ne sont pas simplement financières, mais aussi d’ordre géologique. Samir Zaatiti, professeur de géologie à l’Université libanaise, pointe du doigt la nature du sol dans la région, un facteur rarement pris en compte dans le tracé des routes au Liban. Selon lui, le sol dans cette région est formé d’un alliage entre des rochers calcaires très solides et des rochers argileux beaucoup plus fragiles, ce qu’on appelle de la marne. Et cette dernière se retrouve prise en sandwich entre deux couches de calcaire.

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« Ces rochers argileux, suivant leur nature, gonflent jusqu’à atteindre plusieurs fois leur volume initial quand ils sont en contact avec l’eau, d’où le fait que le sol change de volume durant la saison des pluies », poursuit Samir Zaatiti. Et avec le temps, la marne (roche d’argile calcarifère, NDLR), plus fragile, se dégrade. « C’est ce qui crée un vide entre les couches de sol calcaire et provoque un affaissement de la route par endroits », dit-il. Le phénomène a été accéléré cette année par l’intensité des précipitations, d’où ces images montrant le glissement du sol à l’œil nu, ayant fait le tour des réseaux sociaux. Pour lui, les risques d’effondrement par endroits sont bien réels, ce qui rend la route dangereuse en plusieurs points.

Rached Sarkis, ingénieur civil et consultant, pense lui que la source du problème est dans la construction même des routes. « Ce qui prévaut, ce sont les contrats juteux, souvent attribués sur fond de clientélisme, il s’agit d’un business plutôt que d’ingénierie », dénonce-t-il. Selon lui, le tracé des routes doit prendre en compte les facteurs naturels, comme l’altitude par exemple, pour éviter la dégradation rapide des axes. « Et dans le cas de la route de la Békaa, nous avions un excellent exemple qu’il nous suffisait de suivre pour tracer une route plus durable : le chemin de fer construit par les Français il y a plus de cent ans, et qui reste impeccable à ce jour ! »  

C’est comme si l’image de l’effrayant glissement de terrain sur la route de Dahr el-Baïdar, survenu en fin de semaine dernière sur l’axe majeur qui relie le Mont-Liban à la Békaa à près de 1 500 m d’altitude, représentait à elle seule tout l’effondrement du pays. Des années sans entretien, à l’instar de tout le réseau routier libanais, et une pluviométrie capricieuse...

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