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Société - Guerre Hamas/Israël

Au Liban-Sud, dans l'incertitude d'une guerre, les Libanais se préparent au pire

Des habitants de la zone frontalière avec Israël ont pris leurs dispositions pour se reloger à Saïda, Beyrouth, voire dans les hauteurs du pays. D’autres anticipent le pire.

Au Liban-Sud, dans l'incertitude d'une guerre, les Libanais se préparent au pire

Un garçon marchant dans la cour d’une école où les familles libanaises déplacées des villages proches de la frontière sud ont trouvé refuge dans la ville de Tyr, le 19 octobre. Mahmoud Zayyat/AFP

Nana Salamé en a eu assez. Originaire de Jdeidet Marjeyoun, un village au sud de Nabatiyé, l’étudiante a déménagé au nord de Beyrouth mi-octobre dans une maison appartenant à sa famille. Achetée après que les terres et résidences familiales ont été occupées lors du conflit au Liban-Sud en 1978, quand Israël a envahi la région en réponse à une attaque de militants palestiniens à Tel-Aviv, cette demeure est un véritable sanctuaire. Ce n’est qu’en 2000, lorsque les troupes israéliennes se sont retirées du sud du Liban, que la famille de Nana Salamé est revenue chez elle, faisant de la maison de la capitale une résidence secondaire.

Seulement voilà : à Jdeidet Marjeyoun, les Salamé résident à 15 minutes en voiture de la ligne bleue, la frontière surveillée par la Finul entre Israël et le Liban. « Il n’y a aucune sécurité, explique Nana Salamé. Nous vivons constamment dans la peur. » Au lendemain du déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas le 7 octobre, les tensions à la frontière sud entre le Hezbollah et l’armée israélienne se sont ravivées. Des combats qui ont déjà fait au moins cinq morts civils dans la région, dont un journaliste de l’agence Reuters et un couple de personnes âgées.

Nana Salamé n’est pas la seule à partir. Selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations, un organisme relié aux Nations unies, publié lundi, plus de 19 000 personnes ont été déplacées au Liban après « la hausse des incidents transfrontaliers » depuis le début des affrontements, dont une majorité – entre 1 500 et 2 500 – s’est dirigée vers Beyrouth, Saïda et Aley. Des familles qui préfèrent s’éloigner de la frontière par mesure de précaution et de crainte que le conflit s’embrase au Liban et dans la région.

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« Ces escarmouches à la frontière ne sont pas nouvelles. Mais la situation est beaucoup plus intense en raison de la guerre dans la bande de Gaza », décrypte l’étudiante, qui raconte avoir vu l’armée israélienne lancer des bombes au phosphore qui ont provoqué « des feux épars ». Une utilisation par Israël de ces bombes, à Gaza et au Liban-Sud, pourtant interdite dans le monde et que l’organisation Human Rights Watch a également confirmée dans un rapport. « Elles étaient si proches de nous », souffle-t-elle.

En cas d’urgence, la jeune femme explique garder un sac prêt avec son passeport, des espèces et des documents importants « près de la porte », et s’assure toujours d’avoir un plein d’essence dans sa voiture. Plusieurs fois par jour, Nana Salamé prend soin de contacter ses proches restés au village. « Ma sœur et son mari tiennent un magasin à Jdeidet Marjeyoun, donc ils devaient rester », dit-elle. « Mais toute la famille est en alerte et prête à prendre la route vers Beyrouth à tout moment » si une escalade du conflit a lieu. « Les voisins aussi sont les bienvenus chez nous. »

« Je ne peux pas rester coincée à Aramoun »

Yumun Itani est infirmière en salle de réveil au Centre médical  de l’Université américaine de Beyrouth (AUBMC). Elle vit à Aramoun, une demi-heure au sud-est de Beyrouth, mais elle a décidé avec son mari et ses deux filles de déménager dans l’appartement de son frère situé dans la capitale. « Je vois le scénario catastrophe arriver en cas de guerre », dit-elle, toujours bouleversée par la double explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020 et le renvoi de quelque 800 employés de l’hôpital en raison de la crise économique que traverse le Liban depuis 2019.

Au travail, « je suis la plus âgée, et il faut donc que je sois présente », souligne Yumun Itani. Une guerre avec Israël rendrait le trajet depuis sa maison à Aramoun vers Beyrouth compliqué, voire dangereux. L’hôpital a une procédure de crise bien rodée. Elle a été établie quand les crises à grande échelle ont commencé à se succéder dans le pays. Pendant ces périodes, la présence de l’ensemble du personnel hospitalier est requise, notamment dans des départements comme celui où travaille de l’infirmière.

