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Économie - Infrastructures

Pourquoi les feux de circulation ne fonctionnent plus dans le Grand Beyrouth

NEAD, la société sous-traitante de maintenance et de suivi des infrastructures routières, s’est portée volontaire pour réparer les feux tricolores gratuitement. Une solution temporaire...

Pourquoi les feux de circulation ne fonctionnent plus dans le Grand Beyrouth

Des feux de circulation éteints hier à une intersection dans les rues du quartier d’Achrafieh, à Beyrouth. Photo Rami Hanna

Cela fait bientôt deux mois que les feux de circulation du Grand Beyrouth ne clignotent plus, ou presque, aggravant le chaos sur les routes ainsi que le nombre d’accidents sur les grandes intersections. L’enlisement du pays dans une crise économique et financière sans précédent, couplé à un rationnement accru, pendant plusieurs semaines, du courant sur fond de pénurie de mazout, pèse sur les infrastructures nationales.

Grâce à l’amélioration progressive de l’approvisionnement du pays en électricité, les feux de circulation ont récemment repris des couleurs, mais un problème de financement de la société en charge de la maintenance des feux risque de les éteindre à nouveau. Cette perspective semble pour le moment repoussée avec l’annonce, hier sur Twitter, par le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, que NEAD, la société sous-traitante de maintenance et de suivi des infrastructures routières du Grand Beyrouth, était prête à réparer les feux tricolores et à assurer, gratuitement, leur maintenance, en attendant un déblocage financier. Le ministre a salué le « sens national » de l’entreprise. « La situation du pays est assez dramatique pour ne pas en rajouter. Nous avons donc décidé d’agir à notre compte jusqu’à ce qu’un financement soit débloqué. Il y a eu de nombreux accidents aux intersections à cause de l’arrêt des feux de circulation. Nous avons considéré qu’il était de notre devoir de citoyens d’y mettre fin », explique le manager de NEAD, Chafic Sinno, à L’Orient-Le Jour. En effet, si la pénurie d’électricité a rendu visible le problème des feux de circulation aux usagers de la route, il ne s’agissait là en fait que du sommet de l’iceberg. Le problème de fond est financier : face à un trou budgétaire, l’institution publique Traffic Management Organization (TMO), rattachée au ministère de l’Intérieur, n’a plus les moyens de financer la société libanaise NEAD, ainsi que l’américaine Duncan, pendant de NEAD pour l’installation et la production des feux de circulation, et dont Chafic Sinno est aussi le représentant. « Lorsqu’il y a une coupure d’électricité, des batteries prennent automatiquement le relais pour assurer le fonctionnement des feux de circulation 24 heures sur 24 et sept jours sur sept sur les routes. Il en va de même pour les caméras de surveillance. Mais ces batteries sont prévues pour tenir entre 10 et 12 heures, pas plus », explique Jean Dabagh, manager du Traffic Management Center (TMC), qui supervise la circulation au travers de ses caméras de surveillance. « Sans maintenance, des dysfonctionnements sont attendus ; et sans financement, aucune réparation n’est possible », poursuit-il.

Imbroglio administratif
C’est dans le centre-ville de Beyrouth qu’ont été installés les premiers feux de circulation d’après-guerre. « À l’époque, c’était une success story pour les citadins : enfin, un peu d’ordre et d’organisation! » se souvient Mona Fawaz, professeure en urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth. Quelques années plus tard, en 2000, le ministère de l’Intérieur crée en son sein l’institution TMO chargée d’organiser le trafic routier. Trois ans plus tard, un prêt de la Banque mondiale (BM) est accordé au Liban, via le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), dans le cadre d’un projet pour le Grand Beyrouth intitulé « Urban Transport Development Project » et comportant trois volets principaux : la signalisation, le stationnement et la circulation. « En allouant ce prêt au Liban, la BM lui avait imposé un modèle de financement inédit : les revenus des parcmètres nouvellement installés devaient servir à les financer, de même que les feux de circulation et TMC, le centre prévu, dans le cadre de ce projet, pour superviser le trafic. Ces revenus devaient également permettre de rembourser le prêt de la BM », explique Chafic Sinno.

