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Société - Routes

L’impact de la crise libanaise sur les accidents routiers en chiffres

Depuis la crise et le Covid-19, les accidents sont moins nombreux mais plus meurtriers, d’autant plus que les routes sont moins éclairées et plus dangereuses.


L’impact de la crise libanaise sur les accidents routiers en chiffres

Les feux de voitures circulant à Aïn el-Mraïssé, à Beyrouth, le 21 mars 2022. Photo d'illustration Matthieu Karam

Plus de 1 350 personnes ont été tuées dans des accidents de la route depuis avril 2019, et 13 800 personnes ont été blessées au cours de la même période dans plus de 10 000 accidents, suivant des chiffres obtenus par L’Orient Today.

Les données suggèrent une tendance à la baisse du nombre d’accidents et de décès au cours des cinq dernières années, particulièrement depuis le début de la crise économique et sociale dans le pays en octobre 2019. Au cours des 32 mois allant d’octobre 2019 à mai 2022, le Liban a connu une moyenne de 237 accidents par mois, contre 373 accidents par mois au cours des 32 mois précédant octobre 2019. En moyenne 32 personnes ont perdu la vie chaque mois pendant la période de crise, contre 43 tués par mois avant la crise.

Ces données, provenant de la salle d’opérations conjointes de l’Autorité de gestion du trafic, restent « approximatives et non définitives », selon un des responsables de cette structure, mais il s’agit des informations les plus complètes dont on dispose jusqu’à présent. Il semble que le nombre d’accidents ait baissé malgré une diminution marquée de l’éclairage des rues et des feux de signalisation, ainsi qu’un recul des travaux d’entretien des infrastructures routières et de l’entretien des voitures par manque de moyens. Par ailleurs, la crise du carburant et la hausse du prix de l’essence et du diesel auraient entraîné une diminution du nombre de voitures en circulation, ce qui pourrait également expliquer la baisse du nombre d’accidents.

Un graphe détaillant le nombre d'accidents, de blessures et de décès depuis mai 2017. Crédit : Richard Salamé/L'Orient Today

Toutefois, les accidents de la route sont devenus plus meurtriers. Le rapport mensuel moyen entre le nombre de décès et le nombre d’accidents est passé de 0,12 à 0,14, ce qui représente environ 120 décès supplémentaires par rapport à une situation où la gravité des accidents n’aurait pas varié.

L’expert en transports Tammam Naccache relève qu’à l’échelle mondiale, pendant la pandémie de Covid-19, la baisse du volume de trafic s’est traduite par une augmentation du nombre de décès dans plusieurs pays, du fait que les conducteurs avaient l’occasion de rouler plus vite qu’auparavant. Dans un Liban en crise, où le prix de l’essence a poussé de nombreuses personnes à abandonner leur voiture, un phénomène similaire pourrait se produire.

« Si vous vous promenez à Beyrouth, vous vous rendez compte qu’il est beaucoup plus difficile de marcher en ville, poursuit l’expert. Tout d’abord parce que les feux de signalisation ne fonctionnent pas. Et puis les gens roulent plus vite, l’état des trottoirs est désastreux, ce qui met les piétons en danger. » « Tout ce qui relève des droits des piétons n’est pas respecté », déplore Ziad Akl, fondateur de l’organisation de sécurité routière YASA.

Des blessures et décès évitables

Les choix en matière de conception des véhicules, d’ingénierie du trafic et d’urbanisme conduisent à des taux de décès et de blessures prévisibles, qui frappent de manière disproportionnée les cyclistes et les piétons. Contrairement à de nombreuses autres causes de décès évitables, les victimes d’accidents de la route sont en grande majorité en bonne santé jusqu’au moment de l’incident.

Cette tragédie est particulièrement flagrante au Liban, dont le bilan en matière de sécurité est « parmi les plus mauvais au monde », selon la Banque mondiale. Les incidents de la circulation sont la première cause de blessures et de décès non intentionnels dans le pays. « Honnêtement, l’état des routes au Liban est très dangereux, surtout avec l’augmentation du nombre de trous et de nids-de-poule », précise Ziad Akl.

