Gebran Bassil met les points sur les « i » . Le chef du Courant patriotique libre – qui, selon les informations de L’Orient-Le Jour, était à Paris la semaine dernière où il a évoqué avec Patrick Durel, conseiller du président français pour les Affaires du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, les dossiers du gouvernement, de la frontière maritime mais aussi de la présidentielle – a abordé, en long et en large, l’échéance de l’élection d’un nouveau chef de l’État, vendredi, dans une interview retransmise sur les chaînes OTV et al-Manar, respectivement affiliées au CPL et au Hezbollah, grand allié du parti orange. À cette occasion, le leader maronite a envoyé des messages politiques à la majorité des acteurs impliqués dans cette échéance constitutionnelle – prévue à partir du 31 août –, établissant une équation on ne peut plus claire: il ne sera (vraisemblablement) pas le prochain président, mais le successeur de Michel Aoun ne sera pas élu sans son aval.
À Sleiman Frangié
D’abord au chef des Marada Sleiman Frangié. Ce dernier est considéré comme le seul, jusqu’à présent, à s’être lancé officieusement dans la course à Baabda. Une ambition qu’il ne cache plus dans toutes ses interventions. La semaine dernière, et alors que la polémique autour de l’arrestation de l’archevêque Moussa el-Hage battait son plein, il s’est rendu à Dimane, siège d’été du patriarcat maronite, pour une visite qui était prévue plusieurs jours à l’avance. Une occasion pour lui de faire valoir sa proximité avec Mgr Béchara Raï, tout en rappelant que s’il « ne complote pas contre (ses) alliés, (il) ne prend pas d’ordres de chez eux », dans une claire volonté de se présenter comme un candidat acceptable par tous et non celui du Hezbollah. Sauf que Gebran Bassil n’a pas tardé à lui ramener les pieds sur terre. S’il a indiqué ne pas être « enthousiaste » à l’idée de se lancer dans la bataille, il a affirmé qu’il ne se mettra pas de côté pour autant. « Je peux être président ou faiseur de président », a-t-il lancé. Fera-t-il de Sleiman Frangié le successeur de Michel Aoun ? « Je ne vois pas de raisons de soutenir sa candidature », a affirmé le député de Batroun. Ordinairement opposés sur la scène politique, et a fortiori depuis l’accession de Michel Aoun à Baabda, les deux hommes semblent toutefois opérer un rapprochement. En avril dernier, le chef du Hezbollah les avait réunis autour d’un iftar. Et il y a quelques jours, le chef du CPL a reçu le député Farid Heykal el-Khazen, un proche du leader de Zghorta.
Malgré la volonté exprimée par Mgr Raï de voir élire un président « au-dessus des partis », le député de Batroun a rappelé son attachement à une figure « représentative » de l’opinion publique chrétienne et disposant préférablement d’un groupe parlementaire de poids. Or les Marada n’ont réussi à élire qu’un seul député au cours des législatives: Tony Frangié, qui est toutefois parvenu à former un groupe de quatre députés. Gebran Bassil, « faiseur de président », a-t-il ainsi barré la voie à Sleiman Frangié ? « C’est du bluff », répond un proche de ce dernier, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Gebran Bassil sait très bien qu’il ne peut pas choisir tout seul le prochain président, qui sera plutôt élu sur la base d’un accord élargi. Conscient du fait que M. Frangié est un présidentiable sérieux, il essaye de se montrer en position de force », ajoute-t-il. L’idée serait alors pour le chef de file des aounistes de montrer à Sleiman Frangié qu’il ne pourra compter sur son soutien – indispensable – qu’en échange de concessions majeures. M. Bassil n’a en effet pas fermé la porte à un dialogue avec les Marada. Un dialogue dans lequel le Hezbollah jouera probablement le rôle d’arbitre.