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En 2005, un appel d’offres international est lancé pour choisir la société sous-traitante en charge de l’installation et de la maintenance des parcmètres. Deux sociétés sont retenues pour travailler conjointement, Duncan pour l’installation et la production des machines, et NEAD pour la maintenance et le suivi. L’installation des feux et des parcmètres ainsi que l’établissement de TMC se déroulent sur plusieurs années, avec des retards dus à des événements tels que la guerre de l’été 2006. Mais, dès 2007, les premiers parcmètres finissent par faire leur apparition à Beyrouth. Le projet entier ne sera finalisé via le CDR qu’en 2013, permettant alors à TMO de prendre la relève. À partir de là, et conformément au cahier des charges posé par la BM, Duncan-NEAD, placé sous la tutelle de TMO et dont le contrat est remis en jeu tous les trois ans via un nouvel appel d’offres international, poursuit son travail de maintenance des parcmètres, dont les revenus financent également les feux de circulation, TMC et le remboursement du prêt de la BM. Des revenus évalués ces dernières années à 10 milliards de livres libanaises annuels, et dont le surplus, une fois couverts les frais cités précédemment, devait alors revenir à la municipalité de Beyrouth (TMO travaillant sur sa juridiction), selon un accord établi dès le début du projet en 2004. L’affaire commence à dérailler en 2010, quand la municipalité accuse TMO de ne jamais lui verser ce fameux surplus de revenus. Selon TMO, les revenus annuels, finançant l’ensemble des charges, la main-d’œuvre et les remboursements du prêt (les 65 millions de dollars octroyés par la BM auxquels sont venus s’ajouter 50 millions de dollars par des créanciers locaux et internationaux), n’étaient tout simplement pas suffisants pour dégager un quelconque surplus.

En 2014, tandis que le projet était complètement passé sous la tutelle de TMO, Ziad Chbib, alors nouvellement nommé au poste de mohafez de Beyrouth, contacte à maintes reprises le ministère de l’Intérieur pour que ce dernier demande des comptes à TMO, institution dirigée alors par Hoda Salloum. Ses requêtes restant sans réponse, Ziad Chbib présente, au nom de la municipalité, un recours devant la justice pour qu’elle ordonne une expertise portant sur l’utilisation de l’argent collecté via les parcmètres depuis 2004. Finalement porté en justice l’été dernier, le recours de la municipalité se traduit par l’arrestation de la directrice générale de TMO en décembre dernier, accusée de dilapidation des fonds publics. Libérée sous caution en janvier 2020, Hoda Salloum est de retour à son poste. « J’attends que la justice fasse son travail », se contente-t-elle de dire aujourd’hui à L’Orient-Le Jour.

Absence de revenus
Entre-temps, la « révolution » d’octobre contre la classe politique libanaise éclate. Dans le cadre des manifestations, nombre de parcmètres, érigés en symbole d’un gouvernement qui prend sans rien donner en retour, sont saccagés. Rapidement, les revenus des parcmètres tombent à zéro. Le 10 avril, le contrat de Duncan-NEAD arrive à échéance. La société sous-traitante remporte le nouvel appel d’offres début mai. Mais les parcmètres ne rapportent toujours plus rien, privant la société de tout revenu pour assurer sa mission de maintenance, notamment des feux de circulation. Face à la pénurie en électricité et la multiplication des dysfonctionnements des feux de circulation et des caméras de surveillance, TMO demande au ministère de l’Intérieur de requérir, auprès de celui des Finances, un déblocage de fonds dans le but de résoudre ce problème « vital » pour les usagers de la route, selon Jean Dabagh et Chafic Sinno. Le service de communication du ministère des Finances indique, pour sa part, avoir rejeté cette requête début juillet, la demande n’entrant pas dans le cadre de ses responsabilités. « Suite au refus du ministère des Finances, nous attendons une évaluation de TMO pour connaître l’investissement minimum requis par la municipalité pour résoudre ce problème », explique Jamal Itani, président du conseil municipal de Beyrouth. Chafic Sinno a indiqué cette semaine à L’Orient-Le Jour que le rapport était terminé et avait été transmis à la municipalité de Beyrouth.

