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Société - Tensions au Liban-Sud

Incertitude, réminiscences de conflits passés : la santé mentale des Libanais à l’épreuve

Les professionnels du secteur notent une augmentation des consultations et des ONG spécialisées préparent déjà des plans d’urgence.

Incertitude, réminiscences de conflits passés : la santé mentale des Libanais à l’épreuve

L’anxiété est à son comble et les consultations sont en hausse, selon les professionnels. Photo d’illustration AFP

« Je voyage cette semaine pour assister aux funérailles de mon père à l’étranger et je ne sais pas si je vais pouvoir rentrer au Liban», lâche tout de go Lara*, 47 ans, responsable en communication. « Lui aussi avait dû s’expatrier durant la guerre civile, au risque d’être bloqué chaque fois qu’il venait nous voir », se rappelle-t-elle. Et d’ajouter : « Cinquante ans plus tard, c’est à mon tour de vivre cette angoisse. Jusqu’à quand ? »

Une question à laquelle aucun Libanais ne peut répondre si ce n’est par des marques de lassitude. Car, alors même que le pays accumule les crises depuis quatre ans, la guerre frappe à nouveau à sa porte depuis l’attaque du Hamas en Israël et le début de l’offensive à Gaza le 7 octobre, ravivant les tensions à la frontière libano-israélienne.

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Le pays replonge donc dans l’incertitude et les Libanais dans l’inquiétude, à l’instar également de Sirine*, 45 ans, traductrice, qui se dit « continuellement anxieuse » : « Je ne dors plus, j’ai des idées noires et j’ai déjà augmenté ma dose quotidienne de magnésium. » Ainsi, nombreux sont les Libanais à montrer des signes de stress extrême. « Il y a certainement une hausse de demandes pour les rendez-vous, même si on ne peut pas encore la chiffrer pour le moment », indique Mia Atoué, présidente de l’ONG Embrace, qui offre des services de suivi psychologique.

« Cette évolution dans les consultations, nous la constatons depuis 2019, date à laquelle la crise économique a éclaté, et surtout après l’explosion au port de Beyrouth en 2020 », explique Éliana Kachaamy, psychothérapeute et cofondatrice de l’Association libanaise des victimes du terrorisme. Selon elle, la perspective d’un danger imminent réveille des angoisses qui sont peut-être dormantes. « En clinique, nous constatons beaucoup de terreurs nocturnes : somnambulisme, insomnies, bruxismes (quand on serre les mâchoires). La nuit réveille la peur de la mort, on évite de dormir pour ne pas perdre le contrôle. Or les insomnies affectent profondément le mental. »

« C’est la crise de trop, les gens sont à bout de nerfs, ils n’arrivent plus à gérer ce surplus de stress », renchérit Michel Soufia, médecin psychiatre. Lui aussi constate une augmentation des consultations et conseille d’avoir recours à un professionnel « lorsque les symptômes deviennent trop lourds et qu’ils affectent la vie quotidienne ».

Et ceux qui consultent actuellement ne sont pas toujours des habitués, ainsi que le confirme Aimée Nasser Karam, psychologue clinicienne et psychothérapeute. « La situation est exceptionnelle et génère beaucoup d’anxiété en raison de l’incertitude », dit-elle. Et quand les repères éclatent, certains fuient – d’où les nombreux départs à l’étranger – et d’autres présentent des symptômes d’anxiété, allant des maux physiques aux insomnies ou à l’anticipation négative, poursuit-elle.

« Comme un film qui se répète »

On pourrait penser que les Libanais se sont habitués à vivre dans la précarité et l’insécurité. Certains affichent d’ailleurs cette attitude « blasée », comme Karim*, 40 ans, assureur. « On en a vécu d’autres, advienne que pourra », lance-t-il.

Les experts ne sont pas de cet avis et craignent le déni. « Avoir vécu d’autres guerres et d’autres crises ne rend pas plus résilient, affirme Aimée Nasser Karam. L’explosion de Beyrouth, en particulier, a montré aux Libanais qu’ils étaient livrés à eux-mêmes. Ce qui explique l’exode et l’augmentation de troubles post-traumatiques, de cas d’anxiété, de symptômes de dépression. »

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Éliana Kachaamy, elle, craint surtout l’état d’épuisement dans lequel se trouvent les Libanais. « Ils sortent de plusieurs crises majeures. Certains se réfugient dans le déni et d’autres en parlent plus franchement. Il vaut toujours mieux s’exprimer parce que sans cela, le corps s’exprimera à notre place. » Pour Michel Soufia, la guerre ramène des réminiscences de conflits passés, et plus on a été traumatisé avant, moins on est armé face à une nouvelle crise. « Les traumatismes sont réveillés par la perspective d’une nouvelle guerre », dit-il.

Ce qui est confirmé par Suzanne Jabbour, fondatrice et présidente de Restart, une ONG qui offre des services de psychologie dans ses centres. « Les demandeurs actuels sont majoritairement des gens qui ont déjà eu recours à nous pour des traumatismes liés à la guerre, en 2006 notamment. Pour eux, c’est comme un film qui se répète. »

Un plan en cas de guerre

En cas d’anxiété chronique, la consultation vise à aider à gérer le stress. « Et pour ça, nous n’avons pas de recette, nous réfléchissons avec ces personnes sur les moyens de rester impliqué dans des activités quotidiennes afin d’agir sur ce qu’elles peuvent contrôler », explique Aimée Nasser Karam.

Les médicaments, anxiolytiques ou antidépresseurs sont aussi une réponse aux cas plus sévères. Malgré le manque de statistiques, Michel Soufia indique que leur consommation augmente conformément à la demande. Il met cependant en garde contre une tendance à abuser des tranquillisants sans prescription médicale.

Mais la consultation psychologique devient-elle un luxe en temps de crise ? « Je comprends que les Libanais soient surtout préoccupés par leur survie, mais il ne faudrait pas négliger la santé mentale parce que celle-ci affecte tous les autres aspects de la vie », insiste Éliana Kachaamy.

Les ONG, elles, se mobilisent pour continuer d’offrir ce service à ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Mia Atoué rappelle que le numéro vert 1564 est mis à la disposition de ceux qui en appellent à une aide psychologique, et qu’il sert aussi à entrer en contact avec tout un réseau allant du ministère de la Santé à des partenaires de la société civile.

Un effort qui ne sera pas mis en berne en cas de guerre déclarée. Restart, pour sa part, est en train de préparer un plan d’urgence pour la santé mentale qu’elle partagera avec ses partenaires. « L’expérience de l’explosion du port nous a déjà appris à œuvrer en cas de catastrophe, tout en protégeant nos volontaires », assure Suzanne Jabbour.

*Les prénoms ont été changés.

« Je voyage cette semaine pour assister aux funérailles de mon père à l’étranger et je ne sais pas si je vais pouvoir rentrer au Liban», lâche tout de go Lara*, 47 ans, responsable en communication. « Lui aussi avait dû s’expatrier durant la guerre civile, au risque d’être bloqué chaque fois qu’il venait nous voir », se rappelle-t-elle. Et d’ajouter : « Cinquante...

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