Rechercher
Rechercher

Environnement - Environnement

Au Liban, l’air pollué tue en toute quiétude

Un taux de particules fines 3,5 fois supérieur à celui autorisé par l’OMS, une pollution par les hydrocarbures qui augmente de 40 à 60 fois le risque de cancers dans la capitale... Même en l’absence de mesures exactes, des études récentes montrent l’ampleur du désastre.

Au Liban, l’air pollué tue en toute quiétude

Le centrale électrique de Zouk Mosbeh. Photo P.H.B.

Comme beaucoup d’installations gérées par des administrations officielles, le réseau national des stations de mesure de la pollution de l’air du ministère de l’Environnement est hors service… pour des raisons financières. Et cela dure depuis avril 2019, confirme Hassan Dhaïni, toxicologue et conseiller principal auprès du ministre sortant de l’Environnement. Aucun moyen donc de calculer avec plus ou moins de précision l’impact de la crise énergétique, celle de la détérioration du parc automobile ou encore de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, sur l’air déjà vicié par des années de négligence. Seules quelques estimations ont été faites à partir de campagnes limitées de mesures, comme celle, datant de 2021, de l’équipe de Najate Aoun Saliba, aujourd’hui députée. À cette époque où les générateurs de quartier fonctionnaient près de 24 heures sur 24, le taux de certains polluants aurait augmenté de 300 % par rapport à la période d’avant-crise ! Toutefois, même en l’absence de chiffres réguliers et fiables, des études entreprises ces dernières années permettent d’en savoir plus sur la détérioration de la qualité de l’air et son impact sur la santé. Et leurs résultats reflètent la gravité de la situation et des lacunes d’application de mesures adéquates par les différentes autorités compétentes.

Hausse du taux de particules fines

Parmi ces études, l’une, intitulée « Toxicité des particules fines et quasi ultrafines », menée par une dizaine de chercheurs du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) et des partenaires, et publiée en 2020, apporte une vision complète allant des sources de pollution jusqu’à leurs effets sur la santé. Elle se focalise sur deux polluants, extrêmement dangereux du fait de leur très petite taille et pouvant pénétrer profondément dans les bronches, classés cancérigènes par le Centre international de recherche sur le cancer (IARC, une agence intergouvernementale affiliée à l’Organisation mondiale de la santé, OMS). Selon Imane Abbas, toxicologue et chercheuse associée à la Commission libanaise de l’énergie atomique (CLEA), qui a participé à l’étude du CNRS, les échantillons ont été collectés en 2017 dans une artère particulièrement embouteillée et polluée de Beyrouth, au niveau de ce qu’on appelle l’ancienne route de l’aéroport.

Pour mémoire

Au Liban, la pollution de l’air décuplée : quand la crise de l’électricité devient létale

Le procédé utilisé est pointu et consiste à mettre en contact in vitro des cellules humaines avec les polluants récoltés dans l’air afin d’explorer plus particulièrement les mécanismes d’action impliqués dans la toxicité des polluants atmosphériques, notamment dans le développement des maladies respiratoires. L’autre intérêt de cette étude est de déterminer de manière très précise les sources de pollution les plus récurrentes à partir des polluants détectés dans l’air. Ce qui a ramené les chercheurs aux trois principales sources de pollution, à savoir l’énergie (générateurs fonctionnant au diesel), le trafic et l’incinération sauvage des déchets ménagers.

« Pour donner une idée de la densité de pareilles substances dans l’air, la concentration moyenne des particules fines que nous avons mesurée était, en ce temps-là, de 54 microgrammes (mcg) par mètre cube, soit plus de 3,5 fois le taux autorisé par l’OMS, qui est de 15 mcg/m³ », précise Imane Abbas. « En 2016, un an plus tôt, ce taux était de 48 mcg/m³. Il est donc en hausse, et on peut supposer qu’il a augmenté depuis 2017, notamment depuis la crise qui a éclaté en 2019. » Autre donnée préoccupante : les particules quasi ultrafines (de taille bien plus réduite), qui « contiennent 4 à 43 fois plus de composés toxiques que les premières. Or, vu leur taille, celles-ci ont plus de chances de circuler dans l’air et d’être inhalées », explique l’experte.

Sur-risque de cancers

Cela signifie-t-il que l’air est cancérigène au Liban ? La toxicologue se veut rassurante, d’autant plus que l’étude a été faite in vitro, donc dans des conditions différentes de la vraie vie. « Il faut rappeler qu’une substance toxique et cancérigène émise dans l’air ne cause pas nécessairement les maladies qu’elle risque de provoquer, dit-elle. Le corps a en effet des mécanismes de défense et tente de se débarrasser de ces indésirables par la toux par exemple. De plus, dans les alvéoles pulmonaires, il existe des cellules qui jouent un rôle important dans la défense du corps contre ces polluants, dont ils procèdent à la dégradation. Toutefois, plus le polluant est présent dans l’air, plus sa taille est réduite, plus il a des chances de s’échapper de ce mécanisme de défense et de se retrouver dans le circuit sanguin. Sans compter le cumul de ces substances dans le corps quand l’exposition est longue. »

D’autres études ont exploré le lien entre la pollution atmosphérique et l’apparition de cas de cancer d’un point de vue épidémiologique. L’équipe de Hassan Dhaini à l’AUB (où il est également professeur de santé environnementale), en collaboration avec l’USJ et un groupe de chercheurs français, s’est focalisée sur un groupe de polluants très présents dans l’atmosphère : les hydrocarbures organiques et les particules fines qui proviennent essentiellement de la combustion du trafic et de l’évaporation de gazoline.