Au Hezbollah
Le parti chiite n’a pas été épargné d’ailleurs par les messages cryptés du chef du CPL. S’il a salué le rôle de son allié pro-iranien, qui a selon lui renforcé la position du Liban dans le dossier de la démarcation de la frontière maritime avec Israël, il a été moins élogieux concernant les choix politiques du Hezbollah sur la scène locale. « Nous pouvons reprocher à notre allié d’avoir ramené Nagib Mikati au Sérail », a-t-il martelé, alors qu’un bras de fer oppose le camp présidentiel au Premier ministre désigné sur la formation de la prochaine équipe ministérielle. Le CPL accuse en effet Nagib Mikati de ne pas vouloir mener à bien sa mission, préférant maintenir le cabinet actuel chargé d’expédier les affaires courantes. Ce dernier se défend de toute volonté d’obstruction, rappelant qu’il a déjà présenté une formule au président Aoun qui n’a pas encore répondu. En soulignant ses divergences avec le Hezbollah, M. Bassil lui rappelle implicitement qu’il espère compter sur son soutien dans la bataille présidentielle à venir, que ce soit dans les négociations qui pourraient avoir lieu avec Sleiman Frangié ou dans sa décision de présenter une autre figure. D’ailleurs, durant toute la séquence dédiée à l’élection présidentielle, Gebran Bassil n’a pas évoqué le rôle du Hezbollah, comme pour signifier que cette échéance est propre à la scène chrétienne. Du côté du parti chiite, on semble avoir bien reçu le message. « Sans le soutien d’un des deux grands blocs chrétiens (les Forces libanaises ou le CPL), aucun candidat ne peut prétendre à la magistrature suprême, concède Fayçal Abdessater, un commentateur proche du parti pro-iranien. D’autant plus que si le Hezbollah décide officiellement de soutenir Sleiman Frangié, il ne sera pas aussi combatif qu’il ne l’a été pour Michel Aoun, quand il a bloqué l’échéance présidentielle pendant deux ans. » « Le Hezbollah se tient donc à l’écart pour le moment, le temps qu’il y ait un accord interchrétien », ajoute-t-il. Car Gebran Bassil a clairement fait comprendre vendredi qu’il n’hésiterait pas à se tourner vers les FL, ennemi juré du Hezbollah, pour trouver un accord sur le prochain locataire de Baabda.
Aux Forces libanaises
Le parti de Samir Geagea a également eu son lot de messages directs ou implicites. Les responsables de ce parti crient sur tous les toits qu’ils ont remporté les législatives et devancé le CPL sur la scène chrétienne en élisant 19 députés contre 17 pour le CPL. Mais Gebran Bassil ne l’entend pas de la même oreille. « Nous avons le plus grand groupe parlementaire à l’hémicycle », a-t-il martelé. Le chef du CPL compte en effet dans son calcul ses alliés, comme le Tachnag (3 députés) et le sunnite Mohammad Yehia, avec qui son groupe sera formé de 21 députés. En se positionnant ainsi au sommet de la scène politique chrétienne, le chef du CPL rappelle aux FL qu’il est incontournable dans l’élection du prochain président. Le leader aouniste a dans ce cadre concentré ses attaques sur le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, dont la candidature a été appuyée à plusieurs reprises par le chef des FL. « M. Geagea, qui prétend défendre l’État et la Constitution, compte-t-il proposer un amendement constitutionnel sur mesure pour permettre au commandant de l’armée de devenir président ? » s’est interrogé M. Bassil, alors que la Loi fondamentale stipule que les fonctionnaires de première catégorie doivent attendre au moins un an après la fin de l’exercice de leur fonction avant de pouvoir prétendre à la magistrature suprême. « Il faut arrêter cette logique selon laquelle les grands fonctionnaires maronites sont automatiquement présidentiables », ajoute le député de Batroun, qui va même jusqu’à dire que « l’institution militaire au Liban s’est effondrée », avant de très vite préciser que ses remarques « ne sont dirigées contre personne ».
commentaires (21)
C‘est l‘agonie. Bluffer ne sert plus, il est devenu trop transparent. Il y a d‘autres qui réussissent encore à bluffer. Vivant en dehors du Liban je suis à chaque fois déçue quand je pense avoir trouvé quelqu’un d’honnête pour découvrir que le tel était aussi impliqué. N‘y a-t-il donc plus de politiciens intègres? Quel destin tragique pour le Liban.
Khazzaka May
18 h 20, le 26 juillet 2022