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Environnement - Entretien express

À Beyrouth, un pic de pollution « anormalement élevé et précoce »

L’arrivée soudaine de chaleurs quasi estivales a provoqué la création d’un épais nuage de pollution stagnant au-dessus de la capitale.

À Beyrouth, un pic de pollution « anormalement élevé et précoce »

Vue sur Beyrouth, sous un nuage de pollution début avril 2024. Photo Nicholas Frakes

Voilà bientôt une semaine que le ciel de Beyrouth oscille entre le blanc, le bleu, le gris et le verdâtre. La faute au nuage de pollution qui stagne au-dessus de la capitale et sa banlieue depuis mercredi dernier et qui dégrade la qualité de l’air respiré par ses 2,4 millions d’habitants.

Loin d’être inédit, ce phénomène apparaît à une époque particulièrement précoce de l’année et pourrait s’inscrire dans la durée au vu des conditions météorologiques actuelles comme le craint la députée et universitaire Najat Aoun Saliba, experte en chimie atmosphérique, qui a répondu aux questions de L'Orient-Le Jour sur ce phénomène. 

En quoi le pic de pollution actuel sort-il de l’ordinaire et quelles en sont les causes principales ?

Ce phénomène ressemble grandement à ceux que nous connaissons en été lors des épisodes de fortes chaleurs. Lorsque la température grimpe et qu’il n’y a ni vent ni pluie, cela provoque des réactions chimiques dans l’atmosphère, qui accumulent la pollution émanant de trois sources principales : les générateurs privés, le trafic routier et les incinérations sauvages.

Depuis le début de la crise économique et financière fin 2019, le Liban dépend presque intégralement des générateurs (fonctionnant au diesel) pour sa production d’électricité. Ceux-ci n’étaient utilisés que trois heures par jour en moyenne en 2010, alors qu’ils fonctionnent désormais près de 20 heures par jour, à tel point que la pollution qu’ils génèrent a doublé depuis 2017.

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Ce qui se passe sort de l’ordinaire, car il est anormal que les températures s’approchent des 30 degrés aussi tôt dans l’année. Cette situation peut être attribuée au changement climatique ou alors au vent du sud que nous recevons en ce moment du Sahara africain, qui peut amener des particules de sable venant s’ajouter à la pollution locale.

Quels sont les risques encourus pour la santé des habitants lorsque ces épisodes se prolongent ?

Cela est avant tout très dangereux pour la santé des personnes atteintes de pathologies respiratoires et cardiaques. Il faut savoir que les maladies cardiovasculaires apparaissent en moyenne 12 ans plus tôt au Liban et dans d’autres pays de la région par rapport à la moyenne mondiale (environ 70 ans).

Il est difficile d’établir un lien direct entre le développement de ces maladies et la pollution atmosphérique car de nombreux facteurs entrent en jeu (tabagisme, alimentation, mode de vie, hérédité, etc.), mais il est certain que cela contribue fortement à l’augmentation du nombre de ce type de pathologies au Liban.

(Le ministère de la Santé a récemment fait état d’une augmentation des taux de cancer de 10 à 15 % depuis 2016. De plus, plusieurs chefs de département d’oncologie des hôpitaux ont estimé pour L’OLJ que cette hausse s’élevait plutôt à 30 % ces dernières années. D’après eux, le cancer du poumon représente la plus grande part des cas recensés, NDLR).

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Cela aura également des effets nocifs sur l’environnement : lorsque la fonte des neiges est trop brutale, le remplissage des nappes phréatiques ne s’effectue pas correctement, ce qui accentue le risque de sécheresse pour les différentes zones agricoles du pays.

Quelles substances nocives respirons-nous ?

Ce sont principalement des particules fines (PM2,5) et des gaz d'échappement typiques des véhicules et des générateurs comme le dioxyde d'azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2), le benzène et d’autres types d'hydrocarbures que l’on appelle « aromatiques polycycliques ». Toutes ces substances sont classées comme cancérigènes par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et sont responsables de quatre millions de décès par an à travers le monde.

Comment faites-vous pour collecter des données précises sur la pollution atmosphérique, alors que les stations de mesure du ministère de l’Environnement sont hors service depuis avril 2019 ?

Dans le cadre d’une étude (bientôt publiée, NDLR) sur la qualité de l’air à Beyrouth menée avec deux de mes étudiants à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), nous avons installé pendant un an et demi des appareils de mesure à trois endroits de la ville : dans la rue Bliss à Hamra, dans le centre-ville et dans la rue de l’hôpital des Makassed à Tarik Jdideh.

Nos résultats ont montré que les taux recommandés par l’OMS (5 microgrammes de particules fines par mètre cube en moyenne, 15 mg/m³ au maximum) sont largement dépassés. Cela oscille entre 20 et 25 mg/m³ près de l’AUB, entre 25 et 30 mg/m³ dans le centre-ville et grimpe jusqu’à 60 mg/m³ aux Makassed.

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Ces mesures nous permettent de constater que Beyrouth atteint par moments des niveaux moyens de pollution semblables à des mégapoles de plus de 10 millions d’habitants comme Le Caire, Mexico, le tout avec une population bien moins importante.

Quelles sont les solutions pour faire en sorte que ces pics de pollution soient moins récurrents ?

La première chose à faire est d’appliquer la décision du ministère de l’Environnement (circulaire datant du 1er septembre 2023) obligeant les propriétaires de générateurs de grande taille (jusqu’à 250 kilovoltampère, KVA) d’installer des filtres à particules. Sauf que cette mesure ne se vérifie pas dans les faits, tous les grands établissements continuent d’utiliser leurs générateurs 24h/24 sans que le gouvernement ne fasse quoi que ce soit.

Mais il existe une solution : écrire un courrier au mohafez de son gouvernorat pour demander l’application de cette loi. Cela a déjà fonctionné dans plusieurs régions du pays, je peux en témoigner.

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