Rechercher
Rechercher

Environnement - Focus

Déchets ménagers : le système ne tient plus qu’à un fil

Les solutions de rafistolage permettent jusqu’à présent au Liban d’éviter une crise majeure, mais l’effondrement économique menace la continuité du service de gestion.

Déchets ménagers : le système ne tient plus qu’à un fil

Avec l'effondrement de la livre et la baisse des honoraires des prestataires, la collecte des déchets a lieu à une cadence bien plus lente que par le passé. Photo João Sousa

Deux images suffiraient à illustrer le fiasco de la gestion des déchets ménagers de ces trente dernières années : une montagne d’ordures à Saïda (Liban-Sud), venue remplacer un dépotoir sauvage traité il y a quelques années, et une situation similaire à Jdeidé (Metn) où, quelques années à peine après la disparition de la tristement célèbre « montagne de Bourj Hammoud », l’une des principales décharges du pays, située à peine un kilomètre plus loin, gagne en hauteur faute de place. Ces nouvelles montagnes de détritus qui remplacent des dépotoirs plus anciens sont le symbole des limites d’un système de gestion des déchets ultracentralisé, au financement « opaque », comme l’a qualifié dans un discours récent le ministre de l’Environnement sortant, Nasser Yassine, et qui menace de s’effondrer totalement avec la crise, à l’instar de tous les autres services publics du pays. Qu’est-ce qui lui permet actuellement de tenir ? Jusqu’à quand pourrons-nous éviter une crise des déchets majeure ?

Un tiers de déchets en moins

Depuis les années 1990, le système national de gestion des déchets n’a que très peu évolué, malgré le traumatisme de la crise de 2015-2016, provoquée par la fermeture brutale de la décharge de Naamé (Chouf), la principale du pays : des plans successifs pour la région Beyrouth/Mont-Liban (la plus peuplée) fondée sur des contrats avec un nombre limité de compagnies, portant sur la collecte, le nettoyage des rues, le traitement (bancal) et l’enfouissement en décharges. Pour le reste du pays, c’est l’absence de solutions réelles, à part quelques décharges contrôlées et des milliers de décharges sauvages.

Quant au plan de gestion pour la capitale et les banlieues mis en place en 2016 et se fondant sur la création de deux grandes décharges côtières (celles de Costa Brava, au sud de Beyrouth, et de Bourj Hammoud/Jdeidé, au nord), il est aujourd’hui mis à mal par la crise financière.

Lire aussi

Déchets ménagers : l'urgence de réforme

La collecte, notamment, souffre de retards de paiement dus par l’État aux deux sociétés, Ramco (qui dessert Beyrouth, qui a un contrat séparé depuis 2016, et le Mont-Liban-Nord) et City-Blu (Mont-Liban-Sud et banlieue sud). « L’amoncellement temporaire de détritus que l’on constate de temps à autre dans les rues résulte du ralentissement de la collecte, lequel est dû au fait que les honoraires des sociétés ne dépassent plus 20 % de ce qu’ils étaient avant la crise », affirme Nasser Yassine à L’OLJ.

Ce qui a limité les dégâts, c’est que la crise a paradoxalement été la cause indirecte de la baisse du volume des déchets et de leur composition, en raison de changements dans la consommation. Ce volume aurait baissé d’un tiers, selon des sources officielles concordantes, passant de 3 000 tonnes en moyenne pour Beyrouth et le Mont-Liban à environ 2 000 actuellement. Les matières organiques, qui composaient de 50 à 55 % des ordures avant la crise, représentent actuellement de 69 à 72 %, lit-on dans la feuille de route du ministère de l’Environnement, l’appauvrissement de la population se traduisant par un recentrage de la consommation sur les produits alimentaires.

Fonctionnement « a minima »

Mais le ralentissement de la collecte des ordures dans les rues n’est que la partie visible de l’iceberg. L’enjeu crucial reste celui des centres de traitement et des décharges, sans lesquels le système ne tiendrait même plus debout. La question de la capacité des décharges côtières de Costa Brava et de Bourj Hammoud/Jdeidé se pose avec acuité même si les contrats de leur gestion n’ont pas encore expiré, indique une source proche du dossier qui a préféré rester anonyme. Car la sursaturation de ces sites créés en 2016 est aggravée par un facteur significatif : 100 % des déchets collectés finissent désormais dans les décharges, sans aucun tri et traitement dans leurs deux centres dédiés respectifs. Or le « filtre » opéré par ces derniers permettait de réduire ce volume d’environ 20 %. Pour Amroussiyé, le centre relevant de Costa Brava, le contrat avec l’entrepreneur Jihad el-Arab (séparé de celui de la gestion de la décharge) n’a pas été renouvelé après son expiration. Le centre relevant de Bourj Hammoud/Jdeidé, lui, a été détruit par l’explosion au port de Beyrouth en 2020, sans avoir jamais été réhabilité.

Pour ce qui est des sites côtiers eux-mêmes, Costa Brava a déjà été agrandie une fois et peut encore durer deux ans, selon la même source. Pour Jdeidé (la composante de Bourj Hammoud est saturée depuis longtemps), l’État a mis la main en 2020 sur un terrain adjacent à la décharge principale, d’une superficie de 120 000 m², dont il a déjà utilisé le tiers et entamé la réhabilitation et l’utilisation de 40 000 m² supplémentaires.

