Que le Liban soit un enfer pour les automobilistes est un euphémisme pour ses habitants, qui n'ont pourtant guère d’autre choix que de passer chaque jour des heures à bord de leur véhicule. Routes mal éclairées, nids-de-poule, inondations, absence de contrôles routiers, permis de conduire obtenus comme une lettre à la poste, conduite à risque ou encore voitures sans plaque d’immatriculation… Autant d’éléments qui, combinés, rendent la circulation routière particulièrement stressante et risquée. De là à faire du Liban le pays le plus dangereux au monde pour les conducteurs ?
C’est ce que laisse entendre une « étude » publiée le 11 janvier par Global Positioning Specialists (GPS), une entreprise proposant un comparatif de GPS pour les véhicules, dont les bureaux sont en Angleterre selon son site internet gps.com.au, bien que l’extension de ce dernier soit australienne. Ce classement des « pays les plus dangereux où être un conducteur » place le Liban en tête de gondole devant l’Uruguay, la Colombie, le Costa Rica et la Grèce. L’étude se base sur trois facteurs : le nombre d’accidents mortels par habitant, où le Liban est classé 6e, le nombre de vols de véhicules par habitant (10e) et la qualité du réseau routier (4e).
Circulez, y a rien à voir ?
Vu par plus de 750 000 internautes, le top 10 de ce classement posté sur le compte X (ex-Twitter) de World Index, qui publie des classements mondiaux dans différents domaines, a provoqué des commentaires oscillants entre l’humour – « Toujours au top », écrit l’un d’eux accompagné d’un drapeau libanais –, et l’amertume – « Au Liban, les gens considèrent que la ceinture de sécurité ou le feu rouge sont des signes de faiblesse. » Le classement a par ailleurs été repris par de nombreux médias, dont des sites tels que The961 ou MTV.
Mais dans les commentaires, certains s’interrogent : qu’en est-il de l’Inde, du Bangladesh ou de l’Égypte ? L’un d’eux va plus loin : « La Syrie devrait être n° 1 » ? Un vœu pieux, car le classement de GPS se contente d’étudier les données de 60 pays, soit 30,7 % des 195 pays indépendants selon l’ONU, évoquant les pays les plus dépendants des voitures, mais sans préciser selon quels critères. L’OLJ n’en apprendra pas plus, l’adresse électronique du contact presse de GPS ne fonctionnant pas… ou plus ?
Alors, circulez, y a rien à voir ? Parmi les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, seule l’Algérie, 19e, et les Émirats arabes unis, bon élève arrivant à la 57e place, sont présents. On ne saura donc pas qui du conducteur libanais ou yéménite est le plus à plaindre.
De pire en pire
Outre ce manque criant de représentativité, d’autres mettent en doute le caractère scientifique de l’étude. L’un des internautes estime ainsi qu’il serait plus précis de diviser le nombre d’accidents mortels par le nombre de kilomètres parcourus par les conducteurs plutôt que par le nombre d’habitants.
Pire, les données utilisées pour ce classement remontent à… 8 ans. En effet, le GPS mentionne trois sources : le rapport de 2015 du Travel & Tourism competitiveness, celui de l’Organisation mondiale de la santé sur la sécurité routière mondiale publié la même année, et les statistiques de 2014 de l’UNODC sur les cambriolages, vols et effractions internationaux.Interrogée, une source sécuritaire émet un doute sérieux sur les chiffres avancés : « En 2023, 1 147 voitures ont été volées au Liban. Or le rapport parle de 179,2 véhicules volés pour 100 000 habitants. Faites-le calcul, il y a une différence énorme », dit-elle. Sur une population libanaise désormais estimée à 5,2 millions d’habitants par le baromètre mondial basé sur les données de l’ONU, cela équivaudrait à 9 318 vols sur l’ensemble du territoire.
Concernant les accidentés de la route, la source sécuritaire susmentionnée avance le chiffre de 381 morts recensés par les FSI en 2023. De son côté, l’étude de GPS évoque pas moins de 22,6 morts pour 100 000 habitants, ce qui équivaudrait à 1 175 morts de la route sur l’ensemble de la population. Certes, l'Organisation mondiale de la santé a récemment affirmé que les décès liés aux accidents de la route enregistrés au Liban étaient « incomplets à au moins 80 % », estimant même leur nombre réel deux fois plus élevé. Mais cela resterait bien en deçà du chiffre avancé par le classement de GPS.
Quant à l’état des infrastructures routières, il est sans aucun doute en déliquescence. Ex-manager du Traffic Management Center (TMC), un organisme qui supervisait la circulation libanaise au travers de ses caméras de surveillance, Jean Dabagh, aujourd’hui basé à Toronto, assure que « 90 % des caméras sont à l’arrêt, tandis que les feux de circulation fonctionnent maintenant quasiment sans maintenance depuis que TMC a cessé d’opérer en octobre 2020 ». À l’époque, il alertait pourtant dans nos colonnes : « Sans maintenance, des dysfonctionnements sont attendus ; et sans financement, aucune réparation n’est possible. » Depuis, il explique que certaines municipalités prennent l’initiative de réaliser une maintenance locale, tandis que les FSI font de leur mieux, mais avec des moyens limités, pour superviser la circulation. Probablement pas le pire pays au monde pour les conducteurs, le Liban reste sans conteste de pire en pire pour les automobilistes, comme pour les piétons.
commentaires (18)
IL N'Y A QU'UN SEUL CODE DE LA ROUTE AU LIBAN QU'ON APPLIQUE SANS VERGOGNE ET PARTOUT : " ME FIRST"
Chucri Abboud
14 h 10, le 17 janvier 2024