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Environnement - Entretien

Face au changement climatique, la montagne libanaise est un atout fragile

Les effets du réchauffement se font déjà sentir en altitude. Les hautes cimes doivent impérativement être protégées si on doit compter sur leur rôle de régulateur, selon l’expert Georges Mitri.

Face au changement climatique, la montagne libanaise est un atout fragile

La montagne de Sannine enneigée offre un magnifique panorama. Photo Mohammad Yassine

Malgré l’exiguïté de son territoire, le Liban se distingue des pays voisins par ses hautes montagnes et son paysage escarpé. Quand le Proche-Orient deviendra la fournaise que les scientifiques prédisent, la vie au Liban pourrait-elle être adoucie par cette possible migration vers des altitudes supérieures ? Les hautes montagnes seront-elles épargnées par ce que le réchauffement de la planète peut provoquer de pire ? Et si c’est le cas, que devrions-nous prévoir pour protéger ces territoires si précieux ? Georges Mitri, directeur du programme sur les terres et les ressources naturelles à l'Université de Balamand, se penche sur la question pour L’Orient-Le Jour.

Comment les montagnes du Liban sont-elles déjà affectées par le changement climatique et comment pourraient-elles l’être à l’avenir ?

Certains effets du changement climatique y sont déjà constatés. Nous avions effectué une projection basée sur les données climatiques lors d’une première étude en 2013, concluant que ce milieu est particulièrement vulnérable à la sécheresse. Dans une seconde étude en 2020, nous avons davantage travaillé sur les tendances constatées au fil des ans et cette vulnérabilité s’est confirmée : le changement y est d’autant plus visible qu’il est net et rapide, et il se traduit notamment par une période d’enneigement de plus en plus courte. 

En 2020, nous avons également constaté un phénomène encore plus inquiétant : des incendies dans des forêts situées très en hauteur, comme les cédraies, auparavant protégées du feu. En 2021, nous avons même noté des incendies dans les forêts de genévriers, encore plus hautes. Des feux qui sont provoqués par une baisse de l’humidité sans précédent et une hausse des températures.

Les insectes et les maladies qui frappent la végétation sont un autre danger qui guette ces milieux : on constate la présence d’insectes ravageurs qui n’étaient présents qu’à des altitudes bien plus basses ou sur le littoral, comme la chenille processionnaire par exemple (qui frappe les pins, NDLR), et qui sévit depuis quelques années à plus de 1 500 mètres d’altitude. Ces changements sont particulièrement dramatiques parce que la biodiversité des hautes montagnes est très peu préparée à de tels bouleversements et peinerait à s’y adapter.

Malgré tous ces dangers, les dénivellations au Liban pourraient-elles être considérées comme un atout ?

En effet, sans ces différences de niveaux, la capacité du Liban à faire face aux changements climatiques serait bien moindre, d’où la nécessité de protéger ces milieux fragiles. L’une des forces de ce paysage accidenté au Liban est dans sa biodiversité, puisque les espèces sont distribuées sur plusieurs altitudes. Il leur est possible, en cas d’extrême réchauffement, de migrer un peu plus en hauteur, ce qui les aiderait à s’adapter à ce changement rapide. Les forêts en altitude ont par ailleurs une capacité significative de captage naturel du carbone, ce qui contribue à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. La neige sur les cimes est aussi source d’eau puisque sa fonte vient renflouer les nappes phréatiques, d’où son importance pour la lutte contre la sécheresse. Sans compter que la couverture végétale en haute montagne aide à prévenir les inondations en contrebas.

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Les hauteurs du pays augmentent sa capacité de transition vers les énergies renouvelables, notamment avec la possibilité d’installer des éoliennes pour profiter des couloirs de vent. À condition, bien sûr, de bien étudier leur installation en vue de ne pas perturber le vol des oiseaux migrateurs. Les différences de niveaux sont de plus une richesse pour l’agriculture, permettant d’envisager des cultures très diverses. Les belles montagnes libanaises sont enfin un atout précieux pour le développement de l’écotourisme responsable.

Vous avez parlé de migration des espèces, mais qu’en est-il de la possibilité d’une migration humaine au cas où le littoral deviendrait de plus en plus inhabitable ? La montagne serait-elle une alternative viable ?

Je verrais plutôt cela comme un risque d’urbanisation sauvage et chaotique qui atteindrait des altitudes aujourd’hui difficilement habitables à cause de la neige et du froid. Si leur climat devient plus modéré avec le temps, la tentation d’y ériger des constructions sera plus grande, avec tout le danger que cela comporte en matière de pollution et d’atteintes à la biodiversité. Nous entendons déjà parler de projets envisagés à Qornet es-Saouda (plus haut sommet du Liban, culminant à 3 088 mètres) par exemple. Cela ne peut que s’aggraver avec le temps.

Que faut-il donc faire pour protéger les hautes montagnes ?

Il existe déjà des tentatives de faire adopter des législations pour la protection des hautes montagnes, à l’instar d’un projet financé par l’Union européenne et exécuté par l’association Terre-Liban, qui a contribué à développer, en 2024, un projet de loi pour la protection des cimes au-delà de 1 900 mètres d’altitude (selon Terre-Liban, la proposition de loi vient d'être adoptée cette semaine par le député Michel Doueihy [contestation]). À signaler que la protection des cimes avait été soulevée dans le schéma directeur d’aménagement du territoire libanais (publié par le Conseil du développement et de la reconstruction en 2004, sans avoir jamais été appliqué, NDLR). Il y a aussi un projet du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de plan directeur pour la haute montagne.

En bref, pour que la montagne reste un atout dans un contexte de changement climatique, il est indispensable de la protéger dès maintenant, et d’instaurer une bonne gestion des ressources hydrauliques et de la biodiversité, ainsi que des réglementations strictes pour l’agriculture et l’urbanisation, afin de protéger ces milieux délicats de la pollution. 

Malgré l’exiguïté de son territoire, le Liban se distingue des pays voisins par ses hautes montagnes et son paysage escarpé. Quand le Proche-Orient deviendra la fournaise que les scientifiques prédisent, la vie au Liban pourrait-elle être adoucie par cette possible migration vers des altitudes supérieures ? Les hautes montagnes seront-elles épargnées par ce que le réchauffement de la...

commentaires (1)

"il est indispensable de la protéger dès maintenant, et d’instaurer une bonne gestion des ressources hydrauliques ..." puis-je vous rappeler que le titre de Suisse du Moyen Orient.. on l'a perdu depuis la nuit des temps et nos belles montagnes sont sûrement on the way out ...

Wlek Sanferlou

15 h 41, le 31 mars 2024

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Commentaires (1)

  • "il est indispensable de la protéger dès maintenant, et d’instaurer une bonne gestion des ressources hydrauliques ..." puis-je vous rappeler que le titre de Suisse du Moyen Orient.. on l'a perdu depuis la nuit des temps et nos belles montagnes sont sûrement on the way out ...

    Wlek Sanferlou

    15 h 41, le 31 mars 2024

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