Un bâtiment de la forge de Rayak. photo Joëlle Khoury Aouad
Le chemin de fer libanais, soit 403 kilomètres de voies ferrées ou ce qui en reste, a célébré la semaine dernière son 124e anniversaire. Il a été inauguré le 3 août 1895 par un trajet Damas-Beyrouth, suivi le lendemain par le trajet inverse. « Nous nous basons sur nos archives pour connaître les dates, la durée des trajets, les stations desservies… » souligne dans un entretien à L’Orient-Le Jour Carlos Naffah, président de l’association Train-train Liban, qui tente de faire revivre les trains au pays du Cèdre.
Pour marquer l’anniversaire du chemin de fer, Train-train Liban a organisé un week-end festif, avec un concert et une exposition de photos signées Eddy Choueiri et de peintures de Tom Young samedi dernier à la forgerie de Rayak, suivis d’une visite le lendemain de la gare sur la vieille ligne Mar Mikhaël-Rayak. Pendant deux jours, l’événement de Train-train Liban a rassemblé 700 personnes.
L’association regroupe une soixantaine de personnes qui militent pour préserver le patrimoine ferroviaire libanais et pour remettre en marche les trains. « Le train est un outil démocratique, économique et social pour faire revivre le Liban. Économique parce qu’il permettra aux entreprises, notamment aux usines, de transporter leurs marchandises, social parce qu’il donnera l’occasion aux Libanais de découvrir à moindres frais leur pays et de rencontrer leurs compatriotes d’autres communautés et d’autres régions, et démocratique parce qu’il est accessible à tous », explique Carlos Naffah. Ce n’est pas la première fois que l’ONG, fondée en 2005, organise des visites guidées des vieilles gares libanaises et de la fonderie de Rayak.
C’est le train qui avait fait la prospérité de Rayak, ville qui abritait la plus grande forgerie et les plus importants ateliers relevant du chemin de fer. La station de Mar Mikhaël, qui abrite actuellement la direction des chemins de fer, constituait depuis la création de la ligne Beyrouth-Damas le point de départ du trajet qui allait de la côte, traversait les hautes montagnes du Mont-Liban pour arriver à Damas.Même si beaucoup l’oublient, le train, produit de la révolution industrielle, a avant tout été créé pour le transport des marchandises. Et c’est principalement pour le transport des marchandises qu’il a été mis en place au Liban. Sous l’Empire ottoman, il fallait relier Damas à la côte et c’est Beyrouth avec son port tout neuf qui bénéficie d’un projet exécuté par les Français ; les Britanniques voulaient mettre en place un réseau ferroviaire entre Jaffa et Damas éclipsant complètement Beyrouth, ce qui n’a pas eu lieu.
(vidéo tirée de nos archives)
La première ligne mise en service en 1895 est construite donc sous – et pour le compte de – l’Empire ottoman dans le cadre d’une concession accordée en 1891 aux Français. Elle relie Beyrouth à Damas en passant par Rayak où une gare, une forge et d’immenses ateliers sont mis en place. C’est à partir de Baabda que des crémaillères conçues spécialement pour la montagne libanaise sont posées. Elles tirent le train jusqu’à Dahr el-Baïdar.
Voie militaire
À Dahr el-Baïdar, durant la saison hivernale, les locomotives étaient munies de chasse-neige pour que le trafic ne s’arrête pas à cause des intempéries en montagne.
Des villages comme Sofar se construisent autour de la gare. La localité avec son hôtel et son casino, à quelques mètres de la gare, est un lieu d’estivage prisé dans toute la région, de la Palestine à l’Égypte.
La ligne Beyrouth-Rayak-Damas, à voie étroite, mesure 147 kilomètres dont 77 kilomètres sur (l’actuel) territoire libanais. Le chemin de fer traverse donc le Mont-Liban et l’Anti-Liban. La traversée était complexe avec 32 kilomètres de sections à crémaillère.