« Nous avons pris des mesures qui nous permettent de faire fonctionner “a minima” ce système en vue d’éviter une nouvelle crise des déchets, reconnaît le ministre Yassine. Nous allons assurer 10 millions de dollars des droits de tirage spéciaux (en septembre 2021, le Liban a reçu une enveloppe de 1,1 milliard de dollars en DTS du FMI, NDLR) qui nous permettront de rallonger la vie des principales décharges, en augmentant leur capacité sans les agrandir : pour cela, on va réhabiliter certains terrains qui restent inoccupés afin d’assurer un an ou un an et demi de plus, en gros jusqu’à fin 2024 ou l’été 2025. » Il ajoute qu’il y aura aussi des mesures pour améliorer la gestion à Tripoli, agrandir la décharge de Jbeil (qui devra aussi prendre les déchets du Kesrouan) et trouver un site adéquat à Saïda.

Lire aussi

Au Liban, l’air pollué tue en toute quiétude

Taxation dérisoire

Si les solutions de rapiéçage ont souvent marqué le dossier des déchets ménagers au Liban, le ministre de l’Environnement insiste aujourd’hui sur l’importance d’appliquer la feuille de route approuvée en 2022 par le Conseil des ministres, en vue d’instaurer un système de gestion des déchets plus durable dans le pays. Cette feuille de route propose de maximiser le tri à la source au Liban et d’appliquer les principes de l’économie circulaire, c’est-à-dire de remettre les matières premières dans le circuit économique par divers moyens. Sachant que le volume estimé des déchets produits au Liban en 2022 était de 5 600 tonnes par jour (contre 7 300 avant la crise), le document prévoit de moderniser les infrastructures et de décentraliser la gestion des déchets par la création de 15 décharges contrôlées dans les régions. Budget estimé : de 88 à 113 millions de dollars (dont un budget pour les mesures prioritaires allant de 42 à 58 millions de dollars). Selon Nasser Yassine, « cette feuille de route est déjà en partie appliquée », notamment dans les régions en dehors de Beyrouth et du Mont-Liban.

Cependant la création de 15 décharges dans les régions ne risque-t-elle pas de devenir le talon d’Achille de ce nouveau plan, étant donné le refus des Libanais d’accueillir de tels sites après les mauvaises expériences passées (agrandissements incessants, mauvaise gestion, pollution…) ? « Je sais que les Libanais sont traumatisés, mais on ne peut régler ce problème qu’avec une gestion globale, ce qui signifie qu’une décharge doit être accompagnée d’usines de traitement, de tri, de compostage… rétorque M. Yassine, avant d’insister sur la nécessité du dialogue pour aplanir les obstacles. Voilà pourquoi nous aurons besoin de cette année et demie ou de ces deux années de répit pour mettre en place ce plan. »

Un discours qui ne porte pas forcément auprès des militants de la société civile :« Cette feuille de route comporte des réformes nécessaires, mais nous avons essayé de les convaincre qu’une bonne gestion basée sur le tri et le traitement pourrait nous éviter la construction de décharges controversées », commente, par exemple, Ziad Abichaker, PDG de Cedar Environnemental et impliqué dans les discussions autour de cette feuille de route.

Une des réformes principales de ce plan est l’inclusion d’un projet de loi qui permettrait aux municipalités de prélever une taxe spéciale pour la gestion des déchets. « On nous objecte déjà que la population refuserait de payer, or il faut savoir que de toutes les taxes, ce serait la plus légère, affirme Nasser Yassine. On parle de deux à trois dollars par foyer. »

Le député Ghayath Yazbeck, président de la commission parlementaire de l’Environnement, confirme avoir présenté une proposition de loi en ce sens en janvier dernier. Il reste cependant sceptique par rapport à l’instauration rapide d’une solution durable. « La feuille de route suppose une décentralisation de la gestion des déchets, or il faut un pouvoir étatique fort pour l’imposer…  déplore-t-il. Il faut restaurer la confiance, sinon la création de décharges sera impossible dans une société fragmentée. »

Deux images suffiraient à illustrer le fiasco de la gestion des déchets ménagers de ces trente dernières années : une montagne d’ordures à Saïda (Liban-Sud), venue remplacer un dépotoir sauvage traité il y a quelques années, et une situation similaire à Jdeidé (Metn) où, quelques années à peine après la disparition de la tristement célèbre « montagne de Bourj Hammoud »,...

commentaires (6)

Y’a rien à dire. Dans le pire, c’est quand même nous les meilleurs! Vive nous!

Gros Gnon

07 h 54, le 16 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Y’a rien à dire. Dans le pire, c’est quand même nous les meilleurs! Vive nous!

    Gros Gnon

    07 h 54, le 16 juillet 2023

  • "Déchets ménagers : le système ne tient plus qu’à un fil" il tient à un fil, c'est vrai mais repose solidement sur des filous.

    Wlek Sanferlou

    14 h 32, le 13 juillet 2023

  • Comme pour le reste, tout le monde semble s'en accommoder...

    IBN KHALDOUN

    18 h 03, le 12 juillet 2023

  • L'Or ... dur... malheureusement rien qu'au liban.

    Wlek Sanferlou

    12 h 41, le 12 juillet 2023

  • Ils ne savent pas gérer le dossier des ordures ménagères et ils veulent aller libérer d'autres territoires étrangers... Pourquoi ?? Pour foutre le bordel ailleurs?? Donnez l'exemple d'une bonne gestion chez nous déjà ( Ordures ménagères, électricité, eau etc...) puis allez proposer votre idée de les libérer. ( alors que cela ne nous concerne pas à l'origine. Chacun sa me...de ). A préciser en Israel et aussi bien en territoires palestiniens : Les déchets et ordures ménagères ce n'est pas du tout un souci , ni un sujet. Avant de penser aux étrangers, pensez déjà à vos citoyens et compatriotes qui vivent dans les déchets et ordures ménagères. Bonne journée.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 17, le 12 juillet 2023

  • A l'image nauséabonde du pays.

    TrucMuche

    10 h 57, le 12 juillet 2023

Retour en haut