Un graphe détaillant le nombre de décès par accident depuis mai 2017. Richard Salamé/L’Orient Today

Le fondateur de la YASA estime qu’en raison de la crise économique, les routes libanaises sont devenues beaucoup plus dangereuses, bien que le nombre total d’accidents ait tendance à diminuer. Si la hausse vertigineuse du prix de l’essence a entraîné une réduction du nombre de véhicules en circulation, Ziad Akl pointe du doigt la disparition des réverbères, l’augmentation des nids-de-poule et l’incapacité du gouvernement à assurer l’entretien des axes routiers. Tentant de combler les lacunes de l’État au sens propre comme figuré, la YASA a par exemple remplacé des plaques d’égout sur les autoroutes.Entre 2007 et le début de l’année 2022, une moyenne de 4 259 accidents ont été recensés chaque année au Liban, avec en moyenne 519 tués et 5 760 blessés par an. Des chiffres sans doute sous-évalués selon l’OMS qui constate que les données relatives à l’enregistrement des décès au Liban ne sont pas « complètes à 80 % au moins » et qu’elle a, dans un passé récent, estimé un taux de décès dus à la circulation près de deux fois supérieur au taux déclaré par l’État. La Banque mondiale a également jugé que ces chiffres étaient « sous-estimés ».

Selon une étude réalisée en 2021 par des chercheurs de l’Université américaine de Beyrouth, de l’Université libanaise et de deux universités américaines, la plupart des victimes d’accidents de la route au Liban sont des hommes, et le plus grand nombre de blessés se trouve parmi les personnes âgées de 15 à 29 ans. Près de 40 % des personnes blessées sur les routes libanaises sont des motocyclistes. Toujours selon cette étude, un quart des personnes blessées dans les accidents de circulation sont des piétons. L’OMS a estimé que ceux-ci représentent près de 40 % des décès dus aux accidents de la route au Liban. Selon la Banque mondiale, les personnes pauvres et à faible revenu sont touchées de manière disproportionnée.

Quelles sont les mesures prises ?

Au Liban, où un code de la route est en vigueur, il est illégal d’utiliser un téléphone portable en conduisant, la conduite en état d’ivresse est pénalisée, la limite de vitesse par défaut en ville est de 50 km/h, le port de la ceinture de sécurité est obligatoire, les motocyclistes doivent porter un casque et les enfants en bas âge doivent être installés dans des sièges auto spécifiques.

Des règles souvent bafouées. Le stationnement illégal des voitures et des motos sur le trottoir, par exemple, oblige les piétons à marcher sur la chaussée où ils risquent à tout moment d’être heurtés par les voitures.

Il existe des lois qui protègent les cyclistes comme les piétons, remarque Elena Haddad, de l’organisation Chain Effect pour la justice en matière de mobilité, mais « en l’absence de sensibilisation, elles ne sont ni appliquées ni respectées ».

Les Forces de sécurité intérieure (FSI) ne disposent pas d’un département dédié à l’application de la loi sur la circulation, contrairement à ce qui est pratiqué chez leurs homologues à l’étranger. Selon Tammam Naccache, cela s’explique par le fait que les parties prenantes ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur la communauté (confessionnelle) qui se verrait confier la direction du nouveau département. Aucun porte-parole des FSI n’a pu être joint pour un commentaire.

Hormis l’application de la loi, une autre façon d’assurer la sécurité routière, notamment aux usagers les plus vulnérables, consiste à élaborer des infrastructures leur accordant la priorité. Par exemple, en séparant les voies dédiées aux voitures de celles réservées aux cyclistes et des piétons, on les protège des collisions. Ou encore en remplaçant les carrefours par des ronds-points, en réduisant la largeur des routes, en installant des ralentisseurs et des îlots médians ou en prolongeant des bordures de trottoir de façon à réduire la vitesse des véhicules. Autant de solutions qui protégeraient les piétons comme les conducteurs de deux-roues. Ces mesures peuvent également contribuer à modifier la perception qu’ont les gens de l’espace et à encourager des formes alternatives de mobilité, souligne Elena Haddad. Chain Effect a organisé des événements « bike to work » au cours desquels des pistes cyclables temporaires ont été délimitées avec des cônes, ce qui a permis aux participants de se sentir plus en sécurité et, par conséquent, d’être plus enclins à y participer. L’infrastructure peut induire « un changement radical », assure-t-elle. Elle peut faire en sorte que les gens « se sentent plus confiants et plus sûrs dans leurs déplacements ». Mais, prévient-elle, « l’infrastructure ne sert à rien sans une gouvernance et un entretien adéquats.