Au début du XXe siècle, la société française en charge des trains au Liban s’appelle « la Société du chemin de fer Damas-Hama et prolongements (DHP) ». Les gares sont de construction française, les rails et le matériel des voix étroites sont belges et les locomotives à vapeur suisses. En 1902, une deuxième ligne est mise en service. Elle relie Rayak à Baalbeck et sera prolongée jusqu’à Homs quelques années plus tard.
(Pour mémoire : Autour de sa vieille station de train, Tripoli ravive son patrimoine)
Après Beyrouth, une voie ferrée commerciale est construite dans le port de Tripoli. À partir de juin 1911, le chemin de fer relie Tripoli à Homs, mais cette ligne ne dure pas longtemps. Durant la Première Guerre mondiale, les troupes de l’Empire ottoman arrachent les rails, pillent les gares et confisquent le matériel pour achever la ligne Damas-Bagdad, plus importante au niveau militaire.
En 1942, une ligne côtière reliant Beyrouth à Tripoli, construite par les troupes australiennes présentes au Liban lors de la Seconde Guerre mondiale, voit le jour. Elle est utilisée pour le transport des soldats et du matériel militaire. Au cours de la même année, une autre ligne, reliant Beyrouth à Haifa, construite par les soldats néozélandais, et utilisée aux mêmes fins, est inaugurée. À la fin de la guerre, cette ligne est utilisée pour les transports commerciaux. Elle ne fonctionnera pas longtemps ; en 1948, peu après la création de l’État d’Israël, les tunnels à la fin de la ligne Tripoli-Naqoura sont dynamités. En 1961, le réseau ferroviaire et sa gestion relèvent désormais de l’État libanais. Le Liban connaît son âge d’or sur le plan de l’infrastructure et du tourisme de luxe. Les autoroutes remplacent le chemin de fer et la voiture se démocratise, le train décline petit à petit pour mourir en 1976, en pleine guerre civile.
Aujourd’hui, il reste encore le long du chemin de fer de vieilles gares délabrées, des lieux fantômes qui plaisent aux amoureux du train et aux amoureux des espaces abandonnés au charme certain.
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Assaad Namroud, le dernier conducteur de train
Pat. K.
À l’époque où Assaad Namroud a commencé à travailler à la Société du chemin de fer Damas-Hama et Prolongement (DHP), Rayak était la ville du chemin de fer par excellence. C’est dans cette localité de la Békaa que l’on réparait tous les trains qui desservaient la région… jusqu’à Istanbul. Plus de 1 500 personnes travaillaient à la DHP de Rayak, des directeurs du chemins de fer, mais surtout des techniciens employés pour faire tourner la forgerie et les ateliers de réparation.
Assaad Namroud, 92 ans, a commencé comme simple cheminot, tout comme son père. Puis, par ambition, il a décidé de présenter l’examen nécessaire pour devenir conducteur de train.
« Mon père m’a dit “Tu es trop jeune, peut-être tu seras recalé”. Mais comme je travaillais déjà à Rayak, je connaissais les trains comme le fond de ma poche et leur méthode de fonctionnement par cœur. C’était un ingénieur français qui m’avait fait passer l’examen un jour avant mon 24e anniversaire », se souvient-il. Se rappelant de ses années passées au travail, il confie, un brin de fierté dans la voix : « Mon train était le plus beau, j’en prenais soin, son cuivre brillait sous le soleil quand il entrait en gare. Tout le monde le remarquait quand j’arrivais. »
Grâce à son travail, Assaad Namroud a pu construire une maison, se marier, acheter une voiture et élever six enfants. « Le plus pénible, c’était le tunnel de Dahr el-Baïdar. Je n’oublierai jamais la sensation de chaleur qui m’envahissait. Il y avait le feu qui montait des rails et la vapeur chaude dégagée par la cheminée. Cela ne finissait pas », dit-il.