Cependant, comme Jean Dabagh le souligne, un financement par la municipalité ne couvrirait que Beyrouth, « et ne concernerait donc pas le Grand Beyrouth, à savoir Furn el-Chebback, la banlieue sud, Antélias, Khaldé, etc. ». Pour lui, il est nécessaire de trouver une solution globale pour l’agglomération, « car toute cette zone est reliée au même logiciel de gestion et sous la tutelle de TMO ». Estimant à environ 100 000 dollars le financement d’urgence nécessaire pour faire fonctionner les feux du Grand Beyrouth, et prenant en compte le fait qu’il faudrait plusieurs semaines à la municipalité de Beyrouth pour collecter un tel montant, Chafic Sinno décide alors de prendre les choses en main et d’offrir gracieusement la réparation et la maintenance des feux tricolores et des caméras de surveillance jusqu’à ce qu’une solution financière tenable soit trouvée.

« Symptomatique »
Une décision assurément motivée par l’impact de l’arrêt des feux sur la sécurité routière. En la matière, les chiffres sont à prendre avec des pincettes. Selon les données de la police, les accidents de la route ont augmenté de 77 % en juin par rapport à avril. Mais il faut garder en tête qu’en avril dernier, le Liban était toujours en phase de confinement et de circulation alternée. La police note en outre une baisse de 39 % des accidents de la route en glissement annuel en juin. Mais pour Jean Dabagh, la dangerosité des routes ces dernières semaines s’est accrue. « Les accidents mortels ont plus que doublé, passant de 15 morts en avril à 33 en juin. Même en tenant compte de la baisse du trafic au mois d’avril et celle relative en mai, les images de nos caméras de surveillance ne trompent pas. Il y a eu une hausse des accidents aux grandes intersections dans la capitale, surtout la nuit, là où les feux de circulation ne fonctionnent plus. » Et ce d’autant plus que Beyrouth est plongée dans le noir suite au rationnement nocturne de l’électricité. Le verdict de Mona Fawaz est, lui aussi, sans appel : « L’absence des feux de circulation est symptomatique d’une société en train de tomber. La négligence des responsables a atteint un niveau intolérable. »

Cela fait bientôt deux mois que les feux de circulation du Grand Beyrouth ne clignotent plus, ou presque, aggravant le chaos sur les routes ainsi que le nombre d’accidents sur les grandes intersections. L’enlisement du pays dans une crise économique et financière sans précédent, couplé à un rationnement accru, pendant plusieurs semaines, du courant sur fond de pénurie de mazout, pèse...

commentaires (5)

avant d installer des feux de circulation il faut respecter le code de la rue rien qu avec les contraventions on peut installer des milliers de feux qui ne sert à rien souvent pauvre liban et les libanais sont à l image de leurs gouvernants c est le bordelle partout

youssef barada

00 h 16, le 26 juillet 2020

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Commentaires (5)

  • avant d installer des feux de circulation il faut respecter le code de la rue rien qu avec les contraventions on peut installer des milliers de feux qui ne sert à rien souvent pauvre liban et les libanais sont à l image de leurs gouvernants c est le bordelle partout

    youssef barada

    00 h 16, le 26 juillet 2020

  • Pauvre, pauvre, pauvre pays...

    NAUFAL SORAYA

    20 h 11, le 25 juillet 2020

  • MAIS QU,EST-CE QUI FONCTIONNE DANS LE GRAND BORDEL DE MADAME L,INCOMPETENTE PATRONNE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 45, le 25 juillet 2020

  • QU,EST-CE QUI FONCTIONNE DANS CE PAYS DEMOLI PAR LES CLIQUES MAFIEUSES QUI L,AVAIENT GOUVERNE ET QUI LE GOUVERNENT ENCORE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 12, le 25 juillet 2020

  • Quand la malchance vous donne son feu vert certains individus , comme certains peuples s'y complaisent tant, qu'ils déshonorent la tragédie.

    Antoine Sabbagha

    12 h 54, le 25 juillet 2020

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