« Je ne peux pas rester coincée à Aramoun quand les blessés affluent aux urgences », dit-elle. En parallèle, son mari, qui travaille pour les Forces de sécurité intérieure et se retrouve souvent de garde la nuit quand il y a des tensions dans le pays, doit lui aussi être proche de son lieu de travail à Sanayeh, à quelques rues de l’AUBMC. Désormais relogés à Clemenceau, les Itani sont donc assurés d’être présents à leur travail si les choses devaient mal tourner.

Magasins et municipalités se préparent au pire

D’autres familles ont cherché un logement temporaire à Saïda. Là-bas, les autorités municipales ont expliqué à L’Orient Today avoir tenu de nombreuses réunions avec les agences gouvernementales et des groupes de la société civile pour discuter des plans de logement et d’assistance aux déplacés dans le cas d’une agression israélienne. Elles ont ainsi approuvé la préparation et la mise à disposition d’ambulances, de camions de pompier et de voitures de secours, ainsi que de plusieurs écoles pouvant servir de refuges pour les déplacés, avec le support logistique de la Croix-Rouge et de l’Autorité islamique de la santé.

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Malgré la hausse des tensions à la frontière, les magasins et supermarchés du sud du pays n’ont pas encore enregistré de hausse significative de stocks de nourriture au niveau de leur clientèle. Ahma

d, un employé au supermarché Spinneys de Saïda, explique que l’activité commerciale est restée identique. « Nous n’avons pas encore eu de demande extraordinaire », explique-t-il entre deux étals.

Dans son chariot, Amal n’a qu’une boîte de mouchoirs en papier, une bouteille de ketchup et du fromage. « Nous n’avons pas besoin de stocker. Ça passera », assure-t-elle. Le caddie de Samira, en revanche, est plein. À la caisse, elle raconte : « De manière générale, je fais toujours de grosses courses. Mais cette fois, elles sont encore plus importantes : au lieu d’acheter chaque produit à l’unité, j’en ai acheté deux. Cela ne veut pas pour autant dire que je fais mes réserves. C’est uniquement une mesure de précaution. »

Néanmoins, certains magasins ont témoigné d’une hausse des achats en gros, notamment des conserves et des féculents, alors que des marchands se préparent à une possible rupture de stocks « afin d’en bénéficier plus tard », explique Mohammad el-Bikaï, directeur de al-Bikai Trading Establishment à Saïda qui y détient plusieurs magasins alimentaires. Habitant de Rmeilé, à quelques kilomètres au nord de Saïda, il a lui-même stocké chez lui de la viande, du poulet et des boîtes de conserve, car, « en cas de guerre, les ponts pourraient être coupés et nous ne pourrons plus nous déplacer, comme lors de la guerre de juillet 2006 ».

« C’est comme si on émigrait »

Hassan Jaber, qui a déménagé de Touline au Liban-Sud à Beyrouth depuis la mi-octobre en raison des tensions à la frontière, explique que plusieurs membres de sa famille et des voisins cherchent à louer, s’ils ne l’ont pas déjà fait, des logements dans les régions du Metn et du Kesrouan. Et ajoute qu’il y a une hausse de la demande pour des appartements et chalets en cas de guerre et que ceux-ci partent très rapidement. Lui aussi avait contacté plusieurs propriétaires d’appartement, pour découvrir quelques heures après que leurs biens avaient déjà été loués. 

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Enceinte de sept mois, sa sœur, qui vivait à Tebnine, un autre village du Sud, a elle aussi déménagé à Beyrouth en attendant un potentiel retour au calme. « Nous avons entendu tous les bombardements sur Khiam, bien que ce village soit assez éloigné des nôtres », témoigne Hassan Jaber. Sa famille éloignée tente quant à elle de trouver un pied-à-terre dans les montagnes, mais cela les inquiète aussi : si les forces israéliennes décident d’attaquer, « nous ne saurons jamais où ils comptent frapper ».

Trouver un logement s’avère un parcours semé d’embûches. Hassan Jaber raconte que certains propriétaires dans les régions montagneuses « tirent profit de la situation en augmentant leurs prix ». Sa sœur, agente immobilière, donne l’exemple du propriétaire d’un appartement meublé à Deir el-Qamar, dans le Chouf, qui louait son bien 500 dollars, charges incluses, avant les événements. « Il en demande 2 000 dollars désormais », dit-il.

En attendant, comme Nana Salamé, Hassan Jaber a préparé un sac : passeport, argent, documents officiels, certificats universitaires... « C’est comme si on émigrait », conclut-il.

Nana Salamé en a eu assez. Originaire de Jdeidet Marjeyoun, un village au sud de Nabatiyé, l’étudiante a déménagé au nord de Beyrouth mi-octobre dans une maison appartenant à sa famille. Achetée après que les terres et résidences familiales ont été occupées lors du conflit au Liban-Sud en 1978, quand Israël a envahi la région en réponse à une attaque de militants palestiniens...
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