Assaad Namroud se souvient aussi comment il plongeait en apnée pour réparer ou nettoyer les réservoirs d’eau qui servaient, entre autres, à alimenter les trains à Rayak. « Le jour où je plongeais dans un réservoir, j’avais droit à deux jours de congé parce que cela me fatiguait », affirme-t-il.
« Je me souviens aussi qu’en Syrie, il y avait très régulièrement des coups d’État. Souvent en arrivant ou en quittant Damas, j’avais peur parce que des soldats étaient déployés. Un jour, j’ai eu très peur en rentrant à Rayak et j’appréhendais mon retour à Damas. À quelques heures de mon départ pour la capitale syrienne, la direction a décidé de suspendre les voyages, le temps que la situation se calme. C’était quand Hosni el-Zaïm a accédé au pouvoir » par un coup d’État en mars 1949, se souvient-t-il.
Assaad Namroud a été le dernier chauffeur à conduire le train de Beyrouth à Rayak en 1976. « La guerre venait d’éclater, et il nous était de plus en plus difficile de circuler en train. Un soir, je suis rentré dans mon train à Rayak pour être informé que la direction suspendait le travail jusqu’à nouvel ordre », raconte-t-il. Quelques mois plus tard, l’immense atelier de Rayak a été occupé par l’armée syrienne et son train n’a plus jamais sifflé.
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Élia Abi Atmé habite dans la gare de Jamhour
Pat. K.
Élia Abi Atmé, ancien chef d’atelier des chemins de fer, âgé de 96 ans, vit depuis les années quatre-vingt à la gare de Jamhour qu’il a transformée en maison pour lui et sa famille. D’ailleurs, c’est pour cette raison que les lieux ne sont pas tombés en ruine. Son salon constituait la salle d’attente et le guichet se trouvait dans la salle à manger. C’est entre les rails, non loin d’un réservoir qui servait à l’alimentation en eau des trains à vapeur, qu’il a mis en place un potager.
Élia Abi Atmé est entré très jeune à la Société du chemin de fer Damas-Hama et Prolongement (DHP). « J’ai triché avec ma carte d’identité, j’avais 16 ans, j’ai dû donc ajouter deux années supplémentaires à mon âge. Je venais de perdre mon père qui était cheminot et qui est mort dans un accident alors qu’il effectuait des travaux sur la voie ferrée au niveau de Mdeirej. J’ai dit alors aux Français qui étaient en charge que je voulais prendre sa place pour nourrir la famille », raconte-t-il.
Élia Abi Atmé est fier d’avoir travaillé à la DHP. « J’étais fasciné par les locomotives et les voies ferrées, la façon de travailler dans les ateliers, le fait de créer de nouvelles pièces… Le train au Liban, ce n’était pas du n’importe quoi », dit-il.
Il se souvient qu’en 1948, à la proclamation de l’État d’Israël, il a fait un aller-retour Beyrouth- Haifa pour récupérer du matériel juste avant que les tunnels sur la ligne Beyrouth-Naqoura-Haifa soient dynamités, et cela pour éviter tout trafic entre le Liban et Israël.
Le général Charles de Gaulle ? Il l’a croisé au Liban. C’était durant la Seconde Guerre mondiale, il prenait avec d’autres officiers le chemin de fer alors que lui travaillait sur la voie ferrée. « Dès que je l’ai vu, je l’ai reconnu et je lui ai dit : “Bonjour mon général” », se souvient-il.
Pour mémoire
L’association Train-Train Liban s’en remet au Conseil d’État
Le chemin de fer libanais, soit 403 kilomètres de voies ferrées ou ce qui en reste, a célébré la semaine dernière son 124e anniversaire. Il a été inauguré le 3 août 1895 par un trajet Damas-Beyrouth, suivi le lendemain par le trajet inverse. « Nous nous basons sur nos archives pour connaître les dates, la durée des trajets, les stations desservies… » souligne dans un...
commentaires (6)
Souvenirs d'enfance je me souviens que je prenais ce train avec papa mais je ne sais pas où on allait
Eleni Caridopoulou
17 h 46, le 15 août 2019