Pas une priorité

Ancien membre du Comité de sécurité routière présidé par le ministre de l’Intérieur, Tammam Naccache affirme que la sécurité routière n’est pas une priorité pour le gouvernement. En vertu du nouveau code de la route adopté en 2012, le Liban dispose d’un Conseil national de la sécurité routière, dirigé par le Premier ministre, qui est censé se réunir tous les trois mois et communiquer un rapport annuel aux médias sur ses activités. Le compte Twitter du conseil n’a publié que deux messages depuis février 2020, tandis que son compte Facebook n’a rien publié du tout depuis mars 2020. Un porte-parole du cabinet du Premier ministre n’a pas répondu à une demande de consultation du dernier rapport annuel du conseil.

En revanche, le Comité de sécurité routière est, selon Tammam Naccache, plus actif, même s’il ne fonctionne pas à plein régime. « Nous avons rarement rencontré un ministre de l’Intérieur plus de trois fois, indique-t-il. Le secrétaire général du comité demande régulièrement au ministre de l’Intérieur de convoquer des réunions du comité, ce qu’il ne fait pas, et le secrétariat ne dispose pas du budget, du personnel ou du soutien ministériel nécessaires pour faire un travail efficace. » Un porte-parole du ministère de l’Intérieur n’a pas pu faire de commentaire immédiat sur cette affaire.

« La sécurité routière n’est pas prise au sérieux au Liban, rebondit Ziad Akl. Dans le passé, les efforts étaient plus sérieux, mais aujourd’hui, nous sommes confrontés à une paralysie presque totale. » Le fondateur de la YASA pointe du doigt la suspension « injustifiée » des inspections mécaniques, depuis mai, sans lesquelles il est impossible de confirmer que les voitures autorisées à circuler sont bien en état de le faire.

À long terme, les experts affirment que l’amélioration de la sécurité routière nécessitera des changements au niveau des infrastructures, de l’application de la loi, des normes automobiles et de la formation des conducteurs. Le Liban est engagé depuis cinq ans dans un projet de réhabilitation routière d’une durée de six ans, financé par la Banque mondiale à hauteur de 200 millions de dollars, qui vise, entre autres, à réduire de 15 % le nombre d’accidents mortels sur cinq tronçons routiers prioritaires. Sur cette enveloppe, 2 millions de dollars sont destinés à soutenir le secrétariat du Comité de sécurité routière. Malgré les nombreuses crises auxquelles le Liban est confronté, cette mission semble se poursuivre : le mois dernier, la Banque mondiale a engagé un consultant en sécurité routière pour un contrat de 11 mois. 

Plus de 1 350 personnes ont été tuées dans des accidents de la route depuis avril 2019, et 13 800 personnes ont été blessées au cours de la même période dans plus de 10 000 accidents, suivant des chiffres obtenus par L’Orient Today.Les données suggèrent une tendance à la baisse du nombre d’accidents et de décès au cours des cinq dernières années, particulièrement depuis le...

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"… Les FSI ne disposent pas d’un département dédié à l’application de la loi sur la circulation car les parties prenantes ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur la communauté (confessionnelle) qui se verrait confier la direction du nouveau département …" - Tout est dit dans cette phrase. Quel pays…

Gros Gnon

06 h 44, le 31 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • "… Les FSI ne disposent pas d’un département dédié à l’application de la loi sur la circulation car les parties prenantes ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur la communauté (confessionnelle) qui se verrait confier la direction du nouveau département …" - Tout est dit dans cette phrase. Quel pays…

    Gros Gnon

    06 h 44, le 31 juillet 2022

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