« Nous avons mesuré, dans la capitale, le risque de cancers associé, d’une part, à l’exposition de ces polluants organiques et, d’autre part, aux décès, explique-t-il. Suivant nos conclusions, la pollution par les hydrocarbures organiques à elle seule augmenté à Beyrouth de 40 à 60 fois le risque de cancers par rapport au seuil défini par l’US Environmental Protection Agency, qui est de 1/1 000 000 d’habitants. Concernant les décès reliés à cette pollution, nous les avons estimés de 250 à 320 cas dans notre modèle de projection. »

Et le cancer n’est pas le seul risque majeur lié à la pollution atmosphérique. Une autre étude publiée en 2021, menée également par cette équipe à l’AUB, visait à mesurer l’impact de la pollution de l’air sur les malformations congénitales. « Nous avons collecté des données de 2013 à 2016 du registre national des malformations congénitales, souligne Hassan Dhaini. Sur les 11 000 mères et bébés inclus dans l’étude, nous avons recensé 535 cas de malformations de différents types, ce qui est considérable. Nous avons pris en compte l’exposition des femmes enceintes à trois polluants : les particules fines, l’oxyde d’azote et l’oxyde de soufre, sans omettre les autres facteurs de risque, comme le tabagisme, l’apport en acide folique ou encore la consanguinité. »

Conclusion : l’exposition à des taux anormalement élevés de particules fines augmenterait de 15 % les risques de malformations congénitales. Les résultats concernant les deux autres polluants n’étaient pas concluants.

Solutions pas si difficiles à appliquer

Les résultats effarants de ces études, très peu médiatisées, ne devraient-ils pas être en soi une motivation pour lutter contre ce fléau ? « Il ne faut pas oublier que le problème de la pollution atmosphérique serait facile à résoudre au Liban, qui n’est pas un pays industriel, rappelle Imane Abbas. Si les coupures de courant sont traitées, si une solution est trouvée au problème des déchets et si des améliorations sont apportées au trafic (comme la reprise des contrôles mécaniques, par exemple), le taux de pollution atmosphérique baisserait considérablement. »

« L’intérêt de telles études est de faire la lumière sur les risques de la pollution de l’air en vue d’adapter les mesures à prendre et les législations à adopter, renchérit Hassan Dhaïni. À titre d’exemple, il est possible d’utiliser une cote air/santé et un système de notification automatisé afin d’avertir les femmes enceintes et les autres catégories vulnérables de ne pas sortir lors de certains pics de pollution. On pourrait aussi réglementer le trafic en fonction de la pollution. Mais pour cela, il faut un calcul constant du taux de polluants dans l’air. »

Lire aussi

Quelles sont les plages les plus sûres pour nager au Liban cet été ?

Mais alors, que font les autorités à ce niveau ? Hassan Dhaïni cite deux initiatives du ministère de l’Environnement (une administration essentiellement consultative, rappelons-le) : une tentative de réactiver une partie du réseau des stations de mesure du ministère, en utilisant une partie d’un don international obtenu par l’intermédiaire de la Banque mondiale, ainsi que la modernisation, dans une décision, des limites autorisées d’émissions de pollution, à l’égard des industries et du secteur de l’énergie notamment – des valeurs qui devaient être applicables dès février 2023.

Problème : l’application de telles mesures est pluridisciplinaire et devrait concerner plusieurs ministères à la fois. L’expert Habib Maalouf, qui a récemment organisé, sous la houlette du ministère de l’Environnement et de partenaires, une table ronde où les résultats de ces études ont notamment été exposés, en ressort avec des recommandations allant dans le sens d’application de réglementations plus fermes sur les carburants, les générateurs (devant être dotés de filtres), l’encouragement des transports en commun et des énergies renouvelables, ainsi qu’une meilleure collecte des données et un renforcement des prérogatives du ministère et des municipalités.

Comme beaucoup d’installations gérées par des administrations officielles, le réseau national des stations de mesure de la pollution de l’air du ministère de l’Environnement est hors service… pour des raisons financières. Et cela dure depuis avril 2019, confirme Hassan Dhaïni, toxicologue et conseiller principal auprès du ministre sortant de l’Environnement. Aucun moyen donc de...

commentaires (1)

Gouvernement et donc Hezb criminels. A pendre! Bon le peuple reste responsable aussi puisqu'il ne râle pas, ne sait pas le faire, ou a oublier comment on le fait.

TrucMuche

00 h 14, le 28 juin 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Gouvernement et donc Hezb criminels. A pendre! Bon le peuple reste responsable aussi puisqu'il ne râle pas, ne sait pas le faire, ou a oublier comment on le fait.

    TrucMuche

    00 h 14, le 28 juin 2023

Retour en haut