Certains de ses adversaires l’avaient enterré. L’homme le plus conspué par le soulèvement d’octobre 2019, sanctionné par les États-Unis, en perte de vitesse au sein de la rue chrétienne, devait nécessairement ressortir affaibli par les législatives. Le gendre du président devait dire adieu à ses rêves de Baabda et accepter de devenir un personnage secondaire sur la scène politique libanaise. Mais Gebran Bassil n’est pas homme à se laisser enterrer de la sorte. Au contraire, le chef du Courant patriotique libre ne semble jamais aussi à l’aise que dans l’adversité, là où il se nourrit de la haine que lui vouent ses adversaires. « Plus tu as d’ennemis, plus longtemps tu vivras » : telle est sa devise.
Et nul aujourd’hui n’a plus d’ennemis que lui au Liban. Dans sa propre circonscription, celle du Liban-Nord III, dans laquelle tous les poids lourds de la scène chrétienne s’affrontent, il était sans conteste la cible numéro un. Il pouvait tout perdre : son siège, son statut de chef du plus grand parti au Parlement, ses ambitions présidentielles.
Au final, le recul est bien là. Le bloc du Liban fort est passé de 29 députés à 21, au mieux, s’il parvient à s’entendre avec le Tachnag. Ce qui n’est pas encore le cas, semble-t-il. Gebran Bassil est arrivé en deuxième position à Batroun et aurait même pu perdre si ses adversaires s’étaient coalisés contre lui. Le parti orange est plus dépendant que jamais de son alliance avec le Hezbollah qui lui a permis de limiter la casse. Mais pour Gebran Bassil, l’essentiel est ailleurs : il a survécu à la tempête et préservé les apparences. « Le Hezbollah a sacrifié tous ses alliés pour le protéger. Il faut lui reconnaître qu’il sait se rendre indispensable », décrypte un vieux baron de la politique libanaise.
Avec 18 députés, auxquels pourraient donc se joindre les trois du Tachnag, il estime (un peu vite) qu’il est à la tête du plus grand bloc parlementaire devant les Forces libanaises (19 députés). « Il est obsédé par l’idée d’avoir un bloc plus important que celui des FL, au point qu’il a fait passer le message qu’il chercherait à l’agrandir jusqu’à ce qu’il dépasse celui de Samir Geagea », témoigne un leader de premier plan opposé au chef du CPL. Ce dernier considère qu’il sort renforcé du scrutin et se permet de poser à nouveau ses conditions. Peu à peu, il commence à reprendre tout le contrôle de l’initiative politique, y compris les détails de la formation du gouvernement. « Bassil ne fait pas obstruction. Mais il est en droit de poser ses conditions étant donné les résultats », affirme un proche du chef du CPL qui a requis l’anonymat.
« Beaucoup plus habile que ses adversaires »
Au lendemain des résultats du scrutin législatif de mai, Gebran Bassil a écarté la possibilité de former un gouvernement de technocrates. Selon lui, le prochain cabinet doit être politique et tenir compte des équilibres au sein de l’hémicycle. Le chef du CPL menace de ne pas participer au gouvernement si celui-ci ne lui convient pas. « Il a toujours maîtrisé ce jeu. Il affirme ne pas chercher à participer au gouvernement et fait monter ainsi les enchères. Il sait que tout Premier ministre désigné a besoin de lui pour réussir à former un gouvernement. Et il peut le faire parce que son beau-père est président », dit un opposant chrétien au chef du CPL. La mouture gouvernementale doit en effet être contresignée par le président de la République, une arme institutionnelle de premier plan que le camp aouniste a utilisée à de multiples reprises pour contrer l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Alors que le Premier ministre sortant Nagib Mikati est aujourd’hui le favori à sa propre succession, le chef du CPL a annoncé le 13 juin courant qu’il ne le nommerait pas. « Sur le plan personnel, j’apprécie beaucoup le président Mikati, mais il est impuissant », s’est justifié Gebran Bassil, qui a fait savoir qu’il se démenait en coulisses pour lui trouver un remplaçant. Il a ainsi fait fuiter des informations sur des contacts entrepris avec des personnalités politiques ou des spécialistes envisagés à la tête du gouvernement, comme Fayçal Nsouli ou Abderrahmane Bizri. Il a même fait allusion à la possibilité de nommer le député de Tripoli issu des rangs de la contestation Rami Fanj. L’objectif était double : mettre Mikati sur la défensive sur son propre terrain et diviser les membres de la contestation. « Bassil veut à tout prix éviter qu’une alliance se forme entre les FL et les représentants de la thaoura », dit le leader de premier plan cité plus haut.
Il sait que Nagib Mikati finira probablement par être désigné. Mais il sait aussi que le gouvernement ne pourra pas se faire sans lui. « Bassil a été très clair : il veut faire son retour au gouvernement et il réclame pour son parti les ministères des Affaires étrangères et de l’Énergie », dit la source précitée. Le chef du CPL parie sur l’absence des FL et des Kataëb pour se tailler une fois de plus la part du lion au sein du gouvernement. Il se présentera en même temps comme le principal opposant, arguant du fait qu’il n’a pas nommé Nagib Mikati.
Contrairement à Samir Geagea qui peine à transformer sa victoire électorale en victoire politique, Gebran Bassil a réussi, malgré les résultats, à obtenir la vice-présidence de la Chambre et tous les postes que son parti convoitait au sein du Parlement. « Il est beaucoup plus habile que ses adversaires à ce jeu-là », dit le vieux baron de la politique libanaise cité plus haut.
Le gendre du président sait allier petits pas et victoires de longue haleine. Il s’accroche et ne lâche rien, comme sur le dossier de l’électricité où il réclame que la réforme passe par la construction d’une centrale à Selaata. Mais que fera-t-il, dans quelques mois, lorsque le mandat de Michel Aoun s’achèvera ? S’il n’accède pas à la présidence, ce qui est le scénario le plus probable pour l’instant, comment se comportera-t-il alors ? « Sans Aoun, Bassil n’est rien », dit un homme politique chrétien qui lui est opposé. Selon lui, le parti sera exposé à de nombreuses scissions, tandis que son bloc parlementaire se réduira. « La principale leçon de ces élections, c’est qu’il ne faut surtout pas l’enterrer trop vite », estime pour sa part le leader de premier plan précité. « Il a une base populaire, personne ne peut s’opposer à lui au sein du parti et, surtout, il a le Hezbollah à ses côtés », ajoute-t-il.
Bientôt nous nous en passerons de l'Orient Le Jour, bien que c'est triste et nous suspenderons nos abonnements, car c'est intolérable de voir à la une des articles de cet ignoble personnage !!
08 h 03, le 18 